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Le nabab, tome II bey, lui, croyant qu'on avait voulu le mystifier, de le conduire ainsi devant le mercanti détesté, regarda l'inspecteur avec méfiance: «Jansoulet?

Publié le 11/04/2014

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Le nabab, tome II bey, lui, croyant qu'on avait voulu le mystifier, de le conduire ainsi devant le mercanti détesté, regarda l'inspecteur avec méfiance: «Jansoulet?... dit-il de sa voix gutturale. --Oui, Altesse, Bernard Jansoulet, le nouveau député de la Corse...» Cette fois le bey se tourna vers Hemerlingue, le sourcil froncé. «Député? --Oui, Monseigneur, depuis ce matin; mais rien n'est encore terminé.» Et le banquier, haussant la voix, ajouta en bredouillant: «Jamais une Chambre française ne voudra de cet aventurier.» N'importe! le coup était porté à l'aveugle confiance du bey dans son baron financier. Il lui avait si bien affirmé que l'autre ne serait jamais élu, qu'on pouvait agir librement et sans crainte à son endroit. Et voici qu'au lieu de l'homme taré, terrassé, un représentant de la nation se dressait devant lui, un député dont les Parisiens venaient admirer la figure de pierre; car, pour l'Oriental, une idée honorifique se mêlant malgré tout à cette exposition publique, ce buste avait le prestige d'une statue dominant une place. Plus jaune encore que de coutume, Hemerlingue s'accusait en lui-même de maladresse et d'imprudence. Mais comment se serait-il douté d'une chose pareille? On lui avait assuré que le buste n'était pas fini. Et, de fait, il se trouvait là du matin même et semblait s'y trouver bien, frémissant d'orgueil satisfait, narguant ses ennemis avec le sourire bon enfant de sa lèvre retroussée. Une vraie revanche silencieuse au désastre de Saint-Romans. Pendant quelques minutes, le bey, aussi froid, aussi impassible que l'image sculptée, la fixa sans rien dire, le front partagé d'un pli droit où les courtisans seuls pouvaient lire sa colère; puis, après deux mots rapides en arabe pour demander les voitures et rassembler la suite dispersée, il s'achemina gravement vers la sortie sans vouloir plus rien regarder... Qui dira ce qui se passe dans ces augustes cervelles blasées de puissance? Déjà nos souverains d'Occident ont des fantaisies incompréhensibles; mais ce n'est rien à côté des caprices orientaux. M. l'inspecteur des Beaux-Arts, qui comptait bien montrer toute l'exposition à Son Altesse et gagner à cette promenade le joli ruban rouge et vert du Nicham-Iftikahr, ne sut jamais le secret de cette soudaine fuite. Au moment où les haïcks blancs disparaissaient sous le porche, juste à temps pour voir flotter leurs derniers plis, le Nabab faisait son entrée par la porte du milieu. Le matin, il avait reçu la nouvelle: «_Élu à une écrasante majorité;» et après un plantureux déjeuner, où l'on avait fortement toasté au nouveau député de la Corse, il venait, avec quelques-uns de ses convives, se montrer, se voir aussi, jouir de toute sa gloire nouvelle. Le première personne qu'il aperçut en arrivant, ce fut Félicia Ruys, debout, appuyée au socle d'une statue, entourée de compliments et d'hommages auxquels il se hâta de venir mêler les siens. Elle était simplement mise, drapée dans un costume noir brodé et chamarré de jais, tempérant la sévérité de sa tenue par un scintillement de reflets et l'éclat d'un ravissant [illisible] chapeau tout en plumes de lophophores, dont ses cheveux frisés fin sur le front, divisant la nuque en larges ondes, semblaient continuer et adoucir le chatoiement. Une foule d'artistes, de gens du monde, s'empressaient devant tant de génie allié à tant de beauté; et Jenkins, la tête nue, tout bouffant d'effusions chaleureuses, s'en allait de l'un à l'autre, raccolant les enthousiasmes, mais élargissant le cercle autour de cette jeune gloire dont il se faisait à la fois le gardien et le coryphée. Sa femme XIV. L'EXPOSITION 11 Le nabab, tome II s'entretenait pendant ce temps avec la jeune fille. Pauvre madame Jenkins! On lui avait dit de cette voix féroce qu'elle seule connaissait: «Il faut que vous alliez saluer Félicia...» Et elle y était allée, contenant son émotion: car elle savait maintenant ce qui se cachait au fond de cette affection paternelle, quoiqu'elle évitât toute explication avec le docteur, comme si elle en avait craint l'issue. Après madame Jenkins, c'est le Nabab qui se précipite, et prenant entre ses deux grosses pattes les deux mains long et finement gantées de l'artiste, exprime sa reconnaissance avec une cordialité qui lui met à lui-même des larmes dans les yeux. «C'est un grand honneur que vous m'avez fait, Mademoiselle, d'associer mon nom au vôtre, mon humble personne à votre triomphe, et de prouver à toute cette vermine en train de me ronger les talons que vous ne croyez pas aux calomnies répandues sur mon compte. Vrai, c'est inoubliable. J'aurai beau couvrir d'or et de diamants ce buste magnifique, je vous le devrai toujours...» Heureusement pour le bon Nabab, plus sensible qu'éloquent, il est obligé de faire place à tout ce qu'attire le talent rayonnant, la personnalité en vue: des enthousiasmes frénétiques qui, faute d'un mot pour s'exprimer, disparaissent comme ils sont venus, des admirations mondaines, animées de bonne volonté, d'un vif désir de plaire, mais dont chaque parole est une douche d'eau froide, et puis les solides poignées de main des rivaux, des camarades, quelques-unes très franches, d'autres qui vous communiquent la mollesse de leur empreinte; le grand dadais prétentieux dont l'éloge imbécile doit vous transporter d'aise et qui, pour ne point trop vous gâter, l'accompagne «de quelques petites réserves,» et celui qui, en vous accablant de compliments, vous démontre que vous ne savez pas le premier mot du métier, et le bon garçon affairé qui s'arrête juste le temps de vous dire dans l'oreille «que Chose, le fameux critique, n'a pas l'air content.» Félicia écoutait tout avec le plus grand calme, soulevée par son succès au-dessus des petitesses de l'envie, et toute fière quand un vétéran glorieux, quelque vieux compagnon de son père lui jetait un «c'est très bien, petiote!» qui la reportait au passé, au petit coin jadis réservé pour elle dans l'atelier paternel, alors qu'elle commençait à se tailler un peu de gloire dans la renommée du grand Ruys. Mais, en somme, les félicitations la laissaient assez froide, parce qu'il lui en manquait une plus désirable que toute autre et qu'elle s'étonnait de n'avoir pas encore reçue... Décidément elle pensait à lui plus qu'elle n'avait pensé à aucun homme. Était-ce enfin l'amour, le grand amour si rare dans une âme d'artiste incapable de se donner tout entière au sentiment, ou bien un simple rêve de vie honnête et bourgeoise, bien abritée contre l'ennui, ce plat ennui, précurseur de tempêtes, dont elle avait tant le droit de se méfier? En tout cas, elle s'y trompait, vivait depuis quelques jours dans un trouble délicieux, car l'amour est si fort, si beau, que ses semblants, ses mirages nous leurrent et peuvent nous émouvoir autant que lui-même. Vous est-il quelquefois arrivé dans la rue, préoccupé d'un absent dont la pensée vous tient au coeur, d'être averti de sa rencontre par celle de quelques personnes qui lui ressemblent vaguement, images préparatoires, esquisses du type près de surgir tout à l'heure, et qui sortent pour vous de la foule comme des appels successifs à votre attention surexcitée? Ce sont là des impressions magnétiques et nerveuses dont il ne faut pas trop sourire, parce qu'elles constituent une faculté de souffrance. Déjà, dans le flot remuant et toujours renouvelé des visiteurs, Félicia avait cru reconnaître à plusieurs reprises la tête bouclée de Paul de Géry, quand tout à coup elle poussa un cri de joie. Ce n'était pas encore lui pourtant, mais quelqu'un qui lui ressemblait beaucoup, dont la physionomie régulière et paisible se mêlait toujours maintenant dans son esprit à celle de l'ami Paul par l'effet d'une ressemblance plus morale que physique et l'autorité douce qu'ils exerçaient tous deux sur sa pensée. «Aline! --Félicia!» XIV. L'EXPOSITION 12

« s'entretenait pendant ce temps avec la jeune fille.

Pauvre madame Jenkins! On lui avait dit de cette voix féroce qu'elle seule connaissait: «Il faut que vous alliez saluer Félicia...» Et elle y était allée, contenant son émotion: car elle savait maintenant ce qui se cachait au fond de cette affection paternelle, quoiqu'elle évitât toute explication avec le docteur, comme si elle en avait craint l'issue. Après madame Jenkins, c'est le Nabab qui se précipite, et prenant entre ses deux grosses pattes les deux mains long et finement gantées de l'artiste, exprime sa reconnaissance avec une cordialité qui lui met à lui-même des larmes dans les yeux. «C'est un grand honneur que vous m'avez fait, Mademoiselle, d'associer mon nom au vôtre, mon humble personne à votre triomphe, et de prouver à toute cette vermine en train de me ronger les talons que vous ne croyez pas aux calomnies répandues sur mon compte.

Vrai, c'est inoubliable.

J'aurai beau couvrir d'or et de diamants ce buste magnifique, je vous le devrai toujours...» Heureusement pour le bon Nabab, plus sensible qu'éloquent, il est obligé de faire place à tout ce qu'attire le talent rayonnant, la personnalité en vue: des enthousiasmes frénétiques qui, faute d'un mot pour s'exprimer, disparaissent comme ils sont venus, des admirations mondaines, animées de bonne volonté, d'un vif désir de plaire, mais dont chaque parole est une douche d'eau froide, et puis les solides poignées de main des rivaux, des camarades, quelques-unes très franches, d'autres qui vous communiquent la mollesse de leur empreinte; le grand dadais prétentieux dont l'éloge imbécile doit vous transporter d'aise et qui, pour ne point trop vous gâter, l'accompagne «de quelques petites réserves,» et celui qui, en vous accablant de compliments, vous démontre que vous ne savez pas le premier mot du métier, et le bon garçon affairé qui s'arrête juste le temps de vous dire dans l'oreille «que Chose, le fameux critique, n'a pas l'air content.» Félicia écoutait tout avec le plus grand calme, soulevée par son succès au-dessus des petitesses de l'envie, et toute fière quand un vétéran glorieux, quelque vieux compagnon de son père lui jetait un «c'est très bien, petiote!» qui la reportait au passé, au petit coin jadis réservé pour elle dans l'atelier paternel, alors qu'elle commençait à se tailler un peu de gloire dans la renommée du grand Ruys.

Mais, en somme, les félicitations la laissaient assez froide, parce qu'il lui en manquait une plus désirable que toute autre et qu'elle s'étonnait de n'avoir pas encore reçue... Décidément elle pensait à lui plus qu'elle n'avait pensé à aucun homme.

Était-ce enfin l'amour, le grand amour si rare dans une âme d'artiste incapable de se donner tout entière au sentiment, ou bien un simple rêve de vie honnête et bourgeoise, bien abritée contre l'ennui, ce plat ennui, précurseur de tempêtes, dont elle avait tant le droit de se méfier? En tout cas, elle s'y trompait, vivait depuis quelques jours dans un trouble délicieux, car l'amour est si fort, si beau, que ses semblants, ses mirages nous leurrent et peuvent nous émouvoir autant que lui-même. Vous est-il quelquefois arrivé dans la rue, préoccupé d'un absent dont la pensée vous tient au coeur, d'être averti de sa rencontre par celle de quelques personnes qui lui ressemblent vaguement, images préparatoires, esquisses du type près de surgir tout à l'heure, et qui sortent pour vous de la foule comme des appels successifs à votre attention surexcitée? Ce sont là des impressions magnétiques et nerveuses dont il ne faut pas trop sourire, parce qu'elles constituent une faculté de souffrance.

Déjà, dans le flot remuant et toujours renouvelé des visiteurs, Félicia avait cru reconnaître à plusieurs reprises la tête bouclée de Paul de Géry, quand tout à coup elle poussa un cri de joie.

Ce n'était pas encore lui pourtant, mais quelqu'un qui lui ressemblait beaucoup, dont la physionomie régulière et paisible se mêlait toujours maintenant dans son esprit à celle de l'ami Paul par l'effet d'une ressemblance plus morale que physique et l'autorité douce qu'ils exerçaient tous deux sur sa pensée. «Aline! —Félicia!» Le nabab, tome II XIV.

L'EXPOSITION 12. »

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