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Le Puy-en-Velay (1860). Sand

Publié le 21/06/2011

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George Sand aime encore plus la nature que l'humanité. Ses romans contiennent de larges et complaisantes descriptions des pays où va se dérouler l'intrigue. Pour le lecteur moderne, ce sont là des longueurs; en réalité, " quand la description est signée George Sand, là est le véritable intérêt du livre : une intrigue se démode, la vraie poésie est éternelle. Les élèves étudieront la composition savante de ce morceau, qui procède d'abord par comparaisons; puis le peintre indique les plans; enfin la ville prend place dans le cadre. Rien, mon ami, ne peut te donner l'idée de la beauté pittoresque de ce bassin du Puy, et je ne connais point de site dont le caractère soit plus difficile à décrire. Ce n'est pas la Suisse, c'est moins terrible; ce n'est pas l'Italie, c'est plus beau; c'est la France centrale, avec tous ses vésuves éteints et revêtus d'une splendide végétation; ce n'est pourtant ni l'Auvergne, ni le Limousin, que tu connais. Ici, point de riche Limagne, arène vaste et tranquille de moissons et de prairies abritées au loin par un horizon de montagnes soudées ensemble; point de plateaux fertiles fermés de fossés naturels. Non, tout est cime et ravin, et la culture ne peut s'emparer que de profondeurs resserrées et de versants rapides. Elle s'en empare, elle se glisse partout, jetant ses frais tapis de verdure, de céréales, de légumineuses avides de la cendre fertilisée des volcans, jusque dans les interstices des coulées de lave qui la rayent dans tous les sens. A chaque détour anguleux de ces coulées, on entre dans un désordre nouveau qui semble aussi infranchissable que celui que l'on quitte; mais quand, des bords élevés de cette enceinte tourmentée, on peut l'embrasser d'un coup d'oeil, on y retrouve les vastes proportions et les suaves harmonies qui font qu'un tableau est admirable, et que l'imagination n'y peut rien ajouter. L'horizon est grandiose. Ce sont d'abord les Cévennes. Dans un lointain brumeux, on distingue le Mézenc, avec ses longues pentes et ses brusques coupures, derrière lesquelles se dresse le Gerbier de; Joncs, cône volcanique qui rappelle le Soracte, mais qui, partant d'une base plus imposante, fait un plus grand effet. D'autres montagnes de formes variées, les unes imitant dans leurs formes hémisphériques les ballons vosgiens, les autres plantées en murailles droites, çà et là vigoureusement ébréchées, circonscrivent un espace de ciel aussi vaste que celui de la campagne de Rome, mais profondément creusé en coupe, comme si tous les volcans qui ont labouré cette région eussent été contenus dans un cratère commun d'une dimension fabuleuse. Au-dessous de cette magnifique ceinture, les détails du tableau se dessinent parfois avec une prodigieuse netteté. On distingue une seconde, une troisième, et par endroits une quatrième enceinte de montagnes également variées de formes, s'abaissant par degrés vers le niveau central des trois rivières qui sillonnent ce qu'on peut appeler la plaine; mais cette plaine n'est qu'une apparence relative; il n'est pas un point de sol qui n'ait été soulevé, tordu ou crevassé par les convulsions géologiques. Ces accidents énormes ont jailli du sein de cette vallée, et, dénudés par l'action des eaux, ils forment aujourd'hui ces dykes monstrueux qu'on trouve déjà en Auvergne, mais qui se présentent ici avec d'autres formes et dans de plus vastes proportions. Ce sont des blocs d'un noir rougeâtre qu'on dirait encore brûlants, et qui, au coucher du soleil, prennent l'aspect de la braise à demi éteinte. Sur leurs vastes plates-formes, taillées à pic et dont les flancs se renflent parfois en forme de tours et de bastions, les habitants bâtirent des temples, puis des forteresses et des églises, enfin des villages. Le Puy est en partie dressé sur la base d'un de ces dykes, le rocher Corneille, une des masses homogènes les plus monumentales qui existent, et dont le sommet, jadis consacré aux dieux de la Gaule, puis à ceux de Rome, porte encore les débris d'une citadelle du moyen âge, et domine les coupoles romanes d'une admirable basilique tirée de son flanc. Cette basilique est elle-même un accident grandiose dans Ce grandiose décor naturel. Elle se découpe, noire et puissante, sur les fonds vaporeux des lointains de la campagne, car dans ce tableau, vu d'ensemble, l'horizon des Cévennes se détache seul sur le ciel, et là, je crois, est le secret de son magique aspect. Les détails, vus ainsi comme repoussoirs à des perspectives profondes, prennent toute l'importance qu'ils ont effectivement et se trouvent en proportion avec l'importance des masses lointaines. C'est l'isolement de Rome sur son ciel sans bornes qui fait que la grandeur réelle de ses monuments est difficilement appréciable à celui qui en approche. Rome, c'est ici qu'elle devrait être située ! C'est ce gigantesque piédestal d'une seule roche qu'il eût fallu à la pensée de Michel-Ange pour lancer dans les airs le dôme magistral de Saint-Pierre.

