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LES ACTIONS ET LES RÊVES DE CÉSAR BORGIA (Le Prince in Œuvres Complètes, Pléiade)

Publié le 07/02/2011

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Après que le Duc eut occupé la Romagne, il trouva qu'elle était commandée par de petits seigneurs, sans grand pouvoir, lesquels avaient plutôt dépouillé que gouverné leurs sujets, et à eux donné l'occasion de se désunir, non de s'unir, si bien que le pays était plein de larcins, de brigandages et toutes sortes d'autres méchancetés : il pensa être nécessaire pour le réduire en paix et à l'obéissance au bras séculier et royal, de lui donner un bon gouvernement. A quoi il préposa Messire Remy d'Orque, homme cruel et expéditif, auquel il donna entièrement pleine puissance. Celui-ci en peu de temps remit le pays en tranquillité et union, à son très grand honneur. Mais après, Borgia estimant une si excessive autorité n'être plus de saison, parce qu'il redoutait qu'elle ne devînt odieuse, il établit un tribunal civil au milieu de la Province avec un sage Président, et où chaque ville avait son avocat. Et, comme il connaissait bien que les rigueurs passées lui avaient engendré quelque inimitié, pour en purger les esprits de ces peuples et les tenir tout à fait en son amitié, il voulut montrer que, s'il y avait eu quelque cruauté, elle n'était pas venue de sa part, mais de la mauvaise nature du ministre. Prenant là-dessus l'occasion au poil, il le fit un beau matin, à Cesena, mettre en deux morceaux, au milieu de la place, avec un billot de bois et un couteau sanglant près de lui. La férocité de ce spectacle fit tout le peuple demeurer en même temps satisfait et stupide. Mais retournons d'où nous sommes partis. Se trouvant donc le Duc très puissant et assuré en partie contre les dangers présents, pour s'être fortifié à sa mode, et avoir éteint une bonne part des voisins qui lui pouvaient nuire, il ne restait, pour poursuivre ses conquêtes, aucune chose à quoi il dût avoir égard sinon les Français. Car il connaissait bien que le Roi, lequel s'était avisé bien tard de sa faute, ne l'endurerait jamais. Aussi commença-t-il de chercher amitiés nouvelles tandis qu'il commençait à broncher avec les Français, quand ils descendirent au royaume de Naples contre les Espagnols qui assiégeaient Gaète. Et son intention était de s'assurer contre eux, ce qui fût bientôt advenu, si le Pape eût vécu. Et tels ont été ses maniements quant aux affaires de ce temps-là. Mais au regard de ce qui pouvait advenir, il avait fort à redouter, en premier lieu, que celui qui succéderait au Siège de Rome ne fût point de ses amis et qu'il s'efforçât de lui ôter ce que le pape Alexandre lui avait donné. A quoi il avait pensé remédier de quatre manières : premièrement d'éteindre tout le sang et parentage de ces Seigneurs qu'il avait dépouillés, pour ôter au Pape l'occasion de les penser rétablir. Secondement d'attirer et gagner à soi tous les gentilshommes romains, afin qu'il pût par leur moyen tenir le Pape en bride. Troisièmement de réduire le collège des Cardinaux le plus qu'il pourrait à son parti. Quatrièmement, de se faire si puissant avant que le Pape mourût, qu'il pût lui-même résister au premier assaut d'un chacun.

 

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