Les Cinq Cents Millions de la Begum Allons donc !
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Dès lors, il n'avait plus été possible de dissimuler la vérité.
Des créanciers principaux avaient pris peur et
déposé leurs effets au tribunal de commerce.
La déconfiture s'était dessinée en quelques heures avec la
rapidité de la foudre, entraînant avec elle son cortège de ruines secondaires.
A midi, le 13 octobre, le total des
créances connues était de quarante-sept millions de dollars.
Tout faisait prévoir que, avec les créances
complémentaires, le passif approcherait de soixante millions.
Voilà ce qu'on savait et ce que tous les journaux racontaient, à quelques amplifications près.
Il va sans dire
qu'ils annonçaient tous pour le lendemain les renseignements les plus inédits et les plus spéciaux.
Et, de fait, il n'en était pas un qui n'eût dès la première heure expédié ses correspondants sur les routes de
Stahlstadt.
Dès le 14 octobre au soir, la Cité de l'Acier s'était vue investie par une véritable armée de reporters, le carnet
ouvert et le crayon au vent.
Mais cette armée vint se briser comme une vague contre l'enceinte extérieure de
Stahlstadt.
La consigne était toujours maintenue, et les reporters eurent beau mettre en oeuvre tous les
moyens possibles de séduction, il leur fut impossible de la faire plier.
Ils purent, toutefois, constater que les ouvriers ne savaient rien et que rien n'était changé dans la routine de
leur section.
Les contremaîtres avaient seulement annoncé la veille, par ordre supérieur, qu'il n'y avait plus de
fonds aux caisses particulières, ni d'instructions venues du Bloc central, et qu'en conséquence les travaux
seraient suspendus le samedi suivant, sauf avis contraire.
Tout cela, au lieu d'éclairer la situation, ne faisait que la compliquer.
Que Herr Schultze eût disparu depuis
près d'un mois, cela ne faisait doute pour personne.
Mais quelle était la cause et la portée de cette disparition,
c'est ce que personne ne savait.
Une vague impression que le mystérieux personnage allait reparaître d'une
minute à l'autre dominait encore obscurément les inquiétudes.
A l'usine, pendant les premiers jours, les travaux avaient continué comme à l'ordinaire, en vertu de la vitesse
acquise.
Chacun avait poursuivi sa tâche partielle dans l'horizon limité de sa section.
Les caisses particulières
avaient payé les salaires tous les samedis.
La caisse principale avait fait face jusqu'à ce jour aux nécessités
locales.
Mais la centralisation était poussée à Stahlstadt à un trop haut degré de perfection, le maître s'était
réservé une trop absolue surintendance de toutes les affaires, pour que son absence n'entraînât pas, dans un
temps très court, un arrêt forcé de la machine.
C'est ainsi que, du 17 septembre, jour où pour la dernière fois,
le Roi de l'Acier avait signé des ordres, jusqu'au 13 octobre, où la nouvelle de la suspension des paiements
avait éclaté comme un coup de foudre, des milliers de lettres \24 un grand nombre contenaient certainement
des valeurs considérables \24, passées par la poste de Stahlstadt, avaient été déposées à la boîte du Bloc central,
et, sans nul doute, étaient arrivées au cabinet de Herr Schultze.
Mais lui seul se réservait le droit de les ouvrir,
de les annoter d'un coup de crayon rouge et d'en transmettre le contenu au caissier principal.
Les fonctionnaires les plus élevés de l'usine n'auraient jamais songé seulement à sortir de leurs attributions
régulières.
Investis en face de leurs subordonnés d'un pouvoir presque absolu, ils étaient chacun, vis-à-vis de
Herr Schultze \24 et même vis-à-vis de son souvenir \24, comme autant d'instruments sans autorité, sans
initiative, sans voix au chapitre.
Chacun s'était donc cantonné dans la responsabilité étroite de son mandat,
avait attendu, temporisé, (( vu venir )) les événements.
A la fin, les événements étaient venus.
Cette situation singulière s'était prolongée jusqu'au moment où les
principales maisons intéressées, subitement saisies d'alarme, avaient télégraphié, sollicité une réponse,
réclamé, protesté, enfin pris leurs précautions légales.
Il avait fallu du temps pour en arriver là.
On ne se
décida pas aisément à soupçonner une prospérité si notoire de n'avoir que des pieds d'argile.
Mais le fait était
maintenant patent : Herr Schultze s'était dérobé à ses créanciers.
Les Cinq Cents Millions de la Begum
XV LA BOURSE DE SAN FRANCISCO 76.
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