Mythologie de la violence.
Publié le 31/03/2011
Extrait du document
De même que la violence n'est pas nouvelle, elle paraît être un de ces phénomènes dont nul n'imagine qu'ils puissent diminuer : l'opinion courante s'accorde donc à penser qu'elle ne peut que s'aggraver, et, depuis des siècles, la croyance est ancrée au plus profond des esprits. Cette seconde tête du mythe est plus aisée à pourfendre. Car si vraiment la violence était en progression continue, nos civilisations auraient, depuis belle lurette, été emportées dans la tourmente. Et pourtant, les trains partent, les usines tournent, les bureaucraties fonctionnent; notre système social, sans cesse plus complexe, apparaît réglé comme une grande horloge. L'argument, donc, ne tient pas, mais il s'excuse de lui-même ; sa raison est simple : il y a toujours eu trop de crimes. On ne peut néanmoins s'empêcher de relever, dans l'esprit du temps, une curieuse incohérence. Il y a quelque paradoxe, en effet, à déplorer régulièrement, comme on le fait dans la grande presse l'apathie des jeunes générations et à jeter, en même temps, l'alarme sur l'explosion de la violence. Où sont les blousons noirs des années cinquante ? Où sont les révolutionnaires chevelus des années soixante ? depuis une dizaine d'années, par ces temps de « crise «, nos rues sont bien calmes, nos campus bien silencieux. Nous vivons dans des nations urbaines, mais nous avons peur des villes. La concentration des hommes et des activités, répète-t-on à l'envi, est, en soi, criminogène ; et de citer, invariablement, les mêmes expériences... sur des rats de laboratoire, dont l'agressivité augmente avec le nombre, la densité. Mais on ignore volontiers l'histoire humaine. Le Japon hautement industrialisé et urbanisé a néanmoins un taux de criminalité très faible — le plus faible du monde industriel — de même que les Pays-Bas, pays le plus dense d'Europe. Certes, la criminalité violente n'est pas indépendante de la taille des villes, puisque, en règle générale, elle croît avec la dimension des unités urbaines. Le fait est là, indéniable, mais il faut se garder de glisser dans des interprétations hâtives et surtout d'en tirer trop vite des enseignements pour la politique criminelle, en prônant comme une panacée, suivant la mode du moment, le retour à un habitat moins dense ! Ce constat statique n'est, en fait, que le miroir d'une dynamique, la résultante d'un lent processus de restructuration de la criminalité. Nous serions passés d'un ordre agraire stable et paisible à l'actuel désarroi urbain ; nous vivrions désormais dans cette grande cité maudite, où les hommes sont coupés de leurs racines pour n'être plus qu'une masse d'anonymes. Telle est, du moins, la croyance publique. Mais cette vision-là est un cliché ancien, aussi vieux que la ville elle-même. C'est la vision nostalgique du village de ses ancêtres, où tout le monde connaissait tout le monde, où la vie était, pense-t-on, tranquille et harmonieuse. C'est aussi le discours conservateur : le départ à la ville, c'est la fuite vers l'inconnu, la course à l'aventure, en bref, le risque de perdition. Derrière la ville, il y a la complexité, la mobilité, la fluidité, l'imprévisibilité du monde moderne ; en un mot, la sensation de chaos, d'enfer, de capharnaüm qui épouvante les hommes d'ordre. L'anonymat est peu propice à l'emprise policière, à la capture des brigands. La ville est le lieu des contestations, le centre des grandes manifestations, le théâtre des révolutions. Vient-elle à gronder, et les gouvernements tremblent. La ville incarne le progrès, mais elle cristallise son corollaire : l'angoisse, la peur du futur. On la charge volontiers des maux de la civilisation, alors qu'elle n'en est que le réceptacle. Elle a assimilé des flots d'immigrés, refoulés par la misère ou par la persécution ; elle a absorbé la substance vive du pays, elle en a incorporé les forces et les faiblesses. La violence rurale elle-même, jadis si forte, s'y est réfugiée et bientôt fondue, engloutie, comme happée par les vertiges de l'anonymat collectif. Mais le public est craintif; sans cesse bombardée par les « informations « — qui ne sont rien d'autre que l'énuméra-tion des malheurs, des catastrophes et des violences qui, chaque jour, s'abattent, en grêle ininterrompue, sur les points les plus divers de notre planète — l'opinion est fragile ; l'instabilité du monde, la rapidité des changements, l'incertitude du futur, sécrètent, chez elle, une insécurité psychologique qui, en compensation, appelle une demande de protection, une revendication de sécurité. Jean-Claude Chesnais, Histoire de la Violence. 1. Vous résumez ce texte en 190 mots (écart toléré plus ou moins 10 %). Donnez le nombre exact de mots de votre résumé. 2. Expliquez les expressions suivantes : — l'apathie des jeunes générations ; — la vision nostalgique du village de ses ancêtres. 3. Pensez-vous que, sous l'influence des médias, l'opinion publique soit dans l'état « d'insécurité psychologique « dont parle l'auteur ?
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