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Quinn caressa le bout de sa moustache du revers de son index.

Publié le 30/10/2013

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quinn
Quinn caressa le bout de sa moustache du revers de son index. « Vous la connaissiez, n'est-ce pas ? - Pas exactement. Je connaissais ses occupations. « Quinn posa ses coudes sur la table et se pencha en avant. « Asseyez-vous et parlons. « Le visiteur approcha une chaise. Dès qu'il fut assis, ses doigts se mirent à jouer avec un bouton de sa veste. « Kate vous faisait-elle chanter ? demanda le shérif. - Pourquoi ? En voilà une question ! - Je vous la pose en ami. Vous savez qu'elle est morte. Vous n'avez plus rien à craindre. - Je ne vois pas où vous voulez en venir. Personne ne me fait chanter. « Quinn sortit une photographie de son enveloppe, la retourna comme une carte maîtresse et la glissa sur le bureau. Son visiteur mit ses lunettes et sa respiration se fit sifflante. « Seigneur ! dit-il doucement. - Vous ne saviez pas qu'elle l'avait ? Oh ! Si. Elle me l'avait fait savoir. Horace, pour l'amour du Ciel, qu'allez-vous faire avec cela ? « Quinn lui reprit la photo. « Horace, qu'allez-vous en faire ? - Les brûler. (Le shérif prit les enveloppes et en fit un paquet régulier.) C'est un jeu d'enfer, dit-il. Il y a là de quoi faire sauter tout le pays. « Quinn écrivit une liste de noms sur une feuille de papier. Puis, il se leva en s'appuyant sur sa bonne jambe, et se dirigea vers le poêle de fonte de son bureau. Il froissa le Salinas Morning Journal, y mit le feu et l'introduisit dans le poêle. Lorsque tout le papier fut embrasé, il laissa tomber le paquet d'enveloppes sur la flamme et referma le couvercle du poêle. Le feu gronda et une lueur jaune brilla derrière le petit voyant du poêle. Quinn se frotta les mains, comme si elles étaient sales. « Les négatifs sont avec, dit-il. J'ai fouillé chez elle. Il ne reste aucune épreuve. « Son visiteur essaya de parler, mais sa voix n'était qu'un murmure enroué. « Merci, Horace. « Le shérif retourna à son bureau et prit sa liste. « Vous allez faire quelque chose pour moi. Voici une liste. Vous allez prévenir chacun de ces messieurs que j'ai brûlé les photos. Vous les connaissez tous, je le sais. Ils le prendront mieux, venant de vous. Nous ne sommes pas des petits saints. Prenez-les séparément et dites-leur exactement ce qui s'est passé. Regardez. « Il alla jusqu'au poêle, l'ouvrit et tisonna les cendres jusqu'à ce qu'elles fussent réduites en poudre. « Vous leur direz... ceci. « Le visiteur regarda le shérif, et Quinn comprit qu'aucun pouvoir au monde ne pourrait empêcher cet homme de le haïr. Jusqu'à la fin de leurs jours, il y aurait une barrière entre eux, mais ils ne l'admettraient pas. « Horace, je ne sais comment vous remercier. « Et le shérif dit tristement : « Cela n'en vaut pas la peine. C'est ce que j'aurais attendu de la part d'un ami. - -Quelle ordure ! « Dit doucement le visiteur. Et Horace Quinn comprit qu'une partie de l'insulte lui était destinée. Il comprit aussi qu'il ne serait plus shérif longtemps. Ces hommes à l'âme coupable lui retireraient son poste, ils y seraient forcés. Il soupira et s'assit. « Allez terminer votre déjeuner, dit-il. J'ai du travail. « À une heure moins le quart, le shérif Quinn tourna le coin de Main Street et de Central Avenue. À la boulangerie Reynaud, il acheta un pain blanc encore chaud, exhalant sa merveilleuse odeur de froment fermenté. Il s'agrippa à la rampe pour gravir les marches du perron des Trask. Lee ouvrit la porte, un torchon noué autour de la taille. « Il n'est pas là, dit-il. - Il va arriver. Je l'ai appelé à son bureau. Je l'attends. « Lee recula et conduisit le shérif dans le salon. « Une bonne tasse de café ? demanda-t-il. - Je ne refuse pas. - Je viens de le faire «, dit Lee en se dirigeant vers la cuisine. Quinn examina la pièce confortable. Il n'avait plus envie de garder son