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Monsieur Bergeret a Paris bonne fille.

Publié le 11/04/2014

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Monsieur Bergeret a Paris bonne fille. Sous Méline, la police était exquise, elle était suave. Je n'exagère pas, elle était suave. A une manifestation royaliste, que vous aviez très gentiment organisée, Brécé, j'ai crié «Vive la police!» à m'égosiller. C'était de bon coeur. Les sergots assommaient les républicains avec entrain!... Gérault-Richard était fichu au bloc pour avoir crié: «Vive la République!» Méline nous faisait la vie trop douce. Une nourrice, quoi! Il nous berçait, il nous a endormis. Mais oui! Le général Decuir lui-même disait: «Du moment que nous avons tout ce que nous pouvons désirer, pourquoi essayer de chambarder la boutique, au risque d'écoper salement?» O temps heureux! Méline menait la ronde. Nationalistes, monarchistes, antisémites, plébiscitaires, nous dansions en choeur à son violon villageois. »Tous ruraux, tous fortunés! Sous Dupuy déjà, j'étais moins content; avec lui, c'était moins franc. On était moins tranquille. Bien sûr qu'il ne voulait pas nous faire du mal. Mais ce n'était pas un vrai ami. Ce n'était plus le bon ménétrier de village qui menait la noce. C'était un gros cocher qui nous trimballait en fiacre. Et l'on allait cahin-caha et l'on accrochait de-ci de-là, et l'on risquait de verser. Il avait la main dure. Vous me direz que c'était un faux maladroit. Mais la fausse maladresse ressemble énormément à la vraie. Et puis il ne savait pas où il voulait aller. On en voit comme ça, des collignons qui ne connaissent pas votre rue et qui vous roulent indéfiniment dans des chemins impossibles en clignant de l'oeil d'un air malin. C'est énervant! --Je ne défends pas Dupuy, dit Henri de Brécé. --Je ne l'attaque pas, je l'observe, je l'étudie, je le classe. Je ne le hais point. Il nous a rendu un grand service. Ne l'oublions pas. Sans lui, nous serions tous coffrés à l'heure qu'il est. Parfaitement, pendant les funérailles de Faure, au grand jour de l'action parallèle, sans lui, après avoir raté le coup du catafalque, nous étions frits, mes petits agneaux. --Ce n'est pas nous qu'il voulait ménager, dit Joseph Lacrisse, le nez dans son registre. --Je le sais. Il a vu tout de suite qu'il ne pouvait rien faire, qu'il y avait des généraux là dedans, que c'était trop gros. Néanmoins nous lui devons une fameuse chandelle. --Bah! dit Henri de Brécé, nous aurions été acquittés, comme Déroulède. --C'est possible, mais il nous a laissés nous refaire bien tranquillement après la débandade des obsèques, et je lui en suis reconnaissant, je l'avoue. D'un autre côté, sans méchanceté, sans le vouloir, peut-être, il nous a fait beaucoup de tort. Tout d'un coup, au moment où l'on s'y attendait le moins, ce gros homme avait l'air de se fâcher tout rouge contre nous. Il faisait mine de défendre la République. Sa position le voulait, je le sais bien. Ce n'était pas sérieux. Mais ça faisait mauvais effet. Je m'épuise à vous le dire: ce pays est conservateur. Dupuy, lui, ne disait pas, comme Méline, que c'était nous les conservateurs, que c'était nous les républicains. D'ailleurs, il l'aurait dit qu'on ne l'aurait pas cru. On ne le croyait jamais. Sous son ministère, nous avons perdu quelque chose de notre autorité sur le pays. Nous avons cessé d'être du gouvernement. Nous avons cessé d'être rassurants. Nous avons commencé à inquiéter les républicains de profession. C'était honorable, mais c'était dangereux. Nos affaires étaient moins bonnes sous Dupuy que sous Méline; elles sont moins bonnes sous Waldeck-Rousseau qu'elles n'étaient sous Dupuy. Voilà la vérité, l'amère vérité. --Évidemment, répliqua Henri de Brécé en tirant sa moustache, évidemment le ministère Waldeck-Millerand est animé des pires intentions; mais, je vous le répète, il est impopulaire, il ne durera pas. --Il est impopulaire, reprit Henri Léon, mais êtes-vous sûr qu'il ne durera pas assez longtemps pour nous faire du mal? Les gouvernements impopulaires durent autant que les autres. D'abord il n'y a pas de gouvernements populaires. Gouverner, c'est mécontenter. Nous sommes entre nous: nous n'avons pas besoin de dire des bêtises exprès. Est-ce que vous croyez que nous serons