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L'itinéraire d'Elsa Morante

Publié le 30/11/2011

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Née en 1918, Elsa Morante a publié Mensonge et Sortilège, son premier roman, en 1948 (traduit en français en 1967) (1). A cette époque G. Luckacs, le critique marxiste, écrivait qu'elle était « le plus grand écrivain européen «. Par ce fait il soulignait que son approche du genre romanesque était destinée à marquer l'histoire littéraire. Qu'elle avait remanié les structures du récit d'une façon telle que désormais la manière même de raconter se trouvait métamorphosée. Ce jugement retentit dans les milieux littéraires sans atteindre le grand public. Toutefois, en 1974, au moment de la parution de La Storia, Elsa se trouva être le centre d'un débat qui, pendant des mois, ne cessa de retentir sur les principaux quotidiens d'Italie. Tout à coup elle était devenue un écrivain très populaire : sinon le plus populaire.

« Ferruccio Nusso/Gallimard texte s'organise entre le désir du poète et sa com­ préhension de l'histoire.

Celui-ci voudrait trouver un « message • qui, lui permettant de quitter la recherche d'un bonheur individuel, fournirait la possibilité d'un travail en commun, mais du fait que dans la civilisation occidentale, « la connais­ sance est folie et la folie connaissance •, cet espoir se trouve anéanti.

Le poète n'échappe pas à la déré­ liction : semblable à beaucoup d'hommes il ressent la vie comme terrible nécessité.

Néanmoins sa « voix » plus secrète crie « moi je les aime •· Elsa Morante ne voudrait qu'une existence où « la paix d'être né est célébrée comme après une victoire ».

De ce fait elle invente une fable-dialogue entre « les heureux peu nombreux Jt et les « innom­ brables malheureux •· Les premiers - B.

Spinoza, A.

Gramsci , G.

Bruno, S.

Weil, etc.

-avec .leur intelligence ont su se libérer des conditionnements civils et sociaux : ils sont très proches des petits garçons (ragazzim) pour qui la liberté est un état tout nàturel.

Pu positive, pour Elsa reste le merveil­ leux.

A ses yeux l'utopie est préférable à une néga­ tivité contraignante et stérile.

Dans La Storia (1974, traduit· en français en 1977) elle raconte la Deuxième Guerre mondiale, mais à travers les yeux d'une foule de personnages anonymes : un môme bâtard, son frère, le fils légiti­ me; sa mère, une veuve craintive, à moitié juive, leurs bêtes, les voisins rencontrés selon le hasard des occasions.

Non seulement la guerre domine la vie d'Useppe - ce môme né d'un viol stupide­ mais l'épilepsie, s'étant emparée de son corps avide de joie, finit par le tuer.

« n n'est pas de mot, en aucun langage humain, capable de consoler les cobayes qui ne savent pas pour quelle raison ils meurent ».

L'absurdité des événements exaspère le désir de bonheur : le manque ne cesse d'en évoquer la présence, d'en exacerber le souvenir, d'en agran­ dir l'image.

Si toute personne est démunie face à une douleur soudaine et inexplicable, elle est enco­ re plus maladroitement désemparée en proie de l'obsession de cette absence.

Son ampleur peu à peu aura raison de l'illusion : la fable, le rêve appa­ raîtront comme le grimage d'un aveu impossible.

Le salut n'appartient pas à l'évanescente beauté de la parole.

Néanmoins La Storia est saisie entre une dédica­ ce- Por el analfabeto a quien escribo («Pour cet analphabète auquel j'écris •) et l'épigraphe fmale­ Toutes les graines n'ont rien donné sarif une :je ne sais pas ce qu'elle peut être, mais c'est probable­ ment une fleur et non une mati,vaise herbe - Le vers de la dédicace est tiré d'un poème de C.

Valle­ jo où celui-ci exhorte les volontaires de la Répu­ blique Espagnole à « tuer la mort et les méchants » {>Our l'amour de l'analphabète (à qui lui ne pourrait ecrire en dehors d'une pratique révolutionnaire).

L'épigraphe finale est signée « Matricule n° 704 7 de la Prison de Turi ».

A une voix anonyme, étran­ gère au texte, est donc confié un dernier mot d'ignorance et d'espoir.

En lisant ce mot, la surprise cède à l'éton­ nement : le message du roman serait-il dans ce non-dit ? Elsa aurait-elle écrit pour suggérer que l'Autre, l'inconnu, détient peut-être un bonheur qu'on ne connaît pas et qui nous fait défaut? La différence entre suggérer et dire synthétise la position actuelle d'Elsa Morante.

Tout récemment encore elle parlait du « respect foncier de la vie humaine : sans quoi en art, comme dans l'histoire, il n'y a ni réalisme ni liberté, mais servitude et rhé­ torique» (Notizia-rio Einaudi, 1976).

L'effet cho­ ral, la position dialogale des premiers romans l'ont amenée à renoncer à sa parole consolatrice, la fable, afm que le lecteur, se retrouvant face à un récit événementiel, puisse articuler la sienne.

Confrontés à cette dissolution du merveilleux, nous saisissons mieux le paradoxe ; au moment où son unique souci est désormais le personnage, dont elle décrit le malheur, le poète décroche le sens : il vainc le désespoir.

1) Auparavant Elsa Morante avait publié un recueil de fables Le Straordinarie avventure de Caterina (1941) et II gioco segreto (1941) qui, remanié, donnera Lo scialle andaluso (1963) (Le Châle andalou, Paris, Gallimard, 1967).

2) Le Monde sauvé par les petits garçons n'a jamais été traduit en français en raison de la difficulté de son langage.. »

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