emploi. Un médecin lui avait dit un jour : « J'aime mettre un enfant au monde, car si je fais bien mon travail, il se traduit par de la joie. « Le shérif avait souvent pensé à cette remarque. S'il faisait bien son travail, il se traduisait par de la douleur pour quelqu'un. Et le fait qu'il fût nécessaire ne lui paraissait plus un motif suffisant. Il se retirerait bientôt, qu'il voulût ou non. Chaque homme cultive en lui un jardin secret où il se retirera le jour de sa retraite pour y faire les choses qu'il n'a pas eu le temps d'accomplir. Il y fera ses voyages, il y lira les livres qu'il a prétendu lire. Pendant de nombreuses années, le shérif avait rêvé d'employer son temps à chasser, à pêcher, à se promener dans la chaîne de Santa Lucia, et à camper le long de rivières entrevues. Et maintenant que ce temps allait venir, il n'en avait plus envie. Dormir sur le sol serait douloureux pour sa jambe blessée. Il se rappelait combien un cerf est lourd à porter, et puis, franchement, il n'aimait pas le gibier. Mrs. Reynaud pouvait l'asperger de vin et le farcir d'épices, tout compte fait, une vieille chaussure aurait le même goût, accommodée de cette façon. Lee avait acheté un percolateur. Quinn entendit l'eau bouillonner contre le dôme de verre, et il soupçonna Lee de lui avoir menti. Le café n'était pas fait. Le vieil homme s'était aiguisé l'esprit au cours de son travail. Ayant appris à observer, il pouvait évoquer un visage et le scruter, ainsi que des scènes complètes et des conversations échangées. Il pouvait les jouer comme un disque ou les passer comme un film. En pensant au gibier, il s'était mis à examiner le salon et se disait qu'il y avait là quelque chose d'étrange : fauteuils recouverts d'un chintz à fleurs, rideaux de dentelle, dessus de table blanc exécuté au crochet, et des coussins du canapé recouverts d'un tissu à motifs voyants et impudents. C'était une pièce féminine dans une maison où ne vivaient que des hommes. Il pensa à son propre salon. C'était Mrs. Quinn qui avait choisi et acheté tout ce qui s'y trouvait, à part le porte-pipes. D'ailleurs, en y repensant, elle avait aussi acheté le portepipes. Le salon des Trask était féminin, mais trop, trop féminin, une pièce de femme conçue par un homme. C'était outré. Ce devait être l'oeuvre de Lee. Adam ne s'en rendait sans doute pas compte. Horace Quinn se rappela l'interrogatoire qu'il avait fait subir à Adam bien des années auparavant, Adam à l'agonie, avec son regard horrifié. Adam, d'une honnêteté foncière. Au cours des années, ils avaient eu souvent l'occasion de se voir. Ils appartenaient tous deux à la franc-maçonnerie. Horace avait suivi Adam comme maître de loge, et ils portaient tous deux les insignes de leur distinction. Et puis, Adam s'était retiré de la communauté, un mur invisible l'avait coupé du monde, un mur infranchissable derrière lequel il était prisonnier. Mais ce jour-là, le jour de l'interrogatoire, le mur n'était pas encore construit. Par sa femme, Adam avait fait connaissance avec le monde vivant. Horace s'imagina Kate sous les tubes de formaline, grise et lavée, des aiguilles dans la gorge. Adam était incapable de malhonnêteté, car il ne désirait rien. Il faut avoir des besoins à satisfaire pour être malhonnête. Le shérif se demanda ce qu'il se passait derrière le mur, quelles angoisses, quels plaisirs, quelles douleurs ? Il changea de position dans son fauteuil pour soulager le poids qui appuyait sur sa jambe. La maison était silencieuse. Seule la cafetière faisait du bruit. Adam mit
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« Il s’agrippa àla rampe pourgravir lesmarches duperron desTrask. Lee ouvrit laporte, untorchon nouéautour delataille. « Il n’est paslà,dit-il. – Il vaarriver.

Jel’ai appelé àson bureau.

Jel’attends. » Lee recula etconduisit leshérif danslesalon. « Une bonne tassedecafé ? demanda-t-il. – Je nerefuse pas. – Je viens delefaire », ditLee ensedirigeant verslacