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Le Rouge et Le Noir Les façons de ces gens-là blessaient M.

Publié le 12/04/2014

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Le Rouge et Le Noir Les façons de ces gens-là blessaient M. de Rênal. La grossièreté du Valenod n'était offensée de rien, pas même des démentis que le petit abbé Maslon ne lui épargnait pas en public. Mais, au milieu de cette prospérité, M. Valenod avait besoin de se rassurer, par de petites insolences de détail contre les grosses vérités qu'il sentait bien que tout lé monde était en droit de lui adresser. Son activité avait redoublé depuis les craintes que lui avait laissées la visite de M. Appert; il avait fait trois voyages à Besançon; il écrivait plusieurs lettres chaque courrier; il en envoyait d'autres par des inconnus qui passaient chez lui à la tombée de la nuit. Il avait eu tort peut-être de faire destituer le vieux curé Chélan; car cette démarche vindicative l'avait fait regarder, par plusieurs dévotes de bonne naissance, comme un homme profondément méchant. D'ailleurs ce service rendu l'avait mis dans la dépendance absolue de M. le grand vicaire de Frilair, et il en recevait d'étranges commissions. Sa politique en était à ce point, lorsqu'il céda au plaisir d'écrire une lettre anonyme. Pour surcroît d'embarras sa femme lui déclara qu'elle voulait avoir Julien chez elle; sa vanité s'en était coiffée. Dans cette position, M. Valenod prévoyait une scène décisive avec son ancien confédéré M. de Rênal. Celui-ci lui adresserait des paroles dures, ce qui lui était assez égal; mais il pouvait écrire à Besançon et même à Paris. Un cousin de quelque ministre pouvait tomber tout à coup à Verrières, et prendre le dépôt de mendicité. M. Valenod pensa à se rapprocher des libéraux: c'est pour cela que plusieurs étaient invités au dîner où Julien récita. Il aurait été puissamment soutenu contre le maire. Mais des élections pouvaient survenir, et il était trop évident que le dépôt et un mauvais vote étaient incompatibles. Le récit de cette politique fort bien devinée par Mme de Rênal, avait été fait à Julien, pendant qu'il lui donnait le bras pour aller d'une boutique à l'autre, et peu à peu les avait entraînés au COURS DE LA FIDÉLITÉ, où ils passèrent plusieurs heures, presque aussi tranquilles qu'à Vergy. Pendant ce temps, M. Valenod essayait d'éloigner une scène décisive avec son ancien patron, en prenant lui-même l'air audacieux envers lui. Ce jour-là ce système réussit, mais augmenta l'humeur du maire. Jamais la vanité aux prises avec tout ce que le petit amour de l'argent peut avoir de plus âpre et de plus mesquin n'ont mis un homme dans un plus piètre état que celui où se trouvait M. de Rênal, en entrant au cabaret. Jamais au contraire ses enfants n'avaient été plus joyeux et plus gais. Ce contraste acheva de le piquer. Je suis de trop dans ma famille, à ce que je puis voir! dit-il en entrant, d'un ton qu'il voulut rendre imposant. Pour toute réponse, sa femme le prit à part, et lui exprima la nécessité d'éloigner Julien. Les heures de bonheur qu'elle venait de trouver lui avaient rendu l'aisance et la fermeté nécessaires pour suivre le plan de conduite qu'elle méditait depuis quinze jours. Ce qui achevait de troubler de fond en comble le pauvre maire de Verrières, c'est qu'il savait que l'on plaisantait publiquement dans la ville sur son attachement pour l'espèce. M. Valenod était généreux comme un voleur, et lui, il s'était conduit d'une manière plus prudente que brillante dans les cinq ou dix dernières quêtes pour la confrérie de Saint-Joseph, pour la congrégation de la Vierge, pour la congrégation du Saint-Sacrement, etc., etc., etc. Parmi les hobereaux de Verrières et des environs adroitement classés sur le registre des frères collecteurs d'après le montant de leurs offrandes, on avait vu plus d'une fois le nom de M. de Rênal occuper la dernière ligne. En vain disait-il que lui ne gagnait rien. Le clergé ne badine pas sur cet article. CHAPITRE XXIII. CHAGRINS D'UN FONCTIONNAIRE Il piacere di alzar la testa tutto l'anno, è ben pagato da certi quarti d'ora che bisogna passar. CASTI. CHAPITRE XXIII. CHAGRINS D'UN FONCTIONNAIRE 82 Le Rouge et Le Noir Mais laissons ce petit homme à ses petites craintes pourquoi a-t-il pris dans sa maison un homme de coeur tandis qu'il lui fallait l'âme d'un valet? Que ne sait-il choisir ses gens? La marche ordinaire du XIXe siècle est que, quand un être puissant et noble rencontre un homme de coeur, il le tue, l'exile, l'emprisonne ou l'humilie tellement, que l'autre a la sottise d'en mourir de douleur. Par hasard ici, ce n'est pas encore l'homme de coeur qui souffre. Le grand malheur des petites villes de France et des gouvernements par élections comme celui de New York, c'est de ne pas pouvoir oublier qu'il existe au monde des êtres comme M. de Rênal. Au milieu d'une ville de vingt mille habitants, ces hommes font l'opinion publique, et l'opinion publique est terrible dans un pays qui a la charte. Un homme doué d'une âme noble, généreuse, et qui eût été votre ami, mais qui habite à cent lieues, juge de vous par l'opinion publique de votre ville, laquelle est faite par les sots que le hasard a fait naître nobles, riches et modérés. Malheur à qui se distingue. Aussitôt après le dîner, on repartit pour Vergy; mais, dès le surlendemain, Julien vit revenir toute la famille à Verrières. Une heure ne s'était pas écoulée, qu'à son grand étonnement, il découvrit que Mme de Rênal lui faisait mystère de quelque chose. Elle interrompait ses conversations avec son mari dès qu'il paraissait et semblait presque désirer qu'il s'éloignât. Julien né se fit pas donner deux fois cet avis. Il devint froid et réservé; Mme de Rênal s'en aperçut et ne chercha pas d'explication. "Va-t-elle me donner un successeur? pensa Julien. Avant-hier encore, si intime avec moi! Mais on dit que c'est ainsi que ces grandes dames en agissent. C'est comme les rois, jamais plus de prévenances qu'au ministre qui, en rentrant chez lui, va trouver sa lettre de disgrâce." Julien remarqua que dans ces conversations, qui cessaient brusquement à son approche, il était souvent question d'une grande maison appartenant à la commune de Verrières, vieille, mais vaste et commode, et située vis-à-vis l'église, dans l'endroit le plus marchand de la ville. "Que peut-il y avoir de commun entre cette maison et un nouvel amant?" se disait Julien. Dans son chagrin, il se répétait ces jolis vers de François Ier, qui lui semblaient nouveaux, parce qu'il n'y avait pas un mois que Mme de Rênal les lui avait appris. Alors, par combien de serments, par combien de caresses chacun de ces vers n'était-il pas démenti! souvent femme varie Bien fol qui s'y fie. M. de Rênal partit en poste pour Besançon. Ce voyage se décida en deux heures, il paraissait fort tourmenté. Au retour, il jeta un gros paquet couvert de papier gris sur la table. Une heure après, Julien vit l'afficheur qui emportait ce gros paquet; il le suivit avec empressement. "Je vais savoir le secret au premier coin de rue." Il attendait, impatient, derrière l'afficheur, qui, avec son gros pinceau, barbouillait le dos de l'affiche. A peine fut-elle en place, que la curiosité de Julien y vit l'annonce fort détaillée de la location aux enchères publiques de cette grande et vieille maison, dont le nom revenait si souvent dans les conversations de M. de Rênal avec sa femme. L'adjudication du bail était annoncée pour le lendemain à deux heures en la salle de la commune, à l'extinction du troisième feu. Julien fut fort désappointé; il trouvait bien le délai un peu court: comment tous les concurrents auraient-ils le temps d'être avertis? Mais du reste, cette affiche, qui était datée de quinze jours auparavant et qu'il relut tout entière en trois endroits différents, ne lui apprenait rien. Il alla visiter la maison à louer. Le portier, ne le voyant pas approcher, disait mystérieusement à un voisin: Bah! bah! peine perdue. M. Maslon lui a promis qu'il l'aura pour trois cents francs, et comme le maire regimbait, il a été mandé à l'évêché par M. le grand vicaire de Frilair. L'arrivée de Julien eut l'air de déranger beaucoup les deux amis qui n'ajoutèrent plus un mot. CHAPITRE XXIII. CHAGRINS D'UN FONCTIONNAIRE 83

« Mais laissons ce petit homme à ses petites craintes pourquoi a-t-il pris dans sa maison un homme de coeur tandis qu'il lui fallait l'âme d'un valet? Que ne sait-il choisir ses gens? La marche ordinaire du XIXe siècle est que, quand un être puissant et noble rencontre un homme de coeur, il le tue, l'exile, l'emprisonne ou l'humilie tellement, que l'autre a la sottise d'en mourir de douleur.

