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prenait un bain de quelques minutes.

Publié le 29/10/2013

Extrait du document

prenait un bain de quelques minutes. Ce bain emplissait pour la journée le cabinet d'une moiteur, d'une odeur de chair fraîche et mouillée. Parfois, un flacon débouché, un savon resté hors de sa boîte, mettaient une pointe plus violente dans cette langueur un peu fade. La jeune femme aimait à rester là, jusqu'à midi, presque nue. La tente ronde, elle aussi, était nue. Cette baignoire rose, ces tables et ces cuvettes roses, cette mousseline du plafond et des murs, sous laquelle on croyait voir couler un sang rose, prenaient des rondeurs de chair, des rondeurs d'épaules et de seins ; et, selon l'heure de la journée, on eût dit la peau neigeuse d'un enfant ou la peau chaude d'une femme. C'était une grande nudité. Quand Renée sortait du bain, son corps blond n'ajoutait qu'un peu de rose à toute cette chair rose de la pièce. Ce fut Maxime qui déshabilla Renée. Il s'entendait à ces choses, et ses mains agiles devinaient les épingles, couraient autour de sa taille avec une science native. Il la décoiffa, lui enleva ses diamants, la recoiffa pour la nuit. Et comme il mêlait à son office de chambrière et de coiffeur des plaisanteries et des caresses, Renée riait, d'un rire gras et étouffé, tandis que la soie de son corsage craquait et que ses jupes se dénouaient une à une. Quand elle se vit nue, elle souffla les bougies du candélabre, prit Maxime à bras-le-corps et l'emporta presque dans la chambre à coucher. Ce bal avait achevé de la griser. Dans sa fièvre, elle avait conscience de la journée passée la veille au coin de son feu, de cette journée de stupeur ardente, de rêves vagues et souriants. Elle entendait toujours dialoguer les voix sèches de Saccard et de Mme Sidonie, criant des chiffres, avec des nasillements d'huissier. C'étaient ces gens qui l'assommaient, qui la poussaient au crime. Et même à cette heure, lorsqu'elle cherchait ses lèvres, au fond du grand lit obscur, elle voyait toujours Maxime au milieu du brasier de la veille, la regardant avec des yeux qui la brûlaient. Le jeune homme ne se retira qu'à six heures du matin. Elle lui donna la clef de la petite porte du parc Monceau, en lui faisant jurer de revenir tous les soirs. Le cabinet de toilette communiquait avec le salon bouton d'or par un escalier de service caché dans le mur, et qui desservait toutes les pièces de la tourelle. Du salon, il était facile de passer dans la serre et de gagner le parc. En sortant au petit jour, par un brouillard épais, Maxime était un peu étourdi de sa bonne fortune. Il l'accepta, d'ailleurs, avec ses complaisances d'être neutre. - Tant pis ! pensait-il, c'est elle qui le veut, après tout... Elle est diablement bien faite ; et elle avait raison, elle est deux fois plus drôle au lit que Sylvia. NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com Ils avaient glissé à l'inceste, dès le jour où Maxime, dans sa tunique râpée de collégien, s'était pendu au cou de Renée, en chiffonnant son habit de garde française. Ce fut, dès lors, entre eux, une longue perversion de tous les instants. L'étrange éducation que la jeune femme donnait à l'enfant ; les familiarités qui firent d'eux des camarades ; plus tard, l'audace rieuse de leurs confidences ; toute cette promiscuité périlleuse finit par les attacher d'un singulier lien, où les joies de l'amitié devenaient presque des satisfactions charnelles. Ils s'étaient livrés l'un à l'autre depuis des années ; l'acte brutal ne fut que la crise aiguë de cette inconsciente maladie d'amour. Dans le monde affolé où ils vivaient, leur faute avait poussé comme sur un fumier gras de sucs équivoques ; elle s'était développée avec d'étranges raffinements, au milieu de particulières conditions de débauche. Lorsque la grande calèche les emportait au Bois et les roulait mollement le long des allées, se contant des gravelures à l'oreille, cherchant dans leur enfance les polissonneries de l'instinct, ce n'était là qu'une déviation et qu'un contentement inavoué de leurs désirs. Ils se sentaient vaguement coupables, comme s'ils s'étaient effleurés d'un attouchement ; et même ce péché originel, cette langueur des conversations ordurières qui les lassait d'une fatigue voluptueuse, les chatouillait plus doucement encore que des baisers nets et positifs. Leur camaraderie fut ainsi la marche lente de deux amoureux, qui devait fatalement un jour les mener au cabinet du café Riche et au grand lit gris et rose de Renée. Quand ils se trouvèrent aux bras l'un de l'autre, ils n'eurent pas la secousse de la faute. On eût dit de vieux amants, dont les baisers avaient des ressouvenirs. Et ils venaient de perdre tant d'heures dans un contact de tout leur être, qu'ils parlaient malgré eux de ce passé plein de leurs tendresses ignorantes. - Tu te souviens, le jour où je suis arrivé à Paris, disait Maxime, tu avais un drôle de costume ; et, avec mon doigt, j'ai tracé un angle sur ta poitrine, je t'ai conseillé de te décolleter en pointe... Je sentais ta peau sous la chemisette, et mon doigt enfonçait un peu... C'était très bon... Renée riait, le baisant, murmurant : - Tu étais déjà joliment vicieux... Nous as-tu amusées, chez Worms, tu te rappelles ! Nous t'appelions « notre petit homme «. Moi j'ai toujours cru que la grosse Suzanne se serait parfaitement laissé faire, si la marquise ne l'avait surveillée avec des yeux furibonds. - Ah ! oui, nous avons bien ri..., murmurait le jeune homme. L'album de photographies, n'est-ce pas ? et tout le reste, nos courses dans Paris, nos goûters chez le pâtissier du boulevard ; tu sais, ces petits gâteaux aux fraises que tu adorais ?... Moi, je me souviendrai toujours de cet après-midi où tu m'as conté l'aventure d'Adeline, au couvent, quand elle écrivait des lettres à Suzanne, et qu'elle signait comme un homme : « Arthur d'Espanet «, en lui proposant de l'enlever... Les amants s'égayaient encore de cette bonne histoire ; puis Maxime continuait de sa voix câline : - Quand tu venais me chercher au collège dans ta voiture, nous devions être drôles tous les deux... Je disparaissais sous tes jupons, tant j'étais petit. - Oui, oui, balbutiait-elle, prise de frissons, attirant le jeune homme à elle, c'était très bon, comme tu dis... Nous nous aimions sans le savoir, n'est-ce pas ? Moi je l'ai su avant toi. L'autre jour, en revenant du Bois, j'ai frôlé ta jambe, et j'ai tressailli... Mais tu ne t'es aperçu de rien. Hein ? tu ne songeais pas à moi ? - Oh ! si, répondait-il un peu embarrassé. Seulement, je ne savais pas, tu comprends... Je n'osais pas. Il mentait. L'idée de posséder Renée ne lui était jamais nettement venue. Il l'avait effleurée de tout son vice sans la désirer réellement. Il était trop mou pour cet effort. Il accepta Renée parce qu'elle s'imposa à lui, et qu'il glissa jusqu'à sa couche, sans le vouloir, sans le prévoir. Quand il y eut roulé, il y resta, parce qu'il y faisait chaud et qu'il s'oubliait au fond de tous les trous où il tombait. Dans les commencements, il goûta même des satisfactions d'amour-propre. C'était la première femme mariée qu'il possédait. Il ne songeait pas que le mari était son père. Mais Renée apportait dans la faute toutes ces ardeurs de coeur déclassé. Elle aussi avait glissé sur la pente. Seulement, elle n'avait pas roulé jusqu'au bout comme une chair inerte. Le désir s'était éveillé en elle trop tard pour le combattre, lorsque la chute devenait fatale. Cette chute lui apparut brusquement comme une nécessité de son ennui, comme une jouissance rare et extrême qui seule pouvait réveiller ses sens lassés, son coeur meurtri. Ce fut pendant cette promenade d'automne, au crépuscule, quand le Bois s'endormait, que l'idée vague de l'inceste lui vint, pareille à un chatouillement qui lui mit à fleur de peau un frisson inconnu ; et, le soir, dans la demi-ivresse du dîner, sous le fouet de la jalousie, cette idée se précisa, se dressa ardemment devant elle, au milieu des flammes de la serre, en face de Maxime et de Louise. À cette heure, elle voulut le mal, le mal que personne ne commet, le mal qui allait emplir son existence vide et la mettre enfin dans cet enfer, dont elle avait toujours peur, comme au temps où elle était petite fille. Puis, le lendemain, elle ne voulut plus, par un étrange sentiment de remords et de lassitude. Il lui semblait qu'elle avait déjà péché, que ce n'était pas si bon qu'elle pensait, et que ce serait vraiment trop sale. La crise devait être fatale, venir d'elle-même, en dehors de ces deux êtres, de ces camarades qui étaient destinés à se tromper un beau soir, à s'accoupler, en croyant se donner une poignée de main. Mais, après cette chute bête, elle se remit à son rêve d'un plaisir sans nom, et alors elle reprit Maxime dans ses bras, curieuse de lui, curieuse des joies cruelles d'un amour qu'elle regardait comme un crime. Sa volonté accepta l'inceste, l'exigea, entendit le goûter jusqu'au bout, jusqu'aux remords, s'ils venaient jamais. Elle fut active, consciente. Elle aima avec son emportement de grande mondaine, ses préjugés inquiets de bourgeoise, tous ses combats, ses joies et ses dégoûts de femme qui se noie dans son propre mépris. NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com Maxime revint chaque nuit. Il arrivait par le jardin, vers une heure. Le plus souvent, Renée l'attendait dans la serre, qu'il devait traverser pour gagner le petit salon. Ils étaient, d'ailleurs, d'une impudence parfaite, se cachant à peine, oubliant les précautions les plus classiques de l'adultère. Ce coin de l'hôtel, il est vrai, leur appartenait. Baptiste, le valet de chambre du mari, avait seul le droit d'y pénétrer, et Baptiste, en homme grave, disparaissait aussitôt que son service était fini. Maxime prétendait même en riant qu'il se retirait pour écrire ses Mémoires. Une nuit, cependant, comme il venait d'arriver, Renée le lui montra qui traversait solennellement le salon, tenant un bougeoir à la main. Le grand valet, avec sa carrure de ministre, éclairé par la lumière jaune de la cire, avait, cette nuit-là, un visage plus correct et plus sévère encore que de coutume. En se penchant, les amants le virent souffler sa bougie et se diriger vers les écuries, où dormaient les chevaux et les palefreniers. - Il fait sa ronde, dit Maxime. Renée resta frissonnante. Baptiste l'inquiétait d'ordinaire. Il lui arrivait de dire qu'il était le seul honnête homme de l'hôtel, avec sa froideur, ses regards clairs qui ne s'arrêtaient jamais aux épaules des femmes. Ils mirent alors quelque prudence à se voir. Ils fermaient les portes du petit salon, et pouvaient ainsi jouir en toute tranquillité de ce salon, de la serre et de l'appartement de Renée. C'était tout un monde. Ils y goûtèrent, pendant les premiers mois, les joies les plus raffinées, les plus délicatement cherchées. Ils promenèrent leurs amours du grand lit gris et rose de la chambre à coucher, dans la nudité rose et blanche du cabinet de toilette, et dans la symphonie en jaune mineur du petit salon. Chaque pièce, avec son odeur particulière, ses tentures, sa vie propre, leur donnait une tendresse différente, faisait de Renée une autre amoureuse : elle fut délicate et jolie dans sa couche capitonnée de grande dame, au milieu de cette chambre tiède et aristocratique, où l'amour prenait un effacement de bon goût ; sous la tente couleur de chair, au milieu des parfums et de la langueur humide de la baignoire, elle se montra fille capricieuse et charnelle, se livrant au sortir du bain, et ce fut là que Maxime la préféra ; puis, en bas, au clair lever de soleil du petit salon, au milieu de cette aurore jaunissante qui dorait ses cheveux, elle devint déesse, avec sa tête de Diane blonde, ses bras nus qui avaient des poses chastes, son corps pur, dont les attitudes, sur les causeuses, trouvaient des lignes nobles, d'une grâce antique. Mais il était un lieu dont Maxime avait presque peur, et où Renée ne l'entraînait que les jours mauvais, les jours où elle avait besoin d'une ivresse plus âcre. Alors ils aimaient dans la serre. C'était là qu'ils goûtaient l'inceste. Une nuit, dans une heure d'angoisse, la jeune femme avait voulu que son amant allât chercher une des peaux d'ours noir. Puis ils s'étaient couchés sur cette fourrure d'encre, au bord d'un bassin, dans la grande allée circulaire. Au-dehors, il gelait terriblement, par un clair de lune limpide. Maxime était arrivé frissonnant, les oreilles et les doigts glacés. La serre se trouvait chauffée à un tel point, qu'il eut une défaillance, sur la peau de bête. Il entrait dans une flamme si lourde, au sortir des piqûres sèches du froid, qu'il éprouvait des cuissons, comme si on l'eût battu de verges. Quand il revint à lui, il vit Renée agenouillée, penchée, avec des yeux fixes, une attitude brutale qui lui fit peur. Les cheveux tombés, les épaules nues, elle s'appuyait sur ses poings, l'échine allongée, pareille à une grande chatte aux yeux phosphorescents. Le jeune homme, couché sur le dos, aperçut, au-dessus des épaules de cette adorable bête amoureuse qui le regardait, le sphinx de marbre, dont la lune éclairait les cuisses luisantes. Renée avait la pose et le sourire du monstre à tête de femme, et, dans ses jupons dénoués, elle semblait la soeur blanche de ce dieu noir. Maxime resta languissant. La chaleur était suffocante, une chaleur sombre, qui ne tombait pas du ciel en pluie de feu, mais qui traînait à terre, ainsi qu'une exhalaison malsaine, et dont la buée montait, pareille à un nuage chargé d'orage. Une humidité chaude couvrait les amants d'une rosée, d'une sueur ardente. Longtemps ils demeurèrent sans gestes et sans paroles, dans ce bain de flammes, Maxime terrassé et inerte, Renée frémissante sur ses poignets comme sur des jarrets souples et nerveux. Au-dehors, par les petites vitres de la serre, on voyait des échappées du parc Monceau, des bouquets d'arbres aux fines découpures noires, des pelouses de gazon blanches comme des lacs glacés, tout un paysage mort, dont les délicatesses et les teintes claires et unies rappelaient des coins de gravures japonaises. Et ce bout de terre brûlante, cette couche enflammée où les amants s'allongeaient, bouillait étrangement au milieu de ce grand froid muet. Ils eurent une nuit d'amour fou. Renée était l'homme, la volonté passionnée et agissante. Maxime subissait. Cet être neutre, blond et joli, frappé dès l'enfance dans sa virilité, devenait, aux bras curieux de la jeune femme, une grande fille, avec ses membres épilés, ses maigreurs gracieuses d'éphèbe romain. Il semblait né et grandi pour une perversion de la volupté. Renée jouissait de ses dominations, elle pliait sous sa passion cette créature où le sexe hésitait toujours. C'était pour elle un continuel étonnement du désir, une surprise des sens, une bizarre sensation de malaise et de plaisir aigu. Elle ne savait plus ; elle revenait avec des doutes à sa peau fine, à son cou potelé, à ses abandons et à ses évanouissements. Elle éprouva alors une heure de plénitude. Maxime, en lui révélant un frisson nouveau, compléta ses toilettes folles, son luxe prodigieux, sa vie à outrance. Il mit dans sa chair la note excessive qui chantait déjà autour d'elle. Il fut l'amant assorti aux modes et aux folies de l'époque. Ce joli jeune homme, dont les vestons montraient les formes grêles, cette fille manquée, qui se promenait sur les boulevards, la raie au milieu de la tête, avec de petits rires et des sourires ennuyés, se trouva être, aux mains de Renée, une de ces débauches de décadence qui, à certaines heures, dans une nation pourrie, épuise une chair et détraque une intelligence. NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com Et c'était surtout dans la serre que Renée était l'homme. La nuit ardente qu'ils y passèrent fut suivie de plusieurs autres. La serre aimait, brûlait avec eux. Dans l'air alourdi, dans la clarté blanchâtre de la lune, ils voyaient le monde étrange des plantes qui les entouraient se mouvoir confusément, échanger des étreintes. La peau d'ours noir tenait toute l'allée. À leurs pieds, le bassin fumait, plein d'un grouillement, d'un entrelacement épais de racines, tandis que l'étoile rose des Nymphéa s'ouvrait, à fleur d'eau, comme un corsage de vierge, et que les Tornélia laissaient pendre leurs broussailles, pareilles à des chevelures de Néréides pâmées. Puis, autour d'eux, les Palmiers, les grands Bambous de l'Inde, se haussaient, allaient dans le cintre, où ils se penchaient et mêlaient leurs feuilles avec des attitudes chancelantes d'amants lassés. Plus bas, les Fougères, les Ptérides, les Alsophila étaient comme des dames vertes, avec leurs larges jupes garnies de volants réguliers, qui, muettes et immobiles aux bords de l'allée, attendaient l'amour. À côté d'elles, les feuilles torses, tachées de rouge, des Bégonia, et les feuilles blanches, en fer de lance, des Caladium mettaient une suite vague de meurtrissures et de pâleurs, que les amants ne s'expliquaient pas, et où ils retrouvaient parfois des rondeurs de hanches et de genoux, vautrés à terre, sous la brutalité de caresses sanglantes. Et les Bananiers, pliant sous les grappes de leurs fruits, leur parlaient des fertilités grasses du sol, pendant que les Euphorbes d'Abyssinie, dont ils entrevoyaient dans l'ombre les cierges épineux, contrefaits, pleins de bosses honteuses, leur semblaient suer la sève, le flux débordant de cette génération de flamme. Mais, à mesure que leurs regards s'enfonçaient dans les coins de la serre, l'obscurité s'emplissait d'une débauche de feuilles et de tiges plus furieuse : ils ne distinguaient plus, sur les gradins, les Maranta douces comme du velours, les Gloxinia aux cloches violettes, les Dracena semblables à des lames de vieille laque vernie ; c'était une ronde d'herbes vivantes qui se poursuivait d'une tendresse inassouvie. Aux quatre angles, à l'endroit où des rideaux de lianes ménageaient des berceaux, leur rêve charnel s'affolait encore, et les jets souples des Vanilles, des Coques du Levant, des Quisqualus, des Bauhinia étaient les bras interminables d'amoureux qu'on ne voyait pas, et qui allongeaient éperdument leur étreinte, pour amener à eux toutes les joies éparses. Ces bras sans fin pendaient de lassitude, se nouaient dans un spasme d'amour, se cherchaient, s'enroulaient, comme pour le rut d'une foule. C'était le rut immense de la serre, de ce coin de forêt vierge où flambaient les verdures et les floraisons des tropiques. Maxime et Renée, les sens faussés, se sentaient emportés dans ces noces puissantes de la terre. Le sol, à travers la peau d'ours, leur brûlait le dos, et, des hautes palmes, tombaient sur eux des gouttes de chaleur. La sève qui montait aux flancs des arbres les pénétrait, eux aussi, leur donnait des désirs fous de croissance immédiate, de reproduction gigantesque. Ils entraient dans le rut de la serre. C'était alors, au milieu de la lueur pâle, que des visions les hébétaient, des cauchemars dans lesquels ils assistaient longuement aux amours des Palmiers et des Fougères ; les feuillages prenaient des apparences

« Les amants s’égayaient encoredecette bonne histoire ; puisMaxime continuait desavoix câline : – Quand tuvenais mechercher aucollège danstavoiture, nousdevions êtredrôles touslesdeux… Jedisparaissais soustes jupons, tantj’étais petit. – Oui, oui,balbutiait-elle, prisedefrissons, attirantlejeune homme àelle, c’était trèsbon, comme tudis… Nous nous aimions sanslesavoir, n’est-ce pas ?Moijel’ai suavant toi.L’autre jour,enrevenant duBois, j’aifrôlé tajambe, etj’ai tressailli… Maistune t’es aperçu derien.

Hein ? tune songeais pasàmoi ? – Oh ! si,répondait-il unpeu embarrassé.

Seulement,jene savais pas,tucomprends… Jen’osais pas. Il mentait.

L’idéedeposséder Renéeneluiétait jamais nettement venue.Ill’avait effleurée detout sonvice sans ladésirer réellement.

Ilétait tropmou pour ceteffort.

Ilaccepta Renéeparcequ’elle s’imposa àlui, etqu’il glissa jusqu’à sacouche, sans levouloir, sansleprévoir.

Quandilyeut roulé, ilyresta, parcequ’ilyfaisait chaud etqu’il s’oubliait aufond detous les trous oùiltombait.

Danslescommencements, ilgoûta même dessatisfactions d’amour-propre.

C’étaitlapremière femme mariée qu’ilpossédait.

Ilne songeait pasque lemari était sonpère. Mais Renée apportait danslafaute toutes cesardeurs decœur déclassé.

Elleaussi avaitglissé surlapente.

Seulement, elle n’avait pasroulé jusqu’au boutcomme unechair inerte.

Ledésir s’était éveillé enelle trop tardpour lecombattre, lorsquela chute devenait fatale.Cettechute luiapparut brusquement commeunenécessité deson ennui, comme unejouissance rare et extrême quiseule pouvait réveiller sessens lassés, soncœur meurtri.

Cefut pendant cettepromenade d’automne,au crépuscule, quandleBois s’endormait, quel’idée vague del’inceste luivint, pareille àun chatouillement quiluimit àfleur de peau unfrisson inconnu ; et,lesoir, dans lademi-ivresse dudîner, souslefouet delajalousie, cetteidéeseprécisa, sedressa ardemment devantelle,aumilieu desflammes delaserre, enface deMaxime etde Louise.

Àcette heure, ellevoulut lemal, le mal que personne necommet, lemal quiallait emplir sonexistence videetlamettre enfindanscetenfer, dontelleavait toujours peur,comme autemps oùelle était petite fille.Puis, lelendemain, ellenevoulut plus,parunétrange sentiment de remords etde lassitude.

Illui semblait qu’elleavaitdéjàpéché, quecen’était passibon qu’elle pensait, etque ceserait vraiment tropsale.

Lacrise devait êtrefatale, venird’elle-même, endehors deces deux êtres, deces camarades quiétaient destinés àse tromper unbeau soir,às’accoupler, encroyant sedonner unepoignée demain.

Mais,après cettechute bête, elle seremit àson rêve d’un plaisir sansnom, etalors ellereprit Maxime danssesbras, curieuse delui, curieuse desjoies cruelles d’unamour qu’elle regardait commeuncrime.

Savolonté accepta l’inceste, l’exigea,entendit legoûter jusqu’au bout, jusqu’aux remords,s’ilsvenaient jamais.Ellefutactive, consciente.

Elleaima avecsonemportement degrande mondaine, sespréjugés inquietsdebourgeoise, toussescombats, sesjoies etses dégoûts defemme quisenoie dans son propre mépris. Maxime revintchaque nuit.Ilarrivait parlejardin, versuneheure.

Leplus souvent, Renéel’attendait danslaserre, qu’il devait traverser pourgagner lepetit salon.

Ilsétaient, d’ailleurs, d’uneimpudence parfaite,secachant àpeine, oubliant les précautions lesplus classiques del’adultère.

Cecoin del’hôtel, ilest vrai, leurappartenait.

Baptiste,levalet dechambre du mari, avaitseulledroit d’ypénétrer, etBaptiste, enhomme grave,disparaissait aussitôtquesonservice étaitfini.Maxime prétendait mêmeenriant qu’ilseretirait pourécrire sesMémoires.

Unenuit, cependant, commeilvenait d’arriver, Renéele lui montra quitraversait solennellement lesalon, tenant unbougeoir àla main.

Legrand valet,avecsacarrure deministre, éclairé parlalumière jaunedelacire, avait, cettenuit-là, unvisage pluscorrect etplus sévère encore quedecoutume.

Ense penchant, lesamants levirent souffler sabougie etse diriger verslesécuries, oùdormaient leschevaux etles palefreniers. – Il fait saronde, ditMaxime. Renée restafrissonnante.

Baptistel’inquiétait d’ordinaire.

Illui arrivait dedire qu’il était leseul honnête hommedel’hôtel, avec safroideur, sesregards clairsquines’arrêtaient jamaisauxépaules desfemmes. Ils mirent alorsquelque prudence àse voir.

Ilsfermaient lesportes dupetit salon, etpouvaient ainsijouir entoute tranquillité decesalon, delaserre etde l’appartement deRenée.

C’étaittoutunmonde.

Ilsygoûtèrent, pendantles premiers mois,lesjoies lesplus raffinées, lesplus délicatement cherchées.Ilspromenèrent leursamours dugrand litgris et rose delachambre àcoucher, danslanudité roseetblanche ducabinet detoilette, etdans lasymphonie enjaune mineur du petit salon.

Chaque pièce,avecsonodeur particulière, sestentures, savie propre, leurdonnait unetendresse différente, faisait deRenée uneautre amoureuse : ellefutdélicate etjolie dans sacouche capitonnée degrande dame,aumilieu de cette chambre tièdeetaristocratique, oùl’amour prenaituneffacement debon goût ; souslatente couleur dechair, au milieu desparfums etde lalangueur humidedelabaignoire, ellesemontra fillecapricieuse etcharnelle, selivrant ausortir du bain, etce fut làque Maxime lapréféra ; puis,enbas, auclair lever desoleil dupetit salon, aumilieu decette aurore jaunissante quidorait sescheveux, elledevint déesse, avecsatête deDiane blonde, sesbras nusquiavaient desposes chastes, soncorps pur,dont lesattitudes, surlescauseuses, trouvaientdeslignes nobles, d’unegrâceantique.

Maisilétait un lieu dont Maxime avaitpresque peur,etoù Renée nel’entraînait quelesjours mauvais, lesjours oùelle avait besoin d’une ivresse plusâcre.

Alors ilsaimaient danslaserre.

C’était làqu’ils goûtaient l’inceste. Une nuit, dans uneheure d’angoisse, lajeune femme avaitvoulu quesonamant allâtchercher unedespeaux d’ours noir.

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