populaires, nous, quand nous serons le gouvernement? Croyez-vous, Brécé, que les populations pleureront d'attendrissement en vous contemplant XI 37 Monsieur Bergeret a Paris dans votre habit de chambellan, une clef dans le dos? Et vous, Lacrisse, pensez-vous que vous serez acclamé dans les faubourgs, un jour de grève, quand vous serez préfet de police? Regardez-vous dans la glace, et dites-moi si vous avez la tête d'une idole du peuple. Ne nous trompons pas nous-mêmes. Nous disons que le ministère Waldeck est composé d'idiots. Nous avons raison de le dire; nous aurions tort de le croire. --Ce qui doit nous rassurer, dit Joseph Lacrisse, c'est la faiblesse du gouvernement, qui ne sera pas obéi. --Il y a belle lurette, dit Henri Léon, que nous n'avons que des gouvernements faibles. Ils nous ont tous battus. --Le ministère Waldeck n'a pas un commissaire de police à sa disposition, répliqua Joseph Lacrisse, pas un seul! --Tant mieux! dit Henri Léon, car il suffirait d'un pour être coffrés tous les trois. Je vous le dis, le cercle se resserre. Méditez cette parole d'un philosophe; elle en vaut la peine: «Les républicains gouvernent mal, mais ils se défendent bien.» Cependant Henri de Brécé, penché sur son bureau, transformait un second pâté d'encre en coléoptère par l'adjonction d'une tête, de deux antennes et de six pattes. Il jeta un regard satisfait sur son oeuvre, leva la tête et dit:--Nous avons encore de belles cartes dans notre jeu, l'armée, le clergé.... Henri Léon l'interrompit: --L'armée, le clergé, la magistrature, la bourgeoisie, les garçons bouchers, tout le train de plaisir de la République, quoi!... Cependant le train roule, et il roulera jusqu'à ce que le mécanicien arrête la machine. --Ah! soupira Joseph, si nous avions encore le président Faure!.... --Félix Faure, reprit Henri Léon, s'était mis avec nous par vanité. Il était nationaliste pour chasser chez les Brécé. Mais il se serait retourné contre nous dès qu'il nous aurait vus sur le point de réussir. Ce n'était pas son intérêt de rétablir la monarchie. Dame! qu'est-ce que la monarchie lui aurait donné? Nous ne pouvions pourtant pas lui offrir l'épée de connétable. Regrettons-le; il aimait l'armée; pleurons-le; mais ne soyons pas inconsolables de sa perte. Et puis il n'était pas le mécanicien. Loubet non plus n'est pas le mécanicien. Le Président de la République, quel qu'il soit, n'est pas maître de la machine. Ce qui est terrible, voyez-vous, mes amis, c'est que le train de la République est conduit par un mécanicien fantôme. On ne le voit pas, et la locomotive va toujours. Cela m'effraye, positivement. »Et il y a autre chose encore, poursuivit Henri Léon. Il y a la veulerie générale. Je veux vous rapporter à ce sujet une parole profonde du citoyen Bissolo. C'était quand nous organisions, avec les antisémites, des manifestations spontanées contre Loubet. Nos bandes traversaient les boulevards en criant: «Panama! démission! Vive l'armée!» C'était superbe! Le petit Ponthieu et les deux fils du général Decuir tenaient la tête, huit reflets au chapeau, un oeillet blanc à la boutonnière, à la main une badine à pomme d'or. Et les meilleurs camelots de Paris formaient la colonne. On avait pu les choisir. Une bonne paye et pas de risques! Ils auraient été bien fâchés de manquer une telle fête. Aussi quelles gueules, et quels poings, et quels gourdins! »Une contre-manifestation ne tardait pas à se produire. Des bandes moins nombreuses et moins brillantes que les nôtres, aguerries cependant et résolues, s'avançaient à l'encontre de nous, aux cris de «Vive la République! A bas la calotte!» Parfois, du milieu de nos adversaires, un cri de «Vive Loubet!» s'élevait, tout surpris lui-même de traverser les airs. Cette clameur insolite excitait, avant d'expirer, la colère des sergots, qui formaient précisément à cette heure un barrage sur le boulevard. Tel un austère galon de laine noire au bord d'un tapis bariolé. Mais bientôt cette bordure, animée d'un mouvement propre, se précipitait sur le front de la XI 38

« dans votre habit de chambellan, une clef dans le dos? Et vous, Lacrisse, pensez-vous que vous serez acclamé dans les faubourgs, un jour de grève, quand vous serez préfet de police? Regardez-vous dans la glace, et dites-moi si vous avez la tête d'une idole du peuple.

Ne nous trompons pas nous-mêmes.

Nous disons que le ministère Waldeck est composé d'idiots.

Nous avons raison de le dire; nous aurions tort de le croire. —Ce qui doit nous rassurer, dit Joseph Lacrisse, c'est la faiblesse du gouvernement, qui ne sera pas obéi. —Il y a belle lurette, dit Henri Léon, que nous n'avons que des gouvernements faibles.

Ils nous ont tous battus. —Le ministère Waldeck n'a pas un commissaire de police à sa disposition, répliqua Joseph Lacrisse, pas un seul! —Tant mieux! dit Henri Léon, car il suffirait d'un pour être coffrés tous les trois.

Je vous le dis, le cercle se resserre.

Méditez cette parole d'un philosophe; elle en vaut la peine: «Les républicains gouvernent mal, mais ils se défendent bien.» Cependant Henri de Brécé, penché sur son bureau, transformait un second pâté d'encre en coléoptère par l'adjonction d'une tête, de deux antennes et de six pattes.

Il jeta un regard satisfait sur son oeuvre, leva la tête et dit:—Nous avons encore de belles cartes dans notre jeu, l'armée, le clergé.... Henri Léon l'interrompit: —L'armée, le clergé, la magistrature, la bourgeoisie, les garçons bouchers, tout le train de plaisir de la République, quoi!...

Cependant le train roule, et il roulera jusqu'à ce que le mécanicien arrête la machine. —Ah! soupira Joseph, si nous avions encore le président Faure!.... —Félix Faure, reprit Henri Léon, s'était mis avec nous par vanité.

Il était nationaliste pour chasser chez les Brécé.

Mais il se serait retourné contre nous dès qu'il nous aurait vus sur le point de réussir.

Ce n'était pas son intérêt de rétablir la monarchie.

Dame! qu'est-ce que la monarchie lui aurait donné? Nous ne pouvions pourtant pas lui offrir l'épée de connétable.

Regrettons-le; il aimait l'armée; pleurons-le; mais ne soyons pas inconsolables de sa perte.

Et puis il n'était pas le mécanicien.

Loubet non plus n'est pas le mécanicien.

Le Président de la République, quel qu'il soit, n'est pas maître de la machine.

Ce qui est terrible, voyez-vous, mes amis, c'est que le train de la République est conduit par un mécanicien fantôme.

On ne le voit pas, et la locomotive va toujours.

Cela m'effraye, positivement. »Et il y a autre chose encore, poursuivit Henri Léon.

Il y a la veulerie générale.

Je veux vous rapporter à ce sujet une parole profonde du citoyen Bissolo.

C'était quand nous organisions, avec les antisémites, des manifestations spontanées contre Loubet.

Nos bandes traversaient les boulevards en criant: «Panama! démission! Vive l'armée!» C'était superbe! Le petit Ponthieu et les deux fils du général Decuir tenaient la tête, huit reflets au chapeau, un oeillet blanc à la boutonnière, à la main une badine à pomme d'or.

Et les meilleurs camelots de Paris formaient la colonne.

On avait pu les choisir.

Une bonne paye et pas de risques! Ils auraient été bien fâchés de manquer une telle fête.

Aussi quelles gueules, et quels poings, et quels gourdins! »Une contre-manifestation ne tardait pas à se produire.

Des bandes moins nombreuses et moins brillantes que les nôtres, aguerries cependant et résolues, s'avançaient à l'encontre de nous, aux cris de «Vive la République! A bas la calotte!» Parfois, du milieu de nos adversaires, un cri de «Vive Loubet!» s'élevait, tout surpris lui-même de traverser les airs.

Cette clameur insolite excitait, avant d'expirer, la colère des sergots, qui formaient précisément à cette heure un barrage sur le boulevard.

Tel un austère galon de laine noire au bord d'un tapis bariolé.

Mais bientôt cette bordure, animée d'un mouvement propre, se précipitait sur le front de la Monsieur Bergeret a Paris XI 38. »

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