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Milly (Lamartine souhaite d'être enseveli dans le cimetière de Milly)

Publié le 10/07/2011

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lamartine

Ah! si le nombre écrit sous l'œil des destinées Jusqu'aux cheveux blanchis prolonge mes années, Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours Parmi ces monuments de mes simples amours, Et, quand ces toits bénis et ces tristes décombres Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres, Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux, Tant d'êtres adorés disparus de mes yeux! Et vous, qui survivrez à ma cendre glacée, Si vous voulez charmer ma dernière pensée, Un jour, élevez-moi... Non, ne m'élevez rien; Mais, près des lieux où dort l'humble espoir du chrétien, Creusez-moi dans ces champs la couche que j'envie Et ce dernier sillon où germe une autre vie! Etendez sur ma tête un lit d'herbes des champs Que l'agneau du hameau broute encor au printemps, Où l'oiseau dont mes sœurs ont peuplé ces asiles Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles. Là, pour marquer la place où vous m'allez coucher, Roulez de la montagne un fragment de rocher; Que nul ciseau surtout ne le taille et n'efface La mousse des vieux jours qui brunit sa surface Et, d'hiver en hiver inscrustée à ses flancs, Donne en lettre vivante une date à ses ans. Point de siècle ou de nom sur cette agreste page ! Devant l'éternité tout siècle est du même âge, Et celui dont la voix réveille le trépas Au défaut d'un vain nom ne nous oubliera pas. Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres, Plus près du sol natal, de l'air et du soleil, D'un sommeil plus léger j'attendrai le réveil. Là, ma cendre, mêlée à la terre qui m'aime, Retrouvera la vie avant mon esprit même, Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs, Boira des nuits d été les parfums et les pleurs; Et, quand du jour sans soir la première étincelle Viendra m'y réveiller pour l'aurore éternelle, En ouvrant mes regards je reverrai des lieux Adorés de mon cœur et connus de mes yeux, Les pierres du hameau, le clocher, la montagne, Le lit sec du torrent et l'aride campagne; Et, rassemblant de l'œil tous les êtres chéris Dont l'ombre près de moi dormait sous ces débris; Avec des sœurs, un père et l'âme d'une mère, Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre, Comme le passager qui des vagues descend Jette encore au navire un œil reconnaissant, Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes L'adieu, le seul adieu qui n'aura point de larmes!

L'ensemble. — Lamartine termine le poème de Milly en exprimant un vœu suprême : celui de vieillir dans la maison de son enfance, celui d'y mourir, et de dormir son dernier sommeil dans l'humble cimetière qui entoure l'église de son village. Les poètes romantiques, se préoccupant d'eux-mêmes au-delà de la tombe, ont tous, plus ou moins, parlé de cette cc élection de sépulture « chantée déjà par Ronsard. Chateaubriand demande une tombe sans nom, au bord de l'océan; Hugo voudrait être enseveli sous les arbres de la forêt, Musset aimerait qu'un saule ombrageât son ultime sommeil... Lamartine donne ici une preuve de son attachement à la terre natale, aux souvenirs de famille; il montre aussi son amour de la nature, et le contact intime qu'il rêve d'avoir avec elle, où se manifeste d'ailleurs un certain panthéisme, ce qui n'empêche pas cependant sa fidélité aux traditions chrétiennes, qu'il célèbre avec émotion en évoquant le jour du Jugement et l'immortelle réunion avec tous ceux que nous avons aimés. On sait que le vœu du poète ne put être exaucé, puisque des besoins d'argent le forcèrent à vendre Milly, et que c'est dans le cimetière de Saint-Point que Lamartine fut enterré.  

 

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