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VIE INTIME DE LA BRUYERE

Publié le 07/07/2011

Extrait du document

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En l'année 1666, Louis de La Bruyère, père de notre héros, mourut, Il laissait une succession embrouillée. Les dettes y étaient probablement plus nombreuses que les titres de rente, car, d'un commun accord, les quatre enfants du défunt se gardèrent de faire actes d'héritiers. Ils ne se séparèrent d'ailleurs nullement. Désormais, l'oncle Jean II prenait la direction du ménage. Elle était en bonnes mains. Nous avons dit, que cet homme avait longtemps exercé un louche métier de partisan. Il avait acquis, en des spéculations financières, une fortune, que M. Servois évalue à cent ou cent cinquante mille livres. Il avait, dès lors, éprouvé le besoin de se donner visage d'homme intègre et vertueux. En 1655, il avait, dans ce but, acheté une charge de secrétaire du roi. Mais nul, et pas même ses neveux, ne croyait à son honnêteté. Il n'avait, à la vérité, aucunement renoncé à son goût des affaires. Moins jeune, ayant perdu de son activité, il avait simplement restreint le domaine de ses opérations. Il ne volait plus les collectivités. Il se contentait de voler les particuliers. Le fripon de grande envergure s'était transformé en modeste usurier. 

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« livres.

A la dernière heure, par un codicille, il lui enlevait cette pauvre donation, pour se venger assurément dequelque parole déplaisante ou de quelque acte, à son avis désobligeant,Il fut peu regretté.

Et c'est, incontestablement, son oraison funèbre que Jean III de La Bruyère plaça dans sonœuvre, sous la brève forme suivante :Les partisans nous font sentir toutes les passions l'une après l'autre : l'on commence par le mépris à cause de leurobscurité ; on les envie ensuite, on les hait, on les craint, on les estime quelquefois et on les respecte ; l'on vitassez pour finir à leur égard par la compassion.Peu après son enterrement, les héritiers procédèrent au partage de ses biens.

En cette circonstance encore, LaBruyère assista à d'affligeants spectacles.

Car Mme de la Guyottière vint en personne revendiquer sa part.

Et l'on sequerella pour les hardes du défunt.

La possession de quelques marmites et casseroles fut âprement disputée.Cela ne contribua pas à atténuer les mésintelligences existant dans la famille.

Sans doute cette dame avait-elleenvisagé sans plaisir l'installation de son frère rue du Grenier-Saint-Lazare.

Elle considérait que, de cette sorte, elleserait frustrée des sommes que le célibataire dépenserait au profit de ses hôtes.

Elle le supposait plus généreux qu'iln'était en réalité.

Tous ces faits contribuent à donner la conviction que le milieu où végétait notre héros étaitcomposé d'assez pauvres esprits.Néanmoins, il ne jugea point utile de s'en séparer.

Après la mort de Jean II, le ménage collectif subsiste sous ladirection de Mme de La Bruyère.

Celle-ci — les documents le laissent entrevoir — est à peu près dénuée de fortune.Ses enfants, de leur côté, ne possèdent guère, en outre des biens laissés par leur oncle, que les revenus de leursemplois.

La Bruyère retire-t-il quelque pécune de son cabinet d'avocat? On l'ignore.

Son frère Louis a pris, dans tousles cas, la survivance de la charge paternelle à l'Hôtel de Ville.

Robert-Pierre, clerc du diocèse de Paris, ne jouissantd'aucun bénéfice ecclésiastique et Elisabeth-Marguerite, non mariée, se contentent de leurs maigres rentes et necherchent pas à les augmenter.

Tous se méfient de la gestion de leur mère, qui paraît être une femme d'intelligencemoyenne.

Ils ne lui abandonnent pas la libre disposition de leurs capitaux, qu'ils administrent eux-mêmes.

Ilsadoptent, dès l'origine, l'habitude de lui payer pension.La Bruyère donne, au dire de M.

Servois, « pour son logement, sa nourriture, celle de ses gens, neuf cents livres paran et, de plus, la moitié du prix du loyer de l'écurie ».

Mme de La Bruyère tient un compte exact et minutieux de sesdépenses.

C'est grâce à l'un de ces comptes, conservé dans les archives d'un notaire parisien, que l'on peutimaginer le genre d'existence du ménage.

Or, à la vérité, les habitants de la rue du Grenier-Saint-Lazare ne semblentaucunement pâtir.

Ils se sont partagés en deux groupes, selon leurs communautés de désirs ou de sympathie : LaBruyère et son frère Louis d'une part, Robert- Pierre et sa sœur Elisabeth-Marguerite de l'autre.

Les premiers mènentun train quasi luxueux.

Ils ont domestiques, chevaux et carrosse, dont ils usent tour à tour et supportent les frais.Les seconds entretiennent un valet, pour leur double service, mais renoncent à tout faste extérieur.Il est pour nous évident que La Bruyère, s'il dédaignait les riches et affectait de mépriser la richesse, goûtaitcependant vivement l'atmosphère agréable que cette dernière procure.

Il aimait notamment que le décor de sonintimité fût en harmonie avec ses goûts esthétiques.

A la vente des biens de son oncle, il avait acheté, pour lessommes de quatorze cents livres d'une part et de trente-six livres de l'autre, une magnifique « tenture de tapisseriede verdure de Flandres » et quelques autres « meubles et hardes » dont il avait orné sa chambre.

Cette chambredevait être très confortable.

On l'y voit, à différentes reprises, procéder à des réparations ou des transformationsqui ont pour but de l'embellir.

Tel jour, Jean Tassier, maître potier de terre, y remplace, moyennant un prix de dixlivres huit sols, le carrelage délabré.

Tel autre jour, Etienne Hutain, menuisier, reçoit vingt livres pour y avoirexécuté des « ouvrages » de menuiserie et de vitrages.Peines inutiles, d'ailleurs, car le ménage, volontiers, vagabonde à travers Paris.

Successivement il habita, ayantquitté, avant 1676, le Grenier-Saint-Lazare, la rue Chapon, puis la rue des Grands-Augustins.

Jusqu'en 1684 ildemeurera uni.

Ce n'est guère qu'à partir de cette date que les deux groupes se sépareront.

La Bruyère suivra sonfrère Louis rue des Charités-Saint-Denis, Mme de La Bruyère se réfugiera auprès de Robert-Pierre et d'Elisabeth-Marguerite, rue des Fontaines.

Les nécessités de la vie impliqueront cette obligation de rupture matérielle.L'affection et la solidarité des deux foyers n'en seront pas pour cela diminuées.. »

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