Devoir de Philosophie

(Marcel Aymé donne la parole à un de ses personnages.)

Publié le 24/04/2011

Extrait du document

   « II est possible que les femmes aient autant de bon sens que les hommes. Peut-être même ont-elles un sens plus sûr et plus positif des réalités. Mais ce n'est pas par là qu'elles plaisent aux hommes et qu'elles les retiennent. De telles aptitudes leur paraissent plutôt redoutables. Ce qu'ils aiment en elles et qui les attire, c'est la beauté, la grâce, l'élégance des toilettes, et toutes les parures faisant valoir les formes du corps, l'expression d'un visage ou d'un regard. En tant que parures, les attitudes de l'esprit ne sont pas négligeables, surtout si elles ajoutent à la beauté des femmes un charme ambigu, un peu trouble. Les jolies filles ne gagnent rien à manier la dialectique. Ce n'est pas sur ce terrain-là que l'homme les attend et il les trouvera infiniment plus séduisantes si elles se laissent aller à des propos absurdes que si elles l'obligent à concentrer sa réflexion sur un sujet sérieux. Pour lui* la grâce, le charme et le sexe-appel n'ont plus de réalité s'il a l'esprit occupé d'autre chose. Les femmes ne sont pas sans en avoir conscience et lorsqu'un art ou une littérature dégénérés trouvent quelque crédit auprès du public, on peut être sûr qu'elles y sont pour beaucoup. Rappelez-vous les Précieuses du XVIIe et le jargon des romans-fleuves de l'époque — première tentative avortée du romantisme. Mais c'est au XIXe siècle et aux premiers maîtres du Romantisme que revient l'honneur d'avoir préparé les voies à une littérature de pacotille où l'élément féminin de la société bourgeoise se trouvât plus tard assez à l'aise pour se l'approprier et y convertir les hommes. Nous avons déjà dit quel fut le processus : flatter la sensibilité à tout prix, c'est-à-dire sans égard ni au sens des mots, ni à la raison, ni à l'intelligence exacte de la chose écrite. Pour réussir par des moyens aussi gros, il était avant tout nécessaire de s'assurer la bienveillance et l'intérêt des femmes, car un public d'hommes ne se serait pas laissé faire facilement. Avant l'avènement du romantisme, les femmes étaient considérées comme des êtres ne différant des mâles que par le sexe et la fonction qui leur incombait dans la famille et dans la société. Les poètes se bornaient à célébrer leurs charmes, les plaisirs ou les souffrances qu'elles dispensaient. Cette notion très raisonnable et universellement admise d'une symétrie entre les deux sexes parut trop simple à nos romantiques. Ils travaillèrent à faire de la femme un être surnaturel, inconnaissable, un abîme de mystères impensables, sacrés. « Eva, qui donc es-tu ? « demandait anxieusement l'un d'entre eux. Ce disant, il ne s'adressait ni à sa grand-mère, ni à sa concierge, ni à quelque jolie fille de sa connaissance, qui aurait pu lui répondre facilement comme nous ferions si l'on nous posait une question aussi simple. H s'adressait à la Femme, c'est-à-dire à un mot conventionnellement mystérieux qu'il savait ne pouvoir contenir ni sa concierge, ni sa grand-mère. Ou si vous préférez, il « transcendait « ainsi sa concierge et sa grand-mère. C'est une opération qui se pratique aujourd'hui très ordinairement, mais à l'époque, il fallait avoir un grand génie pour s'y essayer. Les belles personnes de l'aristocratie et les laides aussi étaient flattées qu'on les transcendât. Convenez qu'il y avait de quoi. Dans l'Olympe romantique peuplé de drapés fantomatiques tels que la Douleur, la Liberté, la Beauté, il y avait, siégeant au sommet, Dieu, la Femme et le Poète... Le résultat le plus déplorable de cette transfiguration du féminin fut l'intérêt prodigieux qu'il suscita chez les femmes pour une littérature qui les parait d'un mystère et d'une profondeur aussi avantageux, sans compter qu'elles trouvaient dans cette pâture une fluidité, une facilité et une petite excitation nerveuse bien faites pour leur plaire. «    Marcel Aymé, le Confort intellectuel.    • Vous ferez soit un résumé, soit une analyse de ce texte. Puis vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier : vous en préciserez les données puis, en vous appuyant sur des exemples précis, vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

Liens utiles