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Pierre-Henri Simon, Théâtre et Destin

Publié le 23/04/2011

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« Le théâtre n'est pas toujours joué : il peut être lu, et l'objet du critique est beaucoup plus d'étudier le texte d'une pièce dans le silence du; cabinet que de le voir jouer et de rendre compte de sa représentation; c'est en tant que littérature dramatique que le théâtre l'intéresse. Évidemment, critique ou lecteur, on peut lire Asmodée comme le Nœud de vipères (1), y reconnaître la même: saveur du style, le même climat spirituel et physique, la même poésie et la même morale. Et cependant, ce n'est pas la même chose. Entre le roman et là pièce, il demeure cette différence que le roman, en tant que texte écrit, est à soi sa propre fin. Il ne demande rien d'autre, pour révéler ce qu'il porte de vérité et de beauté, que les yeux et l'intelligence d'un lecteur. Au lieu que la pièce appelle un autre accomplissement. Le plaisir que j'éprouve à là lire est valable, mais au-delà de ce plaisir,, elle reste chargée de virtualités esthétiques et affectives qui ne se délivreront que par le jeu et n'apparaîtront qu'à la scène. Il en est du texte d'une pièce de théâtre comme d'une partition musicale : si je suis assez musicien, je puis lire cette partition et y trouver un plaisir intellectuel, Je puis même imaginer la somme de plaisirs sensoriels qu'elle constitue virtuellement; de même, si j'ai, le goût et l'habitude du théâtre, je puis, en lisant une pièce, goûter la beauté du style, imaginer le jeu, entrer moi-même dans les personnages, me les parler. Mais,, dans l'un et l'autre cas, je n'atteins pas le fond et la plénitude de l'œuvre. L'essence de la symphonie a besoin, pour se livrer, de passer par l'organisation sonore d'un orchestre et par la sensibilité musicale de celui qui le conduit ; de même l'essence d'un drame a besoin de passer par la voix et l'âme de l'acteur. Le rôle nécessaire de cet intermédiaire est ce qui caractérise le théâtre : « L'art dramatique, a écrit Jouvet (l'inspiration de l'écrivain et son écriture, les interprétations des comédiens, l'affection du public) est fonction d'une amitié médiatrice : celle de l'acteur. Il est, dit Platon, l'anneau moyen de la chaîne qui lie le spectateur au poète. « Ce qui ne va pas sans donner à l'œuvre dramatique un caractère ambigu : elle n'est jamais exclusivement l'œuvre de son auteur, mais toujours à quelque degré celle de son interprète. Dans un certain sens, on pourrait dire qu'il y a autant de romans que de lecteurs d'un roman, que le Rouge et le Noir n'est pas la même œuvre pour André Rousseaux et pour Roger Vailland (1), que vous et moi y mettons chacun une série d'images différentes, un autre système de rapports et de valeurs. Néanmoins, l'auteur d'un roman, s'il est exposé lui aussi à voir se dissiper la personnalité de son œuvre dans celles de ses lecteurs, l'est beaucoup moins que l'auteur d'une pièce de théâtre : son texte fait foi, le lecteur lui est livré désarmé. Au contraire, le dramaturge a besoin de l'acteur ; et comme le Don Juan de Vilar n'est pas celui de Jouvet bien qu'ils parlent tous les deux sur le texte de Molière et qu'ils soient vrais et convaincants l'un et l'autre, il faut bien conclure que Molière n'a pas créé un Don Juan absolu qui n'eût pas besoin d'autres géniteurs pour être ce qu'il est.    « A la limite, il faudrait conclure qu'un texte dramatique n'est en définitive qu'un prétexte. «    Pierre-Henri Simon, Théâtre et Destin.    • Vous résumerez ou analyserez cette page, puis vous choisirez dans le texte un problème qui vous intéresse plus particulièrement et vous en discuterez les données.    (1) Asmodée : drame de François Mauriac ; le Nœud de vipères : roman du même auteur.

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