(Le Marquis de Villemer, 95-98, Calmann-Lévy, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une description. — Description d'une région : laquelle? (la délimiter). — A quelle figure de style a recours assez fréquemment G. Sand, dans la première partie du morceau, pour arriver à nous donner une idée exacte du pays qu'elle décrit ? (Ce n'est pas la Suisse... ; ce n'est pas l'Italie...); De quelles montagnes élevées faisant partie de l'enceinte du bassin du Puy, jette-t-elle un coup d'oeil d'ensemble sur la région ? (consulter la carte); Dans une aussi large description, quels traits essentiels s'attache-t-elle surtout à bien accuser? Pouvait-elle s'arrêter aux détails? — et cependant, à deux reprises différentes, elle parle de détails : que désigne-t-elle par ce mot? Dégagez l'impression générale que vous laisse cette description.

II. —L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties de ce morceau : a) Le bassin du Puy, décrit comme il peut l'être, si l'on se borne à le parcourir (région tourmentée, difficile à décrire; tout est cime et ravin); b) La vue panoramique de ce bassin (l'auteur se place sur lés bords élevés de la ceinture, — à l'ouest du bassin évidemment, —graduellement, ses regards vont des parties les plus hautes à la plaine, puis à la ville du Puy, où ils se fixent; — la forme générale de la région est celle d'une coupe). Cinq pointa sont à étudier dans cette deuxième partie : la haute ceinture lointaine, — les ceintures moins' élevées, qui s'abaissent par degrés au-dessous de la précédente, — la plaine du Puy, — la ville, —la basilique; Pourquoi la région du Puy ne peut-elle pas rappeler la Limagne? D'où proviennent les blocs énormes d'un noir rougeâtre que présente la plaine du Puy? Citez-en un.

III. — Le style; — les expressions. — G. Sand parait se plaire à décrire la région du Puy, dont le « grandiose décor « l'a séduite : montrez le pittoresque du style (la Limagne, arène vaste et tranquille... ; la végétation se glisser partout... ; un espace creusé en coupe...; pour lancer dans les airs le dôme magistral de Saint-Pierre...), — sa précision (montagnes soudées ensemble...; blocs d'un noir rougeâtre...), — sa poésie (la végétation jette partout ses frais tapis de verdure...; les fonds vaporeux des lointains...; le magique aspect de la cathédrale...) ; Le mot grandiose revient trois fois dans la description : quel est le sens de ce mot? Vous parait-il caractériser exactement le pays décrit? Vous serait-il facile de le remplacer par une expression synonyme? (indiquer quelques synonymes); Pourquoi dirait-on que certains blocs sont encore brûlants? Qu'est-ce qu'un piédestal? -- un gigantesque piédestal?

IV. — La grammaire. — Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du 'morceau; — nature de chacune d'elles ; Nature et fonction de chacun des pronoms employés dans cette phrase.

Rédaction. — Vous avez visité une région montagneuse : décrivez l'un des sites de celte région qui vous ont le plus frappé.

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