Devoir de Philosophie

Pauline s'enquit de son passé, de sa vie intime: il s'assura

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

Pauline s'enquit de son passé, de sa vie intime: il s'assura que tout autre cadeau que celui d'un bouquet serait repoussé d'elle comme un sanglant affront; et en même temps que ces découvertes lui donnèrent de l'estime pour Laurence, elles éveillèrent en lui la pensée de vaincre cette fierté, parce que cela était difficile et aurait du retentissement. C'était donc dans ce but qu'il s'était glissé dans son intimité, mais avec adresse, et pensant bien que le premier point était de lui ôter toute crainte sur ses intentions. Pendant ces trois ans le temps avait marché, et l'occasion de risquer une tentative ne s'était pas présentée. Le talent de Laurence était devenu incontestable, sa célébrité avait grandi, son existence était assurée, et, ce qu'il y avait de plus remarquable, son coeur ne s'était point donné. Elle vivait repliée sur elle-même, ferme, calme, triste parfois, mais résolue de ne plus se risquer à la légère sur l'aile des orages. Peut-être ses réflexions l'avaient-elle rendue plus difficile, peut-être ne trouvait-elle aucun homme digne de son choix... Était-ce dédain, était-ce courage? Montgenays se le demandait avec anxiété. Quelques-uns se persuadaient qu'il était aimé en secret, et lui demandaient compte, à lui, de son indifférence apparente. Trop adroit pour se laisser pénétrer, Montgenays répondait que le respect enchaînerait toujours en lui la pensée d'être autre chose pour Laurence qu'un ami et un frère. On redisait ces paroles à Laurence, et on lui demandait si sa fierté ne dispenserait jamais ce pauvre Montgenays d'une déclaration qu'il n'aurait jamais l'audace de lui faire. --Je le crois modeste, répondait-elle, mais pas au point de ne pas savoir dire qu'il aime, si jamais il vient à aimer. Cette réponse revenait à Montgenays, et il ne savait s'il devait la prendre pour la raillerie du dépit ou pour la douceur de l'indifférence. Sa vanité en était parfois si tourmentée, qu'il était prêt à tout risquer pour le savoir; mais la crainte de tout gâter et de tout perdre le retenait, et le temps s'écoulait sans qu'il vît jour à sortir de ce cercle vicieux où chaque semaine le transportait d'une phase d'espoir à une phase de découragement, et d'une résolution d'hypocrisie à une résolution d'impertinence, sans qu'il lui fût jamais possible de trouver l'heure convenable pour une déclaration qui ne fût pas insensée, ou pour une retraite qui ne fût pas ridicule. Ce qu'il craignait le plus au monde, c'était de prêter à rire, lui qui mettait son amour-propre à jouer un personnage sérieux. La présence de Pauline lui vint en aide, et la beauté de cette jeune fille sans expérience lui suggéra de nouveaux plans sans rien changer à son but. Il imagina de se conformer à une tactique bien vulgaire, mais qui manque rarement son effet, tant les femmes sont accessibles à une sotte vanité. Il pensa qu'en feignant une velléité d'amour pour Pauline il éveillerait chez son amie le désir de la supplanter. Absent de Paris depuis plusieurs mois, il fit sa rentrée dans le salon de Laurence un certain soir où Pauline, étonnée, effarouchée de voir le cercle habituel s'agrandir d'heure en heure, commençait à souffrir du peu d'ampleur de sa robe noire et de la roideur de sa collerette. Dans ce cercle, elle remarquait plusieurs actrices toutes jolies ou du moins attrayantes à force d'art; puis, en se comparant à elles, en se comparant à Laurence même, elle se disait avec raison que sa beauté était plus régulière, plus irréprochable, et qu'un peu de toilette suffirait pour l'établir devant tous les yeux. En passant et repassant dans le salon, selon sa coutume, pour préparer le thé, veiller à la clarté des lampes et vaquer à tous ces petits soins qu'elle avait assumés volontairement sur elle, son mélancolique regard plongeait dans les glaces, et son petit costume de demi-béguine commençait à la choquer. Dans un de ces moments-là elle rencontra précisément dans la glace le regard de Montgenays, qui observait tous ses mouvements. Elle ne l'avait pas entendu annoncer; elle l'avait rencontré dans l'antichambre sans le voir lorsqu'il était arrivé. C'était le premier homme d'une belle figure et d'une véritable élégance qu'elle eût encore pu remarquer. Elle en fut frappée d'une sorte de terreur; elle reporta ses yeux sur elle-même avec inquiétude, trouva sa robe flétrie, ses mains rouges, ses souliers épais, sa démarche gauche. Elle eût voulu se cacher pour échapper à ce regard qui la suivait toujours, qui observait son trouble, et qui était assez pénétrant dans les sentiments d'une donnée vulgaire pour comprendre d'emblée ce qui se passait en elle. Quelques instants après, elle remarqua que Montgenays parlait d'elle à Laurence; car, tout en s'entretenant à voix basse, leurs regards se portaient sur elle. --Est-ce une première camériste ou une demoiselle de compagnie que vous avez là? demandait Montgenays à Laurence, quoiqu'il sût fort bien le roman de Pauline. --Ni l'une ni l'autre, répondit Laurence. C'est