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Marat, l'Ami du peuple

Publié le 14/04/2013

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marat

 (1791)

Jean-Paul Marat expose fréquemment ses vues radicales dans l’Ami du peuple. En août 1791, abordant la question de la liberté, il met son pessimisme critique au service de la rhétorique politique. Jugeant que la « liberté est peu faite pour le Français «, il regrette que ses concitoyens ne soient pas totalement dévoués à la cause révolutionnaire. À l’heure où les constituants discutent de la place du roi dans l’État, Marat milite en faveur du recours à une forme de gouvernement dictatorial d'essence populaire, seul régime capable de faire triompher les idéaux de la Révolution.

L'Ami du peuple

 

Non, la liberté n’est point faite pour nous : nous sommes trop ignares, trop vains, trop présomptueux, trop lâches, trop vils, trop corrompus, trop attachés au repos et aux plaisirs, trop esclaves de la fortune, pour connaître jamais le prix de la liberté : nous nous vantons d’être libres ! Pour sentir à quel point nous sommes esclaves, il suffit de jeter un coup d’œil philosophique sur la capitale, et de voir les mœurs de ses habitants. Nous ressemblons si parfaitement aux Romains, sous les despotes qui les tyrannisaient après la perte de la république, qu’il est impossible de lire les satires VI, VII et VIII du Juvénal, écrivant sous Domitien, sans reconnaître nos femmes galantes, nos gens de lettres et nos jadis nobles, dans la peinture qu’il fait de ceux de Rome. Mais c’est dans la satire XIII que les Parisiens peuvent se reconnaître, au tableau qu’il fait de l’avarice, de la rapacité, de la fraude, de la friponnerie, de la perfidie, du brigandage et des crimes de toute espèce qui souillaient Rome. Je passerai sous silence ces traits caractéristiques, pour tracer le portrait qu’il fait de la soldatesque romaine ; nous y reconnaîtrons, trait pour trait, nos gardes nationaux : même insolence, même licence, même impunité et mêmes privilèges… Hommes lâches et corrompus, cessez de vous plaindre de vos fers, des outrages auxquels vous êtes exposés, de la tyrannie qu’on déploie contre vous : comment pourriez-vous vouloir jouir de vos droits, vous les méconnaissez ? Comment pourriez-vous les défendre, vous n’en sentîtes jamais le prix ? Il faut des lumières, du courage, des soins, des combats, pour conquérir la liberté ; pour la conserver, il faut de la constance, et une vertu à l’épreuve des fatigues, des privations, de la misère, de la faim, des périls, de la douleur. Non, non, elle n’est point faite pour une nation ignare, légère et frivole ; pour des citadins élevés dans la crainte, la dissimulation, la fourbe, le mensonge ; nourris dans la souplesse, l’intrigue, la flagornerie, l’avarice, l’escroquerie ; ne subsistant que de friponneries et de rapines, ne soupirant qu’après les plaisirs, les titres, les décorations, et toujours prêts à se vendre pour de l’or. Aussi après s’être soulevés à la fois contre la tyrannie qui menaçait de mettre leurs maisons au pillage, et avoir désarmé les satellites du tyran, les a-t-on vus à l’instant s’agiter et courir après les emplois et les places lucratives, dès qu’il a été question de changer la forme du gouvernement ; ensuite piller le public sans pudeur, puis se rallier autour de la cour, lorsqu’il a été question d’établir la loi de l’égalité ; puis se vendre au despote pour enchaîner le citoyen indépendant : tandis que le citadin, avare ou inepte, pressait le ciel, par ses vœux, de rétablir l’ancien régime, le règne de la servitude, auquel nous avons été ramenés, peu à peu, après avoir été travaillés deux années entières par des mouvements populaires et les agitations de l’anarchie. Il en est de notre révolution comme d’une cristallisation troublée par des secousses violentes ; d’abord tous les cristaux disséminés dans le liquide, s’agitent, se fuient et se mêlent sans ordre ; puis ils se meuvent avec moins de vivacité, se rapprochent par degrés, et ils finissent par reprendre leur première combinaison et par se rejoindre étroitement.

 

 

Source : Marat (Jean-Paul), dans l'Ami du peuple, du 27 août 1791.

 

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