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Un penseur contemporain a écrit : « l'Histoire justifie ce que l'on veut. Elfe n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et elle donne des exemples de tout. » (Paul Valéry, « Regards sur le monde actuel »). Ce scepticisme touchant la portée de l'histoire vous paraît-il justifié ?

Publié le 27/02/2008

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histoire
Chacun choisit les faits qui confirment sa thèse et néglige les autres. Ensuite, les événements historiques ne se répétant pas, un contrôle rigoureux des observations antérieures est impossible. Enfin, du passé il ne nous reste que des faits bruts, des matériaux sans âme : l'âme, c'est-à-dire la pensée des acteurs des tragédies de jadis, leurs intentions, à chacun de les concevoir d'après les vraisemblances ; et ce qui paraît vraisemblable à l'un est jugé peu vraisemblable par un autre. De ces observations, il ressort nettement que l'histoire peut justifier des thèses opposées. N'est-il pas exagéré de dire qu'elle peut justifier tout ce que l'on veut ? Tout d'abord, personne ne songera à prendre à la lettre l'expression « tout ce que l'on veut ». Si quelqu'un prétendait, pour reprendre un exemple de Paul Valéry, que toute l'histoire humaine est commandée par la découverte du quinquina, ou encore que la crise économique actuelle résulte de la démolition de la Grande-Roue, on se contenterait de sourire à ce plaisantin. Par « tout ce que l'on veut », il faut entendre toutes les hypothèses que l'observation ou l'étude ont suggérées ou même imposées à l'historien. L'histoire ne peut peut-être pas fournir de ces hypothèses une vérification vraiment scientifique; de là à affirmer qu'elle justifie tout ce que l'on veut, il y a de la marge. Ensuite, ces hypothèses elles-mêmes entre lesquelles se partagent les historiens sont fondées sur des faits reconnus par tous.
histoire

« A.

Sans doute, à l'époque préscientifique et plus ou moins encore dans la suite, la majorité des livres d'histoireétaient moralisateurs.

Mais la question est de savoir si, dans la mesure même où ils exercent une certaineinfluence moralisatrice, ils ne s'écartent pas de l'histoire vraie, tombant dans la biographie romancée, dans lerécit édifiant ou dans la légende.

L'histoire vraie « contient tout et nous donne des exemples de tout ».L'historien qui fait un choix parmi les faits, dans le but de fournir à ses lecteurs de beaux modèles, fait uneoeuvre morale, non une oeuvre historique.Si le passé nous paraît plus beau que le présent, c'est que nous sommes portés à oublier ce qu'il avait de laid.Constatons ce qui se passe à la mort : les critiques cessent, un concert de louanges ou du moins un silencerespectueux 's'imposent.

De là sans doute, la tendance générale à parler des vertus des temps passés.L'histoire, surtout l'histoire d'autrefois, ne pouvait qu'exagérer cette tendance : sur qui fixait-elle notreattention, sinon sur les grands hommes, rois, conquérants, réformateurs ?...

L'humanité moyenne disparaissaitdans un fond vague.

Seuls les plus beaux types humains avaient les honneurs de l'avant-scène.

On comprendqu'une telle histoire pût enseigner quelque chose : elle ne donnait guère que des exemples choisis.Par conséquent, si l'histoire est éducatrice, c'est parce qu'elle ne montre pas le passé tel qu'il est ; parcequ'elle a cessé d'être ou n'est pas encore la véritable histoire. B.

L'histoire scientifique ne peut donc pas donner des leçons, et l'historien a pour but d'expliquer le passé, nonde le juger en précisant dans quelle mesure il doit être imité.

Toutefois, le lecteur d'ouvrages qui font revivre lepassé, et l'auteur de ces ouvrages lui-même, en tant qu'homme sinon en tant que savant, ne peuvent-ils pastirer de la considération de ce passé des leçons précieuses pour l'avenir ?D'abord, nous avons, de fait, une certaine morale théorique, c'est-à-dire une conception générale de la vie, uncertain sens de l'idéal.

L'histoire pourra nous apprendre comment organiser notre vie personnelle et la viecollective de manière à réaliser cette conception d'une façon viable et se rapprochant le plus possible de l'idéalentrevu ; elle nous montrera, au contraire, comment certaines méthodes, justifiables d'un certain point de vue,aboutissent, en fait, à un recul de la moralité et de la culture, à un retour vers la barbarie.

L'histoire resteraune véritable « maîtresse de vie ».Si nous n'avions pas de morale théorique et si nous n'entrevoyions pas quel sens nous devons donner à la vie,l'histoire ne serait certes pas capable de suppléer à ce déficit.

Comme le physicien, l'historien constate ce quiest : non ce qui doit être.

Or, il n'y a pas de privilège pour ce qui a été, pas plus qu'on ne peut pas jeterl'interdit sur ce qui n'a pas encore été.

L'histoire ne peut donc pas résoudre le problème moral.

Elle peut dumoins le poser d'une façon aiguë.

La vue de cet immense fleuve humain, aspirant toujours à plus de bonheur età plus de justice, l'appel fréquent lancé par des esprits d'élite à un droit supérieur à la force, les efforts d'âmesgénéreuses pour réaliser l'accord universel des hommes, ne peuvent pas manquer d'émouvoir le penseur et del'amener à se poser la question : n'y a-t-il là que vaine aspiration ? Cet idéal dont l'homme subit l'attrait est-iltotalement illusoire ? Si l'histoire conduit à se poser cette question, dirons-nous qu'elle n'enseigne rien ? N'est-ce pas un enseignement précieux que de poser les grands problèmes dont la solution commande la vieraisonnable de l'homme ?Si donc l'histoire est incapable de nous fournir une morale toute faite, elle peut du moins nous éclairer dans lapratique de celle que nous professons et rendre plus impérieux le besoin d'une réponse à la question du but dela vie.

« L'histoire, a écrit Fustel de Coulanges, ne nous dira sans doute pas ce qu'il faut faire, mais elle nousaidera peut-être à le trouver ».L'histoire n'amène donc pas au scepticisme.

Sans doute le sceptique y trouve d'innombrables raisons de sonattitude : les contradictions des hommes ont été un des plus forts arguments mis en avant, depuis Pyrrhonjusqu'à Pascal, par ceux qui ont douté de la possibilité pour l'homme d'arriver à la vérité.

Mais cette attitudeétait antérieure à l'étude du passé.Ne pourrait-on pas expliquer de la même manière l'attitude prise par Valéry à l'égard de l'histoire ? Si, pour lui, «l'histoire peut justifier ce que l'on veut », n'est-ce pas parce qu'il est sceptique ? Il a été frappé parl'impossibilité de séparer l'observateur de la chose observée, et l'histoire de l'historien ».

Mais cette remarquene doit-elle pas s'appliquer aussi au jugement qu'il porte lui-même sur l'histoire ? Ce jugement se justifie dansl'attitude sceptique de Paul Valéry.

Qu'on abandonne cette attitude, et il ne se justifie plus avec la mêmeévidence.. »

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