Le travail, expression de l'intelligence
Publié le 12/06/2011
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« Certains prétendent qu'il existe une relation immédiate et comme symétrique entre la main de l'homme et son cerveau. Les articulations si riches, les mouvements si prompts, la sensibilité si bien distribuée de cette main, le nombre de ses emplois, l'instrument "universel" qu'elle est pour nous et jusqu'à la quantité de métaphores que nous tirons de ses actes pour désigner des actes de l'esprit, donnent de la force à cette opinion indémontrable. Quant à moi, même fausse, je la trouve très bonne à méditer. Je m'assure que l'intelligence doit toujours se référer au système d'actes que nous savons ou pouvons accomplir, que sa fin est quelque industrie, et que la pratique de quelque métier lui donne des habitudes ou lui inspire des analogies très précieuses. Je dis maintenant que l'esprit français doit beaucoup à tous ces cultivateurs, vignerons, artisans, ouvriers des métaux ou du bois, créatures et créateurs de leur pays. Considérez en France cette quantité de chefs-d'oeuvre locaux qui s'y remarquent. Songez à tant d'architectures, aux travaux d'art les plus parfaits du monde, aux meubles, aux étoffes précieuses, aux faïences et aux ferronneries ; énumérez ces crus célèbres dont la liste est une sorte d'armorial et qui doivent aux soins et à l'expérience autant qu'à la nature ; visitez les cultures savantes des fleurs destinées aux parfums, des fruits soigneusement surveillés, préservés : rose et jasmin de Grasse et de Vence, chasselas délicatement ciselé de Thomery, n'oubliez même pas les peines et les merveilles de l'art d'écrire notre langue, la seule dans laquelle subsiste encore un peu le souci de peser les mots, d'ordonner les pensées, d'accuser les formes du discours, comme si nous étions encore à l'époque fabuleuse où les esprits étaient sensibles et où le temps ne comptait pas... «
Paul VALÉRY, Regards sur le monde actuel, Gallimard.
« Pour satisfaire aux nécessités de son existence, tout être qui vit est forcé d'accomplir un certain travail. La graine elle-même fait un effort pour soulever la croûte de terre durcie qui le recouvre et venir respirer l'air à la lumière. L'huître attachée à son banc ouvre et referme ses écailles pour puiser dans le liquide qui la baigne les éléments nourriciers. L'araignée tisse sa toile. Le renard et le loup vont en chasse. L'homme n'échappe pas à la loi commune ; lui aussi doit faire des efforts persévérants pour suffire à ses besoins. Cet effort inconscient dans la plante, instinctif dans l'animal, devient chez l'homme un acte réfléchi et prend le nom de travail. «
Charles GIDE, économiste français (1869-1951), Principes d'économie politique, Sirey.
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