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Le Rouge et Le Noir Le voir, le tirer par sa grande jaquette, le faire tomber de son siège et l'accabler de coups de cravache ne fut que l'affaire d'un instant.

Publié le 12/04/2014

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Le Rouge et Le Noir Le voir, le tirer par sa grande jaquette, le faire tomber de son siège et l'accabler de coups de cravache ne fut que l'affaire d'un instant. Deux laquais voulurent défendre leur camarade; Julien reçut des coups de poing: au même instant il arma un de ses petits pistolets et le tira sur eux; ils prirent la fuite. Tout cela fut l'affaire d'une minute. Le chevalier de Beauvoisis descendait l'escalier avec la gravité la plus plaisante, répétant avec sa prononciation de grand seigneur: Qu'est ça? qu'est ça? Il était évidemment fort curieux, mais l'importance diplomatique ne lui permettait pas de marquer plus d'intérêt. Quand il sut de quoi il s'agissait, la hauteur le disputa encore dans ses traits au sang-froid légèrement badin qui ne doit jamais quitter une figure de diplomate. Le lieutenant du 96e comprit que M. de Beauvoisis avait envie de se battre; il voulut diplomatiquement aussi conserver à son ami les avantages de l'initiative. Pour le coup, s'écria-t-il, il y a là matière à duel! Je le croirais assez, reprit le diplomate. Je chasse ce coquin, dit-il à ses laquais; qu'un autre monte. On ouvrit la portière de la voiture: le chevalier voulut absolument en faire les honneurs à Julien et à son témoin. On alla chercher un ami de M. de Beauvoisis, qui indiqua une place tranquille. La conversation en allant fut vraiment bien. Il n'y avait de singulier que le diplomate en robe de chambre. "Ces messieurs, quoique très nobles, pensa Julien, ne sont point ennuyeux comme les personnes qui viennent dîner chez M. de La Mole, et je vois pourquoi, ajouta-t-il un instant après ils se permettent d'être indécents. "On parlait des danseuses que le public avait distinguées dans un ballet donné la veille. Ces messieurs faisaient allusion à des anecdotes piquantes que Julien et son témoin, le lieutenant du 96e, ignoraient absolument. Julien n'eut point la sottise de prétendre les savoir; il avoua de bonne grâce son ignorance. Cette franchise plut à l'ami du chevalier, il lui raconta ces anecdotes dans les plus grands détails, et fort bien. Une chose étonna infiniment Julien. Un reposoir que l'on construisait au milieu de la rue, pour la procession de la Fête-Dieu, arrêta un instant la voiture. Ces messieurs se permirent plusieurs plaisanteries; le curé, suivant eux, était fils d'un archevêque. Jamais chez le marquis de La Mole, qui voulait être duc, on n'eût osé prononcer un tel mot. Le duel fut fini en un instant: Julien eut une balle dans le bras, on le lui serra avec des mouchoirs; on les mouilla avec de l'eau-de-vie et le chevalier de Beauvoisis pria Julien très poliment de lui permettre de le reconduire chez lui dans la même voiture qui l'avait amené. Quand Julien indiqua l'hôtel de La Mole, il y eut échange de regards entre le jeune diplomate et son ami. Le fiacre de Julien était là, mais il trouvait la conversation de ces messieurs infiniment plus amusante que celle du bon lieutenant du 96e. "Mon Dieu! un duel, n'est-ce que ça? pensait Julien. Que je suis heureux d'avoir retrouvé ce cocher! Quel serait mon malheur, si j'avais dû supporter encore cette injure dans un café!" La conversation amusante n'avait presque pas été interrompue. Julien comprit alors que l'affectation diplomatique est bonne à quelque chose. "L'ennui n'est donc point inhérent, se disait-il, à une conversation entre gens de haute naissance! Ceux-ci plaisantent de la procession de la Fête-Dieu, ils osent raconter et avec détails pittoresques des anecdotes fort CHAPITRE VI. MANIERE DE PRONONCER 154 Le Rouge et Le Noir scabreuses. Il ne leur manque absolument que le raisonnement sur la chose politique, et ce manque-là est plus que compensé par la grâce de leur ton et la parfaite justesse de leurs expressions. "Julien se sentait une vive inclination pour eux. "Que je serais heureux de les voir souvent!" A peine se fut-on quitté, que le chevalier de Beauvoisis courut aux informations . elles ne furent pas brillantes. Il était fort curieux de connaître son homme; pouvait-il décemment lui faire une visite? Le peu de renseignements qu'il put obtenir n'étaient pas d'une nature encourageante. Tout cela est affreux! dit-il à son témoin. Il est impossible que j'avoue m'être battu avec un simple secrétaire de M. de La Mole, et encore parce que mon cocher m'a volé mes cartes de visite. Il est sûr qu'il y aurait dans tout cela possibilité de ridicule. Le soir même, le chevalier de Beauvoisis et son ami dirent partout que ce M. Sorel, d'ailleurs un jeune homme parfait, était fils naturel d'un ami intime du marquis de La Mole. Ce fait passa sans difficulté. Une fois qu'il fut établi, le jeune diplomate et son ami daignèrent faire quelques visites à Julien, pendant les quinze jours qu'il passa dans sa chambre. Julien leur avoua qu'il n'était allé qu'une fois en sa vie à l'Opéra. Cela est épouvantable, lui dit-on, on ne va que là; il faut que votre première sortie soit pour le Comte Ory. A l'Opéra, le chevalier de Beauvoisis le présenta au fameux chanteur Geronimo, qui avait alors un immense succès. Julien faisait presque la cour au chevalier; ce mélange de respect pour soi-même, d'importance mystérieuse et de fatuité de jeune homme l'enchantait. Par exemple le chevalier bégayait un peu, parce qu'il avait l'honneur de voir souvent un grand seigneur qui avait ce défaut. Jamais Julien n'avait trouvé réunis dans un seul être le ridicule qui amuse et la perfection des manières qu'un pauvre provincial doit chercher à imiter. On le voyait à l'Opéra avec le chevalier de Beauvoisis; cette liaison fit prononcer son nom. Eh bien! lui dit un jour M. de La Mole, vous voilà donc le fils naturel d'un riche gentilhomme de Franche-Comté, mon ami intime? Le marquis coupa la parole à Julien, qui voulait protester qu'il n'avait contribué en aucune façon à accréditer ce bruit. M. de Beauvoisis n'a pas voulu s'être battu contre le fils d'un charpentier. Je le sais, je le sais, dit M. de La Mole; c'est à moi maintenant de donner de la consistance à ce récit, qui me convient. Mais j'ai une grâce à vous demander, et qui ne vous coûtera qu'une petite demi-heure de votre temps: tous les jours d'Opéra, à onze heures et demie, allez assister dans le vestibule à la sortie du beau monde. Je vous vois encore quelquefois des façons de province, il faudrait vous en défaire, d'ailleurs il n'est pas mal de connaître, au moins de vue, de grands personnages auprès desquels je puis un jour vous donner quelque mission. Passez au bureau de location pour vous faire reconnaître; on vous a donné les entrées. CHAPITRE VII. UNE ATTAQUE DE GOUTTE Et j'eus de l'avancement, non pour mon mérite, mais parce que mon maître avait la goutte. CHAPITRE VII. UNE ATTAQUE DE GOUTTE 155