Par hasard ici, ce n'est pas encore l'homme de coeur qui souffre.

Le grand malheur des petites villes de France et des gouvernements par élections comme celui de New York, c'est de ne pas pouvoir oublier qu'il existe au monde des êtres comme M.

de Rênal.

Au milieu d'une ville de vingt mille habitants, ces hommes font l'opinion publique, et l'opinion publique est terrible dans un pays qui a la charte.

Un homme doué d'une âme noble, généreuse, et qui eût été votre ami, mais qui habite à cent lieues, juge de vous par l'opinion publique de votre ville, laquelle est faite par les sots que le hasard a fait naître nobles, riches et modérés.

Malheur à qui se distingue. Aussitôt après le dîner, on repartit pour Vergy; mais, dès le surlendemain, Julien vit revenir toute la famille à Verrières. Une heure ne s'était pas écoulée, qu'à son grand étonnement, il découvrit que Mme de Rênal lui faisait mystère de quelque chose.

Elle interrompait ses conversations avec son mari dès qu'il paraissait et semblait presque désirer qu'il s'éloignât.

Julien né se fit pas donner deux fois cet avis.

Il devint froid et réservé; Mme de Rênal s'en aperçut et ne chercha pas d'explication.

"Va-t-elle me donner un successeur? pensa Julien. Avant-hier encore, si intime avec moi! Mais on dit que c'est ainsi que ces grandes dames en agissent.

C'est comme les rois, jamais plus de prévenances qu'au ministre qui, en rentrant chez lui, va trouver sa lettre de disgrâce." Julien remarqua que dans ces conversations, qui cessaient brusquement à son approche, il était souvent question d'une grande maison appartenant à la commune de Verrières, vieille, mais vaste et commode, et située vis-à-vis l'église, dans l'endroit le plus marchand de la ville.

"Que peut-il y avoir de commun entre cette maison et un nouvel amant?" se disait Julien.

Dans son chagrin, il se répétait ces jolis vers de François Ier, qui lui semblaient nouveaux, parce qu'il n'y avait pas un mois que Mme de Rênal les lui avait appris. Alors, par combien de serments, par combien de caresses chacun de ces vers n'était-il pas démenti! souvent femme varie Bien fol qui s'y fie. M.

de Rênal partit en poste pour Besançon.

Ce voyage se décida en deux heures, il paraissait fort tourmenté. Au retour, il jeta un gros paquet couvert de papier gris sur la table. Une heure après, Julien vit l'afficheur qui emportait ce gros paquet; il le suivit avec empressement.

"Je vais savoir le secret au premier coin de rue." Il attendait, impatient, derrière l'afficheur, qui, avec son gros pinceau, barbouillait le dos de l'affiche.

A peine fut-elle en place, que la curiosité de Julien y vit l'annonce fort détaillée de la location aux enchères publiques de cette grande et vieille maison, dont le nom revenait si souvent dans les conversations de M.

de Rênal avec sa femme.

L'adjudication du bail était annoncée pour le lendemain à deux heures en la salle de la commune, à l'extinction du troisième feu.

Julien fut fort désappointé; il trouvait bien le délai un peu court: comment tous les concurrents auraient-ils le temps d'être avertis? Mais du reste, cette affiche, qui était datée de quinze jours auparavant et qu'il relut tout entière en trois endroits différents, ne lui apprenait rien. Il alla visiter la maison à louer.

Le portier, ne le voyant pas approcher, disait mystérieusement à un voisin: \24Bah! bah! peine perdue.

M.

Maslon lui a promis qu'il l'aura pour trois cents francs, et comme le maire regimbait, il a été mandé à l'évêché par M.

le grand vicaire de Frilair. L'arrivée de Julien eut l'air de déranger beaucoup les deux amis qui n'ajoutèrent plus un mot.

Le Rouge et Le Noir CHAPITRE XXIII.

CHAGRINS D'UN FONCTIONNAIRE 83. »

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