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Lettre sur la mort du Comte de Guiche. Mme de Sévigné

Publié le 12/07/2011

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A Paris, vendredi 8 décembre 1673.

Il faut commencer, ma très bonne, par la mort du comte de Guiche; voilà de quoi il est question présentement. Ce pauvre garçon est mort de maladie et de langueur dans l'armée de M. de Turenne. La nouvelle en vint mardi matin. Le P. Bourdaloue l'a annoncée au maréchal de Gramont qui s'en douta, sachant l'extrémité de son fils. Il fit sortir tout le monde de sa chambre. Il était dans un petit appartement qu'il a au dehors des Capucines. Quand il fut seul avec ce Père, il se jeta à son cou, disant qu'il devinait bien ce qu'il avait à lui dire; que c'était le coup de sa mort; qu'il la recevait de la main de Dieu; qu'il perdait le seul et véritable objet de toute sa tendresse et de toute son inclination naturelle; que jamais il n'avait eu de sensible joie ou de violente douleur que par ce fils, qui avait des choses admirables. Il se jeta sur un lit, n'en pouvant plus, mais sans pleurer: car on ne pleure point. Le Père pleurait, et n'avait encore rien dit; enfin il lui parla de Dieu comme vous savez qu'il en parle. Ils furent six heures ensemble ; et puis le Père, pour lui faire faire ce sacrifice entier, le mena à l'église de ces bonnes Capucines, où l'on disait Vigiles pour ce cher fils. Il y entra en tombant, en tremblant, plutôt traîné et poussé que sur ses jambes. Son visage n'était plus connaissable. Monsieur le Duc le vit en cet état, et en nous le contant, chez Mme de la Fayette, il pleurait. Le pauvre maréchal revint enfin dans la petite chambre. Il est comme un homme condamné. Le roi lui a écrit. Personne ne le voit.

L'ensemble. — L'intérêt des lettres de Mme de Sévigné est à la fois psychologique et historique. D'une part, dans celle-ci, nous trouvons l'exemple de la douleur d'un père, de la foi d'un chrétien, mais le maréchal de Gramont, appartenant à une famille illustre, lui et son fils ont joué un rôle dans l'histoire du XVIIe siècle, et le Père Bourdaloue, dont nous connaissons par ailleurs l'éloquence, se révèle ici sous un autre jour de piété et d'intime dévouement. Nous voyons, par là, combien la correspondance de Mme de Sévigné tient bien la place d'une véritable gazette de son temps.

Le style. — Le style de Mme de Sévigné est vif, léger, spirituel, ce sont les caractères mêmes du style épistolaire, dont la première qualité est d'être naturel et spontané, de ressusciter la personne dans la forme de la causerie intime. Depuis le mariage de sa fille avec M. de Grignan, et le départ de celle-ci pour la Provence, elle lui adresse ces lettres régulières qui contiennent à la fois les nouvelles de la cour et l'expression de ses sentiments; ce qui fait le caractère parfois décousu de son style. Sa phrase est ferme et précise, elle définit nettement l'idée, quelques termes précieux s'y retrouvent parfois, qui nous rappellent que Mme de Sévigné a passé par l'Hôtel de Rambouillet.

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