mon amie de province dont je vous ai souvent parlé. Comment vous plaît-elle? --Montgenays affecta de ne pas répondre d'abord, de regarder fixement Pauline; puis il dit d'un ton étrange que Laurence ne lui connaissait pas, car c'était une intonation mise en réserve depuis longtemps pour faire son effet dans l'occasion: IV. 21 Pauline --Admirablement belle, délicieusement jolie! --En vérité! s'écria Laurence toute surprise de ce mouvement, vous me rendez bien heureuse de me dire cela! Venez, que je vous présente à elle. --Et, sans attendre sa réponse, elle le prit par le bras et l'entraîna jusqu'au bout du salon, où Pauline essayait de se faire une contenance on rangeant son métier de broderie. --Permets-moi, ma chère enfant, lui dit Laurence, de te présenter un de mes amis que tu ne connais pas encore, et qui depuis longtemps désire beaucoup te connaître. --Puis, ayant nommé Montgenays à Pauline, qui, dans son trouble, n'entendit rien, elle adressa la parole à un de ses camarades qui entrait; et, changeant de groupe, elle laissa Montgenays et Pauline face à face, pour ainsi dire tête à tête, dans le coin du salon. Jamais Pauline n'avait parlé à un homme aussi bien frisé, cravaté, chaussé et parfumé. Hélas! on n'imagine pas quel prestige ces minuties de la vie élégante exercent sur l'imagination d'une fille de province. Une main blanche, un diamant à la chemise, un soulier verni, une fleur à la boutonnière, sont des recherches qui ne brillent plus en quelque sorte dans un salon que par leur absence; mais qu'un commis-voyageur étale ces séductions inouïes dans une petite ville, et tous les regards seront attachés sur lui. Je ne veux pas dire que tous les coeurs voleront au-devant du sien, mais du moins je pense qu'il sera bien sot s'il n'en accapare pas quelques-uns. Cet engouement puéril ne dura qu'un instant chez Pauline. Intelligente et fière, elle eut bientôt secoué ce reste de provincialité mais elle ne put se défendre de trouver une grande distinction et un grand charme dans les paroles que Montgenays lui adressa. Elle avait rougi d'être troublée par le seul extérieur d'un homme. Elle se réconcilia avec sa première impression en croyant trouver dans l'esprit de cet homme le même cachet d'élégance dont toute sa personne portait l'empreinte. Puis cette attention particulière qu'il lui accordait, le soin qu'il semblait avoir pris de se faire présenter à elle retirée dans un coin parmi les tasses de Chine et les vases de fleurs, le plaisir timide qu'il paraissait goûter à la questionner sur ses goûts, sur ses impressions et ses sympathies, la traitant de prime abord comme une personne éclairée, capable de tout comprendre et de tout juger; toutes ces coquetteries de la politesse du monde, dont Pauline ne connaissait pas la banalité et la perfidie, la réveillèrent de sa langueur habituelle. Elle s'excusa un instant sur son ignorance de toutes choses; Montgenays parut prendre cette timidité pour une admirable modestie ou pour une méfiance dont il se plaignait d'une façon cafarde. Peu à peu Pauline s'enhardit jusqu'à vouloir montrer qu'elle aussi avait de l'esprit, du goût, de l'instruction. Le fait est qu'elle en avait extraordinairement eu égard à son existence passée, mais qu'au milieu de tous ces artistes brisés à une causerie étincelante elle ne pouvait éviter de tomber parfois dans le lieu commun. Quoique sa nature distinguée la préservât de toute expression triviale, il était facile de voir que son esprit n'était pas encore sorti tout à fait de l'état de chrysalide. Un homme supérieur à Montgenays n'en eût été que plus intéressé à ce développement; mais le vaniteux en conçut un secret mépris pour l'intelligence de Pauline, et il décida avec lui-même, dès cet instant, qu'elle ne lui servirait jamais que de jouet, de moyen, de victime, s'il le fallait. Qui eût pu supposer dans un homme froid et nonchalant en apparence une résolution si sèche et si cruelle? Personne, à coup sûr. Laurence, malgré tout son jugement, ne pouvait le soupçonner, et Pauline, moins que personne, devait en concevoir l'idée. Lorsque Laurence se rapprocha d'elle, se souvenant avec sollicitude qu'elle l'avait laissée auprès de Montgenays troublée jusqu'à la fièvre, confuse jusqu'à l'angoisse, elle fut fort surprise de la retrouver brillante, enjouée, animée d'une beauté inconnue, et presque aussi à l'aise que si elle eût passé sa vie dans le monde. --Regarde donc ton amie de province, lui dit à l'oreille un vieux comédien de ses amis; n'est-ce pas merveille de voir comme en un instant l'esprit vient aux filles? Laurence fit peu d'attention à cette plaisanterie. Elle ne remarqua pas non plus, le lendemain, que Montgenays était venu lui rendre visite une heure trop tôt, car il savait fort bien que Laurence sortait de la répétition à quatre heures; et depuis trois jusqu'à quatre heures il l'avait attendue au salon, non pas seul, mais penché sur le IV. 22

« —Admirablement belle, délicieusement jolie! —En vérité! s'écria Laurence toute surprise de ce mouvement, vous me rendez bien heureuse de me dire cela! Venez, que je vous présente à elle.

