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Paul Valéry, Regards sur le monde actuel: Toute grande ville d'Europe ou d'Amérique est cosmopolite

Publié le 31/03/2011

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Toute grande ville d'Europe ou d'Amérique est cosmopolite : ce qui peut se traduire ainsi : plus elle est vaste, plus elle est diverse, plus grand est le nombre des races qui y sont représentées, des langues qui s'y parlent, des dieux qui s'y trouvent adorés simultanément.    Chacune de ces trop grandes et trop vivantes cités, créations de l'inquiétude, de l'avidité, de la volonté combinées avec la figure locale du sol et la situation géographique, se conserve et s'accroît en attirant à soi ce qu'il y a de plus ambitieux, de plus remuant, de plus libre d'esprit, de plus raffiné dans les goûts, de plus vaniteux, de plus luxurieux et de plus lâche quant aux mœurs. On vient aux grands centres pour avancer, pour triompher, pour s'élever; pour jouir, pour s'y consumer ; pour s'y fondre et s'y métamorphoser ; et en somme pour jouer, pour se trouver à la portée du plus grand nombre possible de chances et de proies, femmes, places, clartés, relations, facilités diverses ; pour attendre ou provoquer l'événement favorable dans un milieu dense et chargé d'occasions, de circonstances, et comme riche d'imprévu, qui engendre à l'imagination toutes les promesses de l'incertain. Chaque grande ville est une immense maison de jeu.    Mais dans chacune il est quelque jeu qui domine. L'une s'enorgueillit d'être le marché de tout le diamant de la terre ; l'autre tient le contrôle du coton. Telle porte le sceptre du café, ou des fourrures, ou des soies; telle autre fixe le cours des frets ou des fauves, ou des métaux. Toute une ville sent le cuir ; l'autre la poudre parfumée.    Paris fait un peu de tout. Ce n'est point qu'il n'ait sa spécialité et sa propriété particulière ; mais elle est d'un ordre plus subtil, et la fonction qui lui appartient à lui seul est plus difficile à définir que celles des autres cités.    La parure des femmes et la variation de cette parure ; la production des romans et des comédies ; les arts divers qui tendent au raffinement des plaisirs fondamentaux de l'espèce, tout ceci lui est communément et facilement attribué.    Mais il faut y regarder plus attentivement et chercher un peu plus à fond le caractère essentiel de cet illustre Paris.    Il est d'abord à mes yeux la ville la plus complète qui soit au monde, car je n'en vois point où la diversité des occupations, des industries, des fonctions, des produits et des idées soit plus riche et mêlée qu'ici.    Être à soi seul la capitale politique, littéraire, scientifique, financière, commerciale, voluptuaire et somptuaire d'un pays ; en représenter toute l'histoire ; en absorber et en concentrer toute la substance pensante aussi bien que tout le crédit et presque toutes les facultés et disponibilités d'argent, et tout ceci, bon ou mauvais pour la nation qu'elle couronne, c'est par quoi se distingue entre toutes les villes géantes, la ville de Paris. Les conséquences, les immenses avantages, les inconvénients, les graves dangers de cette concentration sont aisés à imaginer.    Ce rapprochement si remarquable d'êtres diversement inquiets, d'intérêts tout différents entre eux, qui s'entrecroisent, de recherches qui se poursuivent dans le même air, qui, s'ignorant, ne peuvent toutefois qu'elles ne se modifient l'une l'autre par influence, ces mélanges précoces de jeunes hommes dans les cafés, ces combinaisons fortuites et ces reconnaissances tardives d'hommes mûrs et parvenus dans les salons, le jeu beaucoup plus facile et accéléré qu'ailleurs des individus dans l'édifice social, suggèrent une image de Paris toute psychologique.    Paris fait songer à je ne sais quel grossissement d'un organe de l'esprit. Il y règne une mobilité toute mentale.    Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, 1945.    1. Vous résumerez ce texte en 150 mots (écart toléré : plus ou moins 10 %). Vous indiquerez sur votre copie le nombre de mots que vous aurez employés.    2. Vous expliquerez les phrases et expressions suivantes :    — ... des plaisirs fondamentaux de l'espèce ;    — ... le jeu beaucoup plus facile et accéléré qu'ailleurs des individus dans l'édifice social...    3. Pour Valéry, la grande ville est un lieu « riche d'imprévu, qui engendre à l'imagination toutes les promesses de l'incertain. Chaque grande ville est une immense maison de jeu «. Partagez-vous cette vision des grandes métropoles?

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