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Queneau - Pierrot mon ami

Publié le 04/03/2011

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Dans Pierrot mon ami, Queneau met en scène des personnages insolites bien qu'empruntés au monde conventionnel de la comédie et de la farce. Ceux-ci évoluent dans un univers dérisoire et fantomatique. Son Pierrot s'inscrit ainsi dans la lignée du personnage lunaire traditionnel. Dans l'extrait qui suit, Pierrot, séparé un moment de ses amis, qui s'amusent sur les autos tamponneuses, reste inactif C'est l'occasion, pour Queneau, de nous le présenter. Accoudé bien à son aise, Pierrot pensait à la mort de Louis XVI, ce qui veut dire, singulièrement, à rien de précis; il n'y avait dans son esprit qu'une buée mentale, légère et presque lumineuse comme le brouillard d'un beau matin d'hiver, 5 qu'un vol de moucherons anonymes. Les autos se cognaient avec énergie, les trolleys crépitaient contre le filet métallique, des femmes criaient; et, au-delà, dans tout le reste de l'Uni-Park, il y avait cette rumeur de foule qui s'amuse et cette clameur de charlatans et tabarins1 qui rusent et ce 10 grondement d'objets qui s'usent. Pierrot n'avait aucune idée spéciale sur la moralité publique ou l'avenir de la civilisation. On ne lui avait jamais dit qu'il était intelligent. On lui avait plutôt répété qu'il se conduisait comme un manche ou qu'il avait des analogies avec la lune. En tout cas, ici, maintenant, 15 il était heureux, et content, vaguement. D'ailleurs parmi les moucherons, il y en avait un plus gros que les autres et plus insistant. Pierrot avait un métier, tout au moins pour la saison. En octobre, il verrait. Pour le moment, il avait un tiers d'an devant lui tintant déjà des écus de sa paie. Il y avait de 20 quoi être heureux et content pour quelqu'un qui connaissait en permanence les jours incertains, les semaines peu probables et les mois très déficients. Son œil beurre noir lui faisait un peu mal, mais est-ce que la souffrance physique a jamais empêché le bonheur? Pierrot mon ami, ch. 1, Éd. Gallimard

1. Tabarin était, au XVIIe siècle, un charlatan célèbre qu'admirait Molière. Son nom passa à la postérité pour désigner un prestidigitateur.

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