L'écrivain et la chose publique
Publié le 23/04/2011
Extrait du document
On reconnaît un écrivain digne de ce nom à ce qu'il y a une part essentielle de lui-même qui frappe en lui pour qu'il la tire au jour. Cette part essentielle a un droit absolu de naître à l'expression, ce qui comporte ipso facto (2) un droit absolu de priorité sur tout ce qu'il pourrait exprimer d'autre qu'elle : je l'appellerai aussi sa part nécessaire, étant nécessaire pour lui de l'exprimer. Tant qu'un écrivain n'a pas exprimé en entier sa part nécessaire, ce qu'il peut avoir fait à trente ans, comme il peut ne l'avoir pas fait au seuil de la vieillesse, il doit tout subordonner à cette expression, et au besoin tout lui sacrifier. Il ne doit pas souffrir que les événements ni les hommes l'en distraient, ou il ne doit le souffrir que dans une mesure très courte ; les heures de cet homme sont comptées. Comme Jeanne d'Arc, il n'entend ses voix que « dans les bois «, c'est-à-dire dans sa solitude intérieure. A tout ce qui tenterait de lui prendre de sa substance au profit de ce qui n'est pas sa part nécessaire, il a le devoir de répondre : « J'ai mieux à faire! D'autres que moi peuvent faire, aussi bien gue je le ferais, ce que vous me demandez là. Laissez-moi donc me concentrer dans ce qui m'est propre. Laissez-moi donc à cela qui ne peut être fait que par moi seul. « De là vient qu'il pourra lui arriver de publier des livres follement inactuels. Mais cela n'a aucune importance, l'actualité étant toujours surfaite par les contemporains qui, ayant le nez sur les événements, les voient plus gros qu'ils ne sont en réalité. Non seulement un écrivain digne de ce nom doit avant tout exprimer sa part nécessaire, mais, cela même, il doit le faire comme il lui plaît. Le peintre Filippo Lippi, travaillant chez les Médicis, on devait l'enfermer, tant il aimait la vie ; mais il s'échappait par la fenêtre. A la fin, Côme dit : « Qu'on lui laisse la porte ouverte. Les hommes de talent sont des essences célestes. Il ne faut en rien les contraindre. « L'écrivain digne de ce nom ne doit pas être contraint. Il doit, dans son art, ne faire que ce qui lui est agréable, et le faire, toutes affaires cessantes, au moment même où cela lui est agréable : ce qu'il ferait dans d'autres conditions serait mal fait. Et sans doute, agissant ainsi, il risque de décevoir ou de déconcerter. Mais quoi! Si un écrivain qui déconcerte pour le plaisir est un sot, un écrivain digne de ce nom, qui déconcerte, a grande chance d'être simplement un écrivain loyal avec lui-même. H. de Montherlant, Conférence prononcée le 15 mai 1934, à la Sorbonne, reproduite dans Service inutile. Faites, à votre choix, un résumé ou une analyse de ce texte. Puis, vous en dégagerez un problème dont vous préciserez les données et sur lequel vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues. (1 ) Catastrophe : terme de technique dramatique qui désigne le moment où l'action tragique se dénoue. (2) Ipso facto: locution latine qui veut dire « par ce fait même «.
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