Devoir de Philosophie

Pot-bouille --Ami .

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

Pot-bouille --Ami ... ami ... ami, repetait le fou, avec un elan de sauvage tendresse. Deconcerte dans ses calculs, Octave, peu a peu, se prenait pour Berthe d'un jeune et ardent desir. S'il avait d'abord suivi son plan ancien de seduction, sa volonte d'arriver par les femmes, maintenant il ne voyait plus seulement en elle la patronne, celle dont la possession devait mettre la maison a sa merci; il voulait avant tout la Parisienne, cette jolie creature de luxe et de grace, dans laquelle il n'avait jamais mordu, a Marseille; il eprouvait comme une fringale de ses petites mains gantees, de ses petits pieds chausses de bottines a hauts talons, de sa gorge delicate noyee de fanfreluches, meme des dessous douteux, de la cuisine qu'il flairait sous ses toilettes trop riches; et ce coup brusque de passion allait jusqu'a attendrir la secheresse de sa nature econome, au point de lui faire jeter en cadeaux, en depenses de toutes sortes, les cinq mille francs apportes du Midi, doubles deja par des operations financieres, dont il ne parlait a personne. Mais ce qui le devoyait surtout, c'etait d'etre devenu timide, en tombant amoureux. Il n'avait plus sa decision, sa hate d'aller au but, goutant au contraire des joies paresseuses a ne rien brusquer. Du reste, dans cette defaillance passagere de son esprit si pratique, il finissait par considerer la conquete de Berthe comme une campagne d'une difficulte extreme, qui demandait des lenteurs, des menagements de haute diplomatie. Sans doute ses deux insucces, aupres de Valerie et de madame Hedouin, l'emplissaient de la terreur d'echouer, une fois encore. Mais il y avait, en outre, au fond de son trouble plein d'hesitation, une peur de la femme adoree, une croyance absolue a l'honnetete de Berthe, tout cet aveuglement de l'amour que le desir paralyse et qui desespere. Le lendemain de la querelle du menage, Octave, heureux d'avoir fait accepter son cadeau a la jeune femme, songea qu'il serait adroit de se mettre bien avec le mari. Alors, comme il mangeait a la table de son patron, celui-ci ayant l'habitude de nourrir ses employes, pour les garder sous la main, il lui temoigna une complaisance sans bornes, l'ecouta au dessert, approuva bruyamment ses idees. Meme, en particulier, il parut epouser son mecontentement contre sa femme, au point de feindre de la surveiller et de le renseigner ensuite par de petits rapports. Auguste fut tres touche; il avoua un soir au jeune homme qu'il avait failli un instant le renvoyer, car il le croyait de connivence avec sa belle-mere. Octave, glace, manifesta aussitot de l'horreur pour madame Josserand, ce qui acheva de les rapprocher dans une complete communaute d'opinions. Du reste, le mari etait un bon homme au fond, simplement desagreable, mais volontiers resigne, tant qu'on ne le jetait pas hors de lui, en depensant son argent ou en touchant a sa morale. Il jurait meme de ne plus se mettre en colere, car il avait eu, apres la querelle, une migraine abominable, dont il etait reste idiot pendant trois jours. --Vous me comprenez, vous! disait-il au jeune homme. Je veux ma tranquillite.... En dehors de ca, je me fiche de tout, la vertu mise a part bien entendu, et pourvu que ma femme n'emporte pas la caisse. Hein? je suis raisonnable, je n'exige pas d'elle des choses extraordinaires? Et Octave exaltait sa sagesse, et ils celebraient ensemble les douceurs de la vie plate, des annees toujours semblables, passees a metrer de la soie. Meme, pour lui plaire, le commis abandonnait ses idees de grand commerce. Un soir, il l'avait effare, en reprenant son reve de vastes bazars modernes, et en lui conseillant, comme a madame Hedouin, d'acheter la maison voisine, afin d'elargir sa boutique. Auguste, dont la tete eclatait deja au milieu de ses quatre comptoirs, le regardait avec une telle epouvante de commercant habitue a couper les liards en quatre, qu'il s'etait hate de retirer sa proposition et de s'extasier sur la securite honnete du petit negoce. Les jours coulaient, Octave faisait son trou dans la maison, comme un trou de duvet ou il avait chaud. Le mari l'estimait, madame Josserand elle-meme, a laquelle il evitait pourtant de temoigner trop de politesse, le regardait d'un air encourageant. Quant a Berthe, elle devenait avec lui d'une familiarite charmante. Mais son grand ami etait Saturnin, dont il voyait s'accroitre l'affection muette, le devouement de chien fidele, a mesure que lui-meme desirait plus violemment la jeune femme. Pour tout autre, le fou montrait une jalousie sombre; XII 149 Pot-bouille un homme ne pouvait approcher sa soeur, sans qu'il fut aussitot inquiet, les levres retroussees, pret a mordre. Et si, au contraire, Octave se penchait vers elle librement, la faisait rire du rire tendre et mouille d'une amante heureuse, il riait d'aise lui-meme, son visage refletait un peu de leur joie sensuelle. Le pauvre etre semblait gouter l'amour dans cette chair de femme, qu'il sentait sienne, sous la poussee de l'instinct; et l'on eut dit qu'il eprouvait pour l'amant choisi la reconnaissance pamee du bonheur. Dans tous les coins, il arretait celui-ci, jetait autour d'eux des regards mefiants, puis s'ils etaient seuls, lui parlait d'elle, repetait toujours les memes histoires, en phrases heurtees. --Quand elle etait petite, elle avait des petits membres gros comme ca; et deja grasse, et toute rose, et tres gaie.... Alors, elle gigotait par terre. Moi, ca m'amusait, je la regardais, je me mettais a genoux.... Alors, pan! pan! pan! elle me donnait des coups de pied dans l'estomac.... Alors, ca me faisait plaisir, oh! ca me faisait plaisir! Octave sut ainsi l'enfance entiere de Berthe, l'enfance avec ses bobos, ses joujoux, sa croissance de joli animal indompte. Le cerveau vide de Saturnin gardait religieusement des faits sans importance, dont lui seul se souvenait: un jour ou elle s'etait piquee et ou il avait suce le sang; un matin ou elle lui etait restee dans les bras, en voulant monter sur la table. Mais il retombait toujours au grand drame, a la maladie de la jeune fille. --Ah! si vous l'aviez vue!... La nuit, j'etais tout seul pres d'elle. On me battait pour m'envoyer me coucher. Et je revenais, les pieds nus.... Tout seul. Ca me faisait pleurer, parce qu'elle etait blanche. Je tatais voir si elle devenait froide.... Puis, ils m'ont laisse. Je la soignais mieux qu'eux, je savais les remedes, elle prenait ce que je lui donnais.... Des fois, quand elle se plaignait trop, je lui mettais la tete sur moi. Nous etions gentils.... Ensuite, elle a ete guerie, et je voulais revenir, et ils m'ont encore battu. Ses yeux s'allumaient, il riait, il pleurait, comme si les faits dataient de la veille. De ses paroles entrecoupees, se degageait l'histoire de cette tendresse etrange: son devouement de pauvre d'esprit au chevet de la petite malade, abandonnee des medecins; son coeur et son corps donnes a la chere mourante, qu'il soignait dans sa nudite, avec des delicatesses de mere; son affection et ses desirs d'homme arretes la, atrophies, fixes a jamais par ce drame de la souffrance dont l'ebranlement persistait; et, des lors, malgre l'ingratitude apres la guerison, Berthe restait tout pour lui, une maitresse devant laquelle il tremblait, une fille et une soeur qu'il avait sauvee de la mort, une idole qu'il adorait d'un culte jaloux. Aussi poursuivait-il le mari d'une haine furieuse d'amant contrarie, ne tarissant pas en paroles mechantes, se soulageant avec Octave. --Il a encore l'oeil bouche. C'est agacant, son mal de tete!... Hier, vous ayez entendu comme il trainait les pieds.... Tenez, le voila qui regarde dans la rue. Hein? est-il assez idiot!... Sale bete, sale bete! Et Auguste ne pouvait remuer, sans que le fou se fachat. Puis, venaient les propositions inquietantes. --Si vous voulez, a nous deux, nous allons le saigner comme un cochon. Octave le calmait. Alors, Saturnin, dans ses jours de tranquillite, voyageait de lui a la jeune femme, d'un air ravi, leur rapportait des mots qu'ils avaient dits l'un sur l'autre, faisait leurs commissions, etait comme un lien de continuelle tendresse. Il se serait jete par terre, devant eux, pour leur servir de tapis. Berthe n'avait plus reparle du cadeau. Elle semblait ne pas remarquer les attentions tremblantes d'Octave, le traitait en ami, sans trouble aucun. Jamais il n'avait tant soigne la correction de sa tenue, et il abusait avec elle de la caresse de ses yeux couleur de vieil or, dont il croyait la douceur de velours irresistible. Mais elle ne lui etait reconnaissante que de ses mensonges, les jours ou il l'aidait a cacher quelque escapade. Une complicite s'etablissait ainsi entre eux: il favorisait les sorties de la jeune femme en compagnie de sa mere, donnait le change au mari, des le moindre soupcon. Meme elle finissait par ne plus se gener, dans sa rage de courses et de visites, se reposant entierement sur son intelligence. Et, si, a sa rentree, elle le trouvait derriere une pile XII 150

« un homme ne pouvait approcher sa soeur, sans qu'il fut aussitot inquiet, les levres retroussees, pret a mordre. Et si, au contraire, Octave se penchait vers elle librement, la faisait rire du rire tendre et mouille d'une amante heureuse, il riait d'aise lui-meme, son visage refletait un peu de leur joie sensuelle.

Le pauvre etre semblait gouter l'amour dans cette chair de femme, qu'il sentait sienne, sous la poussee de l'instinct; et l'on eut dit qu'il eprouvait pour l'amant choisi la reconnaissance pamee du bonheur.

Dans tous les coins, il arretait celui-ci, jetait autour d'eux des regards mefiants, puis s'ils etaient seuls, lui parlait d'elle, repetait toujours les memes histoires, en phrases heurtees. —Quand elle etait petite, elle avait des petits membres gros comme ca; et deja grasse, et toute rose, et tres gaie....

Alors, elle gigotait par terre.

Moi, ca m'amusait, je la regardais, je me mettais a genoux....

Alors, pan! pan! pan! elle me donnait des coups de pied dans l'estomac....

Alors, ca me faisait plaisir, oh! ca me faisait plaisir! Octave sut ainsi l'enfance entiere de Berthe, l'enfance avec ses bobos, ses joujoux, sa croissance de joli animal indompte.

Le cerveau vide de Saturnin gardait religieusement des faits sans importance, dont lui seul se souvenait: un jour ou elle s'etait piquee et ou il avait suce le sang; un matin ou elle lui etait restee dans les bras, en voulant monter sur la table.

Mais il retombait toujours au grand drame, a la maladie de la jeune fille. —Ah! si vous l'aviez vue!...

La nuit, j'etais tout seul pres d'elle.

On me battait pour m'envoyer me coucher.

Et je revenais, les pieds nus....

Tout seul.

Ca me faisait pleurer, parce qu'elle etait blanche.

Je tatais voir si elle devenait froide....

Puis, ils m'ont laisse.

Je la soignais mieux qu'eux, je savais les remedes, elle prenait ce que je lui donnais....

Des fois, quand elle se plaignait trop, je lui mettais la tete sur moi.

Nous etions gentils.... Ensuite, elle a ete guerie, et je voulais revenir, et ils m'ont encore battu. Ses yeux s'allumaient, il riait, il pleurait, comme si les faits dataient de la veille.

De ses paroles entrecoupees, se degageait l'histoire de cette tendresse etrange: son devouement de pauvre d'esprit au chevet de la petite malade, abandonnee des medecins; son coeur et son corps donnes a la chere mourante, qu'il soignait dans sa nudite, avec des delicatesses de mere; son affection et ses desirs d'homme arretes la, atrophies, fixes a jamais par ce drame de la souffrance dont l'ebranlement persistait; et, des lors, malgre l'ingratitude apres la guerison, Berthe restait tout pour lui, une maitresse devant laquelle il tremblait, une fille et une soeur qu'il avait sauvee de la mort, une idole qu'il adorait d'un culte jaloux.

Aussi poursuivait-il le mari d'une haine furieuse d'amant contrarie, ne tarissant pas en paroles mechantes, se soulageant avec Octave. —Il a encore l'oeil bouche.

C'est agacant, son mal de tete!...

Hier, vous ayez entendu comme il trainait les pieds....

Tenez, le voila qui regarde dans la rue.

Hein? est-il assez idiot!...

Sale bete, sale bete! Et Auguste ne pouvait remuer, sans que le fou se fachat.

Puis, venaient les propositions inquietantes. —Si vous voulez, a nous deux, nous allons le saigner comme un cochon. Octave le calmait.

Alors, Saturnin, dans ses jours de tranquillite, voyageait de lui a la jeune femme, d'un air ravi, leur rapportait des mots qu'ils avaient dits l'un sur l'autre, faisait leurs commissions, etait comme un lien de continuelle tendresse.

Il se serait jete par terre, devant eux, pour leur servir de tapis. Berthe n'avait plus reparle du cadeau.

Elle semblait ne pas remarquer les attentions tremblantes d'Octave, le traitait en ami, sans trouble aucun.

Jamais il n'avait tant soigne la correction de sa tenue, et il abusait avec elle de la caresse de ses yeux couleur de vieil or, dont il croyait la douceur de velours irresistible.

Mais elle ne lui etait reconnaissante que de ses mensonges, les jours ou il l'aidait a cacher quelque escapade.

Une complicite s'etablissait ainsi entre eux: il favorisait les sorties de la jeune femme en compagnie de sa mere, donnait le change au mari, des le moindre soupcon.

Meme elle finissait par ne plus se gener, dans sa rage de courses et de visites, se reposant entierement sur son intelligence.

Et, si, a sa rentree, elle le trouvait derriere une pile Pot-bouille XII 150. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles