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MÉRIMÉE (1803-1870). Le voleur bienfaisant

Publié le 21/06/2011

Extrait du document

A l'oeuvre grandiose et touffue de Balzac, il faut opposer celle de Mérimée, qui se distingue, en plein romantisme, par une recherche excessive de la concision et de la froide réalité. Prosper Mérimée commença par mystifier les romantiques en publiant son Théâtre de Clara Gazai (1825) et la Guzla, prétendu choix de poésies illyriques (1827). Il avait ensuite travaillé dans le genre du roman historique, à la Vigny, et donné sa Chronique du règne de Charles IX (1829), qui n'est pas le meilleur de ses ouvrages. Puis il publie (de 1829 à 1840), à la Revue des Deux Mondes et à la Revue de Paris, une série de nouvelles, dont les plus célèbres sont : l'Enlèvement de la redoute, la Partie de trictrac, la Vénus d'Ille, Matteo Falcone, Colomba (1840) et Carmen (1847) sont encore des nouvelles, plus développées, mais dont le style est d'une suggestive concision.

Le voleur bienfaisant (1840).

Mérimée aime beaucoup les histoires de voleurs et les mystifications. Le brigand dont il nous conte ici la prouesse, est homme d'esprit; on le croit d'abord généreux; on voit bientôt qu'il sait se donner lui-même la récompense de ses bonnes actions. — En lisant cette courte narration, on apprend à tout dire en peu de mots, et à ménager l'intérêt et la surprise. Certain pauvre colporteur des environs de Campillo conduisait à la ville une charge de vinaigre. Ce vinaigre était contenu dans des outres, suivant l'usage du pays, et porté par un âne maigre, tout pelé, à moitié mort de faim. Dans un étroit sentier, un étranger, qu'à son costume on aurait pris pour un chasseur, rencontre le vinaigrier; et d'abord qu'il voit l'âne, il éclate de rire : s Quelle haridelle as-tu là, camarade! s'écrie-t-il. Sommes-nous au carnaval pour la promener de la sorte? « Et les rires ne cessaient pas. « Monsieur, répondit tristement l'ânier piqué au vif, cette bête, toute laide qu'elle est, me gagne encore mon pain. Je suis un malheureux, moi, et je n'ai pas d'argent pour en acheter une autre. — Comment ! s'écria le rieur, c'est cette hideuse bourrique qui t'empêche de mourir de faim? mais elle sera crevée avant une semaine. Tiens, continua-t-il en lui présentant un sac assez lourd, il y a chez le vieux Herrera un beau mulet à vendre ; il en veut 1.500 réaux, les voici. Achète ce mulet dès aujourd'hui, pas plus tard, et ne marchande pas. Si demain je te trouve par les chemins avec cette effroyable bourrique, aussi vrai qu'on me nomme José Maria, je vous jetterai tous les deux dans un précipice. « L'ânier, resté seul, le sac à la main, croyait rêver. Les 1.500 réaux étaient bien comptés. Il savait ce que valait un serment de José Maria, et se rendit aussitôt chez Herrera, où il se hâta d'échanger ses réaux contre un beau mulet. La nuit suivante, Herrera est éveillé en sursaut. Deux hommes lui présentaient un poignard et une lanterne sourde à la figure. « Allons, vite, ton argent! — Hélas! mes bons seigneurs, je n'ai pas un cuarto chez moi. — Tu mens ; tu as vendu hier un mulet de 1.500 réaux que t'a payé un tel, de Campillo. « Ils avaient des arguments tellement irrésistibles, que les 1.500 réaux furent bientôt donnés, ou, si l'on veut, rendus.

(Correspondance, Calmann-Lévy, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une narration pleine d'intérêt relatant la prouesse d'un brigand. — Quels vous paraissent être les principaux traits du caractère du brigand ? -- de celui de l'ânier? Pourquoi l'ânier se hâte-t-il d'exécuter l'ordre du brigand? Que pensez-vous de la générosité de ce dernier ? Quels étaient, d'après vous, les deux hommes qui entrèrent, la nuit, chez Herrera? Quel genre d'intérêt présente ce récit ?

II. — L'analyse du morceau. — Il est dans cette narration deux parties bien distinctes, qui marquent les deux phases de l'action; indiquez-les. a) Le brigand en présence de l'ânier; b) Le brigand chez Herrera; Sous quelle forme sont rappelées les paroles du brigand et de l'ânier? — du brigand et de Herrera? Quels sont ou paraissent être les principaux caractères de chacun des deux dialogues? Pourquoi le brigand fait-il cette double recommandation à l'ânier : « Achète ce mulet dès aujourd'hui..., et ne marchande pas «? Quels étaient les arguments irrésistibles des deux hommes, la nuit, chez Herrera?

III. — Le style; — les expressions. — La concision est la qualité dominante du style, dans ce récit; essayez de faire ressortir cette qualité; Quelles sont les autres qualités du style, dans ce même morceau? (clarté, précision...;  les mettre en lumière); Quel est le sens de ces expressions : piqué au vil, une lanterne sourde? Donnez la signification de chacun des mots suivants : colporteur, outres, haridelle, réaux. IV .— La grammaire. — Quelle est la composition du mot colporteur ? Indiquez quelques mots de la même famille que poignard; Justifiez l'orthographe de a payés (dernier alinéa); Faites connaître la nature et la fonction de que et t' (dans : que t'a payés...); Distinguez les propositions contenues dans le dernier alinéa du morceau; — nature de chacune d'elles.

Rédaction. — Quelles réflexions vous suggère le récit que vous venez de lire ?

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