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Les moutons de Panurge

Publié le 26/05/2011

Extrait du document

Pantagruel, fils de Gargantua, accompagne Panurge dans ses voyages. Sur le navire qui les porte, Panurge fait la connaissance d'un marchand de moutons, Dindenaut, à qui il se promet de jouer un bon tour; il lui achète, après de longues négociations, un de ses moutons. — Dans le fragment qui suit, et qui contient le dénouement de cette petite comédie, on remarquera la parfaite clarté de la composition et l'intérêt dramatique du récit. Il y a quatre parties : Panurge paye et prend le mouton; Panurge jette le mouton à l'eau, et les autres suivent; intervention du marchand; attitude de Panurge à l'égard de sec victimes.

 

Panurge ayant payé le marchand, choisit de tout le troupeau un beau et gland mouton, et l'emportait criant et bêlant, oyant tous les autres et ensemblement bêlant, et regardant quelle part on menait leur compagnon. Cependant le marchand disait à ses moutonniers : « O qu'il a bien su choisir, le chaland ! Il s'y entend, le paillard ! Vraiment, le bon vraiment, je le réservais pour le seigneur de Caudale, comme bien connaissant son naturel. Car de sa nature il est tout joyeux et ébaudi quand il tient une épaule de mouton en main et bien séante et avenante, et avec un couteau bien tranchant, Dieu sait comment il s'en escrime! « Soudain, je ne sais comment (le cas fut subit, je n'eus loisir le considérer), Panurge, sans autre chose dire, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons criant et bêlant en pareille intonation, commencèrent soi jeter et sauter en mer après à la file. La foule était à qui premier y sauterait après leur compagnon. Possible n,;était les en garder, comme vous savez être du mouton le naturel..toujours suivre le premier, quelque part qu'il aille. Aussi le dit Aristoteles, lib. 9, de Histor. anim., être le plus sot et inepte animal du monde. Le marchand, tout effrayé de ce que devant ses yeux périr voyait et noyer ses moutons, s'efforçait les empêcher et retenir de tout son pouvoir. Mais c'était en vain. Tous à la file sautaient dedans la mer et périssaient. Finalement, il en prit un grand et fort par la toison sur le tillac de la nauf, cuidant ainsi le retenir, et sauver le reste aussi conséquemment. Le mouton fut si puissant qu'il emporta en mer avec soi le marchand, et fut noyé, en pareille forme que les moutons de Polyphemus, le borgne cyclope, emportèrent hors la caverne Ulysse et ses compagnons. Autant en firent les autres bergers et moutonniers, les prenant un par les cornes, autres par les jambes, autres par la toison. Lesquels tous furent pareillement en mer portés et noyés misérablement. Panurge, à côté du fougon, tenant un aviron en main, non pour aider aux moutonniers, mais pour les engarder de grimper sur la nauf et évader le naufrage, les prêchait éloquemment comme si fût un petit frère Olivier Maillard, ou un second frère Jean Bourgeois, leur remontrant par lieux de rhétorique les misères de ce monde, le bien et l'heur de l'autre vie, affirmant plus heureux être les trépassés, que les vivants en cette vallée de misère, et à un chacun d'eux promettant ériger un beau cénotaphe et sépulcre honoraire au plus haut du mont Cenis, à son retour de Lanternois ; leur optant ce néanmoins, en cas que vivre entre les humains ne leur fâchât, et noyer ainsi ne leur vînt à propos, bonne aventure et rencontre de quelque baleine, laquelle au tiers jour subséquent les rendît sains et saufs en quelque pays de satin, à l'exemple de Jonas.

Pantagruel, liv. IV, ch. VIII

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : un récit, d'un grand intérêt dramatique. — Pourquoi Panurge achète-t-il un mouton ? (Montrer qu'il avait déjà imaginé le tour qu'il allait jouer à Dindenaut; — l'exécution devait suivre de près la conception); Avez-vous observé un troupeau de moutons ? Se disperse-t-il quand survient un danger qui l'apeure ? Ou bien continue-t-il à. demeurer groupé ? Pourquoi Panurge jette-t-il un mouton à la mer ? Que font les autres moutons ? A quoi tendent les efforts désespérés de Dindenaut ? Que devient-il ? en quoi vous paraît consister l'intérêt du récit ?

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les quatre parties du récit : a) L'achat du mouton ; b) Le geste de Panurge; résultats; c) L'intervention de Dindenaut; d) L'attitude de Panurge; ses sinistres plaisanteries; Pourquoi Panurge joue-t-il un tour à Dindenaut ? (Ce dernier avait raillé Panurge sur son costume...); Pourquoi Panurge choisit-il un beau et grand mouton ? Aristote a dit que le mouton est « le plus sot et inepte animal du monde « : ce- jugement vous paraît-il exact ? Quels sont ceux qui, après Dindenaut, essaient de retenir les moutons ? Quels propos tient Panurge en voyant le marchand et les bergers se noyer ? (Dire ce que vous en pensez.)

III. — Le style ; — les expressions. — Quelle est l'allure générale dix récit ? (Dire s'il offre des longueurs, des digressions); Indiquez, dans ce récit, quelques expressions imagées (le mouton criant et bêlant, suivi de tous les moutons criant et bêlant...), — quelques expressions populaires (O qu'il a bien su choisir, le chaland! il s'y entend, le paillard!...) Quelle qualité du style résulte de l'emploi de ces expressions ? La langue de Rabelais se distingue aussi par une grande richesse verbale : montrez-le — en étudiant particulièrement, à cet égard, le dernier alinéa; Quelle est la signification des mots tillac, oyant (indiquer l'infinitif de oyant); Quel est le sens de puissant, dans la phrase: Le mouton lut si puissant... ? N'est-ce pas à dessein que Rabelais a répété plusieurs fois l'expression criant et bêlant ? (Dans quel but ?) L'expression : moutons de Panurge n'est-elle pas passée dans la langue ? Quelle en est la signification ? (elle désigne ceux qui, sans se donner la peine de réfléchir, s'empressent de faire une chose par pur esprit d'imitation.)

IV. — La grammaire. — Indiquez la composition des mots : naufrage (navis, vaisseau : frangere, briser), — trépassés (ires, outre, passés); Quels sont les adverbes de manière contenus dans le troisième alinéa ? (Le marchand tout effrayé...); Nature et fonction de chacun des mots suivants : Mais c'était en vain.

Rédaction. — Décrivez le retour à la bergerie, le soir, d'un troupeau de moutons. — Que se produit-il s'il rencontre un obstacle sur sa route ?

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