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Le travail des enfants au début du XXe siècle

Publié le 14/04/2013

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Au début du XXe siècle, le travail des enfants est encore monnaie courante, malgré les progrès accomplis en la matière, les avancées les plus récentes datant de 1792 : le travail des enfants âgés de moins de treize ans est prohibé ; les adolescents âgés de seize ans ne peuvent travailler plus de dix heures par jour. L’Humanité, organe du Parti communiste, se fait le porte-parole de cette « minorité « silencieuse au travail. En 1909, deux de ses journalistes Léon et Maurice Bonneff, racontent la manière dont on « racole « et on « surmène « les enfants qui travaillent, de jour comme de nuit, dans les verreries du département de la Seine et militent pour la suppression du travail de nuit.

Le travail des enfants au début du XXe siècle évoqué par deux journalistes de l’Humanité

 

Nous sommes allés revoir les pauvres petits bonshommes qui, onze heures durant, du matin au soir ou du soir au matin, séjournent dans les halles de soufflage où les fours projettent leur haleine infernale, où flambe l’aveuglant éclat du verre en fusion. Nous les connaissions bien. Nous les avions vus, dans le Nord, en haillons, blêmes, luisants de sueur, les yeux rougis par l’insomnie, courir pieds nus, huit cents fois en une nuit, de la plate-forme où l’on souffle les bouteilles, à l’arche, où elles recuisent. Nous les avions vus, dans les verreries à vitres, porter sous les bras et sur les épaules, des places à l’étendrie, les fragiles canons de verre qui, parfois, les égorgent en se brisant. C’est eux que le bon dessinateur Grandjouan, notre compagnon en ces inoubliables visites, campa d’un crayon que l’indignation n’empêcha pas d’être véridique. Nous les avons retrouvés pareils, dans les verreries de la banlieue parisienne. Ils font une semaine de jour — de 6 heures du matin à 5 heures du soir — une semaine de nuit — 6 heures du soir à 5 heures du matin. Ils reçoivent par mois 35 à 45 francs. Ils ont officiellement treize ans au moins. Mais dans les équipes de nuit, il est fréquent de trouver des gamins de douze ans et de onze ans même. Dame ! le recrutement des « apprentis « est difficile, il faut que des parents soient venus à bout de ressources pour livrer leur enfant à la Verrerie : les « patronages «, les « Sociétés philanthropiques « laïques et religieuses, fournissent à l’industrie meurtrière un large contingent de petits « protégés « qui se préparent là à faire rapidement « une bonne mort «. Et puis, les industriels pratiquent le racolage direct. Des rabatteurs leur indiquent les maisons où la misère sévit le plus durement, où le pain manque, où le propriétaire menace, où le père est à l’hôpital. Aux hôtes de ces maisons, on expédie une lettre bonasse : Madame, J’ai appris que vous désiriez placer votre fils dans l’industrie et comme, dans notre genre de fabrication, nous en avons l’emploi, je viens vous demander de vouloir bien nous le confier et, le cas échéant, il serait placé en pension dans une famille de braves et vieux ouvriers pour la nourriture, le couchage et l’entretien, dont nous payons le montant. En outre de cela, tous les mois, cinq francs lui sont attribués et inscrits à son nom sur un livret de caisse d’épargne, jusqu’au moment où, par son intelligence et sa bonne conduite, nous l’augmenterons, afin de lui donner un bon métier. Si mes propositions vous conviennent, veuillez venir me trouver avec lui à mon bureau et après entente, s’il y a lieu, je l’enverrai à mon usine. Agréez, etc… Alors, si le petit garçon que l’on amène « au bureau « n’a pas tout à fait treize ans, s’il n’en a pas tout à fait douze, pas tout à fait dix même, qu’importe ! On en sera quitte pour le faire travailler de préférence la nuit. Car si l’inspecteur du travail visite quelquefois la verrerie dans la journée, on ne le voit guère après neuf heures du soir. Seulement, l’enfant ne pourra guère exercer, plus tard, le « bon métier « que généreusement on lui promet : dans la moyenne, il sera mort avant de le bien connaître. L’industrie verrière se livre à une invraisemblable consommation d’enfants : le terrible Baal des Carthaginois en eût été jaloux. Nous essaierons un jour de fixer par des chiffres cette consommation, de montrer ce qu’après deux ans d’usine et de travail de nuit, il reste de ces petits malheureux. Peut-être quelque émotion ressortira-t-elle de ces chiffres. Les enfants au travail Dans la « Gobletterie «, dans le « service de table «, les enfants, sans cesse en mouvement, transportent les cannes brûlantes, les seaux d’eau ; accroupis aux pieds du souffleur, ils ouvrent et ferment les moules tandis que la fumée qui s’en dégage les prend à la gorge ; agenouillés à hauteur de la canne que le second ouvrier tient horizontalement sur son bloc, ils soufflent à pleines joues, s’arrêtant pour reprendre sur un commandement bref. À minuit, ils font la pause et prennent leur repas — du pain, du fromage, du café noir, teinture de chicorée étendue d’eau — assis sur un tas de charbon, sur une grosse pièce moulée, ou par terre, dans les poussières, les gravats, les débris de toutes sortes qui recouvrent le sol d’une verrerie. La loi prescrit des réfectoires ? Nous n’en connaissons pas dans les usines de la banlieue parisienne. Ils sont encore à construire, ainsi que les vestiaires. À cinq heures du matin, ils sortent, emportant leurs bidons, leurs paniers vides. Ah ! Ce défilé de pauvres moutards grêles dont les yeux clignotent de sommeil, dont le visage semble déjà vieilli. Ils rentrent dans la maison ouvrière où le jour, il n’est point de sommeil possible. Or, « les besoins de l’industrie «, ces implacables besoins devant quoi disparaît toute autre considération, n’exigent pas le surcroît de peine que le travail de nuit impose aux enfants. Dans le Lyonnais, à Clairet (Vosges), à Bayel (Aube), à Nancy, on ne travaille pas la nuit. Dans les creusets, remplis le soir, la matière première fond toute la nuit. On débouche les creusets le lendemain. Pourquoi le travail de nuit subsiste-t-il dans la région parisienne ? se demandent les verriers de la Seine. Uniquement par la faute d’un esprit de routine et de cupidité que des scrupules d’humanité ne contrarient pas. La production serait-elle diminuée si la verrerie ne produisait que le jour ? Non point : les usines où le verre n’est pas travaillé durant la nuit produisent autant que les autres. La Verrerie de Saint-Ouen qui — seule de la région parisienne — se range dans la première catégorie, n’en est pas moins prospère. La Verrerie de Souvigny (Allier) produit 4 000 kilos de verre en 10 heures de travail de jour avec un seul four à 12 creusets. Elle comprend 7 places doubles, une grand’place, deux places de presse, deux places de coupage ; elle occupe 130 personnes avec les relais. Aucune usine similaire de la région de Paris, travaillant jour et nuit, n’obtient, avec un personnel égal, un rendement supérieur. La suppression du travail de nuit est donc très possible. Elle s’impose en ce qui concerne les enfants. L’abrogation du regrettable article 6 de la loi du 2 novembre 1892, qui autorise l’emploi des enfants, la nuit, aux « travaux indispensables «, doit être réclamée par tous ceux qu’intéresse l’avenir de la race. Car c’est un crime contre la race qu’imposer à des êtres en pleine croissance l’exécution de travaux manuels, en des circonstances particulièrement défavorables, aux heures normales du repos. Et nous comptons bien voir notre campagne et celle de la Chambre syndicale des ouvriers verriers de la Seine vigoureusement appuyée par les philanthropes plaintifs qui se lamentent sur le dépeuplement de notre pays : en attendant qu’augmente le taux des natalités, n’est-il pas urgent de conserver les vivants ?

 

 

Source : Bonneff (L. & M.), les Enfants des verreries, L’Humanité, 11 juin 1909.

 

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