—Et, sans attendre sa réponse, elle le prit par le bras et l'entraîna jusqu'au bout du salon, où Pauline essayait de se faire une contenance on rangeant son métier de broderie.

—Permets-moi, ma chère enfant, lui dit Laurence, de te présenter un de mes amis que tu ne connais pas encore, et qui depuis longtemps désire beaucoup te connaître. —Puis, ayant nommé Montgenays à Pauline, qui, dans son trouble, n'entendit rien, elle adressa la parole à un de ses camarades qui entrait; et, changeant de groupe, elle laissa Montgenays et Pauline face à face, pour ainsi dire tête à tête, dans le coin du salon. Jamais Pauline n'avait parlé à un homme aussi bien frisé, cravaté, chaussé et parfumé.

Hélas! on n'imagine pas quel prestige ces minuties de la vie élégante exercent sur l'imagination d'une fille de province.

Une main blanche, un diamant à la chemise, un soulier verni, une fleur à la boutonnière, sont des recherches qui ne brillent plus en quelque sorte dans un salon que par leur absence; mais qu'un commis-voyageur étale ces séductions inouïes dans une petite ville, et tous les regards seront attachés sur lui.

Je ne veux pas dire que tous les coeurs voleront au-devant du sien, mais du moins je pense qu'il sera bien sot s'il n'en accapare pas quelques-uns. Cet engouement puéril ne dura qu'un instant chez Pauline.

Intelligente et fière, elle eut bientôt secoué ce reste de provincialité mais elle ne put se défendre de trouver une grande distinction et un grand charme dans les paroles que Montgenays lui adressa.

Elle avait rougi d'être troublée par le seul extérieur d'un homme.

Elle se réconcilia avec sa première impression en croyant trouver dans l'esprit de cet homme le même cachet d'élégance dont toute sa personne portait l'empreinte.

Puis cette attention particulière qu'il lui accordait, le soin qu'il semblait avoir pris de se faire présenter à elle retirée dans un coin parmi les tasses de Chine et les vases de fleurs, le plaisir timide qu'il paraissait goûter à la questionner sur ses goûts, sur ses impressions et ses sympathies, la traitant de prime abord comme une personne éclairée, capable de tout comprendre et de tout juger; toutes ces coquetteries de la politesse du monde, dont Pauline ne connaissait pas la banalité et la perfidie, la réveillèrent de sa langueur habituelle.

Elle s'excusa un instant sur son ignorance de toutes choses; Montgenays parut prendre cette timidité pour une admirable modestie ou pour une méfiance dont il se plaignait d'une façon cafarde.

Peu à peu Pauline s'enhardit jusqu'à vouloir montrer qu'elle aussi avait de l'esprit, du goût, de l'instruction.

Le fait est qu'elle en avait extraordinairement eu égard à son existence passée, mais qu'au milieu de tous ces artistes brisés à une causerie étincelante elle ne pouvait éviter de tomber parfois dans le lieu commun.

Quoique sa nature distinguée la préservât de toute expression triviale, il était facile de voir que son esprit n'était pas encore sorti tout à fait de l'état de chrysalide.

Un homme supérieur à Montgenays n'en eût été que plus intéressé à ce développement; mais le vaniteux en conçut un secret mépris pour l'intelligence de Pauline, et il décida avec lui-même, dès cet instant, qu'elle ne lui servirait jamais que de jouet, de moyen, de victime, s'il le fallait. Qui eût pu supposer dans un homme froid et nonchalant en apparence une résolution si sèche et si cruelle? Personne, à coup sûr.

Laurence, malgré tout son jugement, ne pouvait le soupçonner, et Pauline, moins que personne, devait en concevoir l'idée. Lorsque Laurence se rapprocha d'elle, se souvenant avec sollicitude qu'elle l'avait laissée auprès de Montgenays troublée jusqu'à la fièvre, confuse jusqu'à l'angoisse, elle fut fort surprise de la retrouver brillante, enjouée, animée d'une beauté inconnue, et presque aussi à l'aise que si elle eût passé sa vie dans le monde. —Regarde donc ton amie de province, lui dit à l'oreille un vieux comédien de ses amis; n'est-ce pas merveille de voir comme en un instant l'esprit vient aux filles? Laurence fit peu d'attention à cette plaisanterie.

Elle ne remarqua pas non plus, le lendemain, que Montgenays était venu lui rendre visite une heure trop tôt, car il savait fort bien que Laurence sortait de la répétition à quatre heures; et depuis trois jusqu'à quatre heures il l'avait attendue au salon, non pas seul, mais penché sur le Pauline IV.

22. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles