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Le nabab, tome II ma vie, j'envoyai comme un coup de canon dans les cinq salons en enfilade le nom de chaque invité, qu'un suisse étincelant saluait chaque fois du «bing!

Publié le 11/04/2014

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Le nabab, tome II ma vie, j'envoyai comme un coup de canon dans les cinq salons en enfilade le nom de chaque invité, qu'un suisse étincelant saluait chaque fois du «bing!» de sa hallebarde sur les dalles. Que d'observations curieuses j'ai pu faire encore ce soir-là, que de saillies plaisantes, de lazzis de haut goût échangés entre les gens de service sur tout ce monde qui défilait! Ce n'est pas toujours avec les vignerons de Montbars que j'en aurais entendu d'aussi drôles. Il faut dire que le digne M. Barreau nous avait d'abord fait servir à tous, dans son office rempli jusqu'au plafond de boissons glacées et de victuailles, un lunch solide fortement arrosé, qui mit chacun de nous dans un état de bonne humeur, entretenu toute la soirée par les verres de punch et de champagne sifflés au passage sur les plateaux de la desserte. Les patrons, par exemple, ne paraissaient pas aussi bien disposés que nous. Dès neuf heures, en arrivant à mon poste, je fus frappé de la physionomie inquiète, nerveuse du Nabab, que je voyais se promener avec M. de Géry, au milieu des salons allumés et déserts, causant vivement et faisant de grands gestes. «Je le tuerai, disait-il, je le tuerai...» L'autre essayait de le calmer, ensuite madame parut et l'on causa d'autre chose. Magnifique morceau de femme cette Levantine, deux fois plus forte que moi, éblouissante à regarder avec son diadème en diamants, les bijoux qui chargeaient ses énormes épaules blanches, son dos aussi rond que sa poitrine, sa taille serrée dans une cuirasse d'or vert qui se continuait en longues lames tout le long de sa jupe raide. Je n'ai jamais rien vu d'aussi imposant, d'aussi riche. C'était comme un de ces beaux éléphants blancs porteurs de tours, dont nous entretiennent les livres de voyage. Quand elle marchait, péniblement appuyée aux meubles, toute sa chair tremblait, ses ornements faisaient un bruit de ferraille. Avec ça une petite voix très perçante et une belle figure rouge qu'un négrillon lui rafraîchissait tout le temps avec un éventail de plumes blanches large comme une queue de paon. C'était la première fois que cette paresseuse et sauvage personne se montrait à la société parisienne, et M. Jansoulet semblait très heureux et très fier qu'elle eût bien voulu présider sa fête; ce qui, du reste, ne donna pas grand mal à la dame, car, laissant son mari recevoir les invités dans le premier salon, elle alla s'étendre sur le divan du petit salon japonais, calée entre deux piles de coussins, immobile, si bien qu'on l'apercevait de loin tout au fond, pareille à une idole, sous le grand éventail que son nègre agitait régulièrement comme une mécanique. Ces étrangères vous ont un aplomb! Tout de même l'irritation du Nabab m'avait frappé, et voyant passer le valet de chambre qui descendait l'escalier quatre à quatre, je l'attrapai au vol et lui glissai dans le tuyau de l'oreille: «Qu'est-ce qu'il a donc votre bourgeois, monsieur Noël? «C'est l'article du Messager,» me fut-il répondu, et je dus renoncer à en savoir davantage pour le moment, un grand coup de timbre annonçant que la première voiture arrivait, suivie bientôt d'une foule d'autres. Tout à mon affaire, attentionné à bien prononcer les noms qu'on me donnait, à les faire ricocher de salon en salon, je ne pensai plus à autre chose. Ce n'est pas un métier commode d'annoncer convenablement des personnes qui s'imaginent toujours que leur nom doit être connu, le murmurent en passant du bout des lèvres, et s'étonnent ensuite de vous l'entendre écorcher dans le plus bel accent, vous en voudraient presque de ces entrées manquées, enguirlandées de petits sourires, qui suivent une annonce mal faite. Chez M. Jansoulet, ce qui me rendait la besogne encore plus difficile, c'était cette masse d'étrangers, tous égyptiens, persans, tunisiens. Je ne parle pas des Corses, très nombreux aussi ce jour-là, parce que, pendant mes quatre ans de séjour à la Territoriale, je me suis habitué à prononcer ces noms ronflants, interminables, toujours suivis de celui de la localité: «Paganetti de Porto-Vecchio, Bastelica de Bonifacio, Paianatchi de Barbicaglia.» XV. MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU. A L'ANTICHAMBRE. 17 Le nabab, tome II Je me plaisais à moduler ces syllabes italiennes, à leur donner toutes leurs sonorités, et je voyais bien aux airs stupéfaits de ces braves insulaires combien ils étaient charmés et surpris d'être introduits de cette façon dans la haute société continentale. Mais avec les Turcs, ces pachas, ces beys, ces effendis, j'avais bien plus de peine, et il dut m'arriver de prononcer souvent de travers, car M. Jansoulet, à deux reprises différentes, m'envoya dire de faire plus attention aux noms qu'on me donnait, et surtout d'annoncer plus naturellement. Cette observation, formulée à haute voix devant l'antichambre avec une certaine brutalité, m'indisposa beaucoup, m'empêcha--en ferai-je l'aveu? --de plaindre ce gros parvenu quand j'appris, au courant de la soirée, que de cruelles épines se glissaient dans son lit de roses. De dix heures et demie à minuit, le timbre ne cessa de retentir, les voitures de rouler sous le porche, les invités de se succéder, députés, sénateurs, conseillers d'État, conseillers municipaux qui avaient bien plus l'air de venir à une réunion d'actionnaires qu'à une soirée de gens du monde. A quoi cela tenait-il? Je ne parvenais pas à m'en rendre compte, mais un mot du suisse Nicklauss m'ouvrit les yeux. «Remarquez-vous, M. Passajon, me dit ce brave serviteur, debout en face de moi, la hallebarde au poing, remarquez-vous comme nous avons peu de dames?» C'était cela, pardieu!... Et nous n'étions pas que nous deux à faire la remarque. A chaque nouvel arrivant, j'entendais le Nabab, qui se tenait près de la porte, s'écrier avec consternation de sa grosse voix de Marseillais enrhumé: «Tout seul?» L'invité s'excusait tout bas... Mn mn mn mn... sa dame un peu souffrante... Bien regretté certainement... Puis il en arrivait un autre; et la même question amenait la même réponse. A force d'entendre ce mot de «tout seul,» on avait fini par en plaisanter à l'antichambre; chasseurs et valets de pied se le jetaient de l'un à l'autre quand entrait un invité nouveau «tout seul!» Et l'on riait, on se faisait du bon sang... Mais M. Nicklauss, avec sa grande habitude du monde, trouvait que cette abstention à peu près générale du sexe n'était pas naturelle. «Ça doit être l'article du Messager,» disait-il. Tout le monde en parlait de ce matin d'article, et devant la glace entourée de fleurs où chaque invité se contrôlait avant d'entrer, je surprenais des bouts de dialogue à voix basse dans ce genre-ci: «Vous avez lu? --C'est épouvantable. --Croyez-vous la chose possible? --Je n'en sais rien. En tout cas, j'ai préféré ne pas amener ma femme. --J'ai fait comme vous... Un homme peut aller partout sans se compromettre... --Certainement... Tandis qu'une femme...» Puis ils entraient, le claque sous le bras, avec cet air vainqueur des hommes mariés que leurs épouses n'accompagnent pas. XV. MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU. A L'ANTICHAMBRE. 18
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« Je me plaisais à moduler ces syllabes italiennes, à leur donner toutes leurs sonorités, et je voyais bien aux airs stupéfaits de ces braves insulaires combien ils étaient charmés et surpris d'être introduits de cette façon dans la haute société continentale.

Mais avec les Turcs, ces pachas, ces beys, ces effendis, j'avais bien plus de peine, et il dut m'arriver de prononcer souvent de travers, car M.

Jansoulet, à deux reprises différentes, m'envoya dire de faire plus attention aux noms qu'on me donnait, et surtout d'annoncer plus naturellement.

Cette observation, formulée à haute voix devant l'antichambre avec une certaine brutalité, m'indisposa beaucoup, m'empêcha—en ferai-je l'aveu? —de plaindre ce gros parvenu quand j'appris, au courant de la soirée, que de cruelles épines se glissaient dans son lit de roses. De dix heures et demie à minuit, le timbre ne cessa de retentir, les voitures de rouler sous le porche, les invités de se succéder, députés, sénateurs, conseillers d'État, conseillers municipaux qui avaient bien plus l'air de venir à une réunion d'actionnaires qu'à une soirée de gens du monde.

A quoi cela tenait-il? Je ne parvenais pas à m'en rendre compte, mais un mot du suisse Nicklauss m'ouvrit les yeux. «Remarquez-vous, M.

Passajon, me dit ce brave serviteur, debout en face de moi, la hallebarde au poing, remarquez-vous comme nous avons peu de dames?» C'était cela, pardieu!...

Et nous n'étions pas que nous deux à faire la remarque.

A chaque nouvel arrivant, j'entendais le Nabab, qui se tenait près de la porte, s'écrier avec consternation de sa grosse voix de Marseillais enrhumé: «Tout seul?» L'invité s'excusait tout bas...

Mn mn mn mn...

sa dame un peu souffrante...

Bien regretté certainement...

Puis il en arrivait un autre; et la même question amenait la même réponse. A force d'entendre ce mot de «tout seul,» on avait fini par en plaisanter à l'antichambre; chasseurs et valets de pied se le jetaient de l'un à l'autre quand entrait un invité nouveau «tout seul!» Et l'on riait, on se faisait du bon sang...

Mais M.

Nicklauss, avec sa grande habitude du monde, trouvait que cette abstention à peu près générale du sexe n'était pas naturelle. «Ça doit être l'article du Messager,» disait-il. Tout le monde en parlait de ce matin d'article, et devant la glace entourée de fleurs où chaque invité se contrôlait avant d'entrer, je surprenais des bouts de dialogue à voix basse dans ce genre-ci: «Vous avez lu? —C'est épouvantable. —Croyez-vous la chose possible? —Je n'en sais rien.

En tout cas, j'ai préféré ne pas amener ma femme. —J'ai fait comme vous...

Un homme peut aller partout sans se compromettre... —Certainement...

Tandis qu'une femme...» Puis ils entraient, le claque sous le bras, avec cet air vainqueur des hommes mariés que leurs épouses n'accompagnent pas.

Le nabab, tome II XV.

MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU.

A L'ANTICHAMBRE.

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