« scabreuses.

Il ne leur manque absolument que le raisonnement sur la chose politique, et ce manque-là est plus que compensé par la grâce de leur ton et la parfaite justesse de leurs expressions.

"Julien se sentait une vive inclination pour eux.

"Que je serais heureux de les voir souvent!" A peine se fut-on quitté, que le chevalier de Beauvoisis courut aux informations .

elles ne furent pas brillantes. Il était fort curieux de connaître son homme; pouvait-il décemment lui faire une visite? Le peu de renseignements qu'il put obtenir n'étaient pas d'une nature encourageante. \24Tout cela est affreux! dit-il à son témoin.

Il est impossible que j'avoue m'être battu avec un simple secrétaire de M.

de La Mole, et encore parce que mon cocher m'a volé mes cartes de visite. \24Il est sûr qu'il y aurait dans tout cela possibilité de ridicule. Le soir même, le chevalier de Beauvoisis et son ami dirent partout que ce M.

Sorel, d'ailleurs un jeune homme parfait, était fils naturel d'un ami intime du marquis de La Mole.

Ce fait passa sans difficulté.

Une fois qu'il fut établi, le jeune diplomate et son ami daignèrent faire quelques visites à Julien, pendant les quinze jours qu'il passa dans sa chambre.

Julien leur avoua qu'il n'était allé qu'une fois en sa vie à l'Opéra. \24Cela est épouvantable, lui dit-on, on ne va que là; il faut que votre première sortie soit pour le Comte Ory. A l'Opéra, le chevalier de Beauvoisis le présenta au fameux chanteur Geronimo, qui avait alors un immense succès. Julien faisait presque la cour au chevalier; ce mélange de respect pour soi-même, d'importance mystérieuse et de fatuité de jeune homme l'enchantait.

Par exemple le chevalier bégayait un peu, parce qu'il avait l'honneur de voir souvent un grand seigneur qui avait ce défaut.

Jamais Julien n'avait trouvé réunis dans un seul être le ridicule qui amuse et la perfection des manières qu'un pauvre provincial doit chercher à imiter. On le voyait à l'Opéra avec le chevalier de Beauvoisis; cette liaison fit prononcer son nom. \24Eh bien! lui dit un jour M.

de La Mole, vous voilà donc le fils naturel d'un riche gentilhomme de Franche-Comté, mon ami intime? Le marquis coupa la parole à Julien, qui voulait protester qu'il n'avait contribué en aucune façon à accréditer ce bruit. \24M.

de Beauvoisis n'a pas voulu s'être battu contre le fils d'un charpentier. \24Je le sais, je le sais, dit M.

de La Mole; c'est à moi maintenant de donner de la consistance à ce récit, qui me convient.

Mais j'ai une grâce à vous demander, et qui ne vous coûtera qu'une petite demi-heure de votre temps: tous les jours d'Opéra, à onze heures et demie, allez assister dans le vestibule à la sortie du beau monde.

Je vous vois encore quelquefois des façons de province, il faudrait vous en défaire, d'ailleurs il n'est pas mal de connaître, au moins de vue, de grands personnages auprès desquels je puis un jour vous donner quelque mission.

Passez au bureau de location pour vous faire reconnaître; on vous a donné les entrées. CHAPITRE VII.

UNE ATTAQUE DE GOUTTE Et j'eus de l'avancement, non pour mon mérite, mais parce que mon maître avait la goutte.

Le Rouge et Le Noir CHAPITRE VII.

UNE ATTAQUE DE GOUTTE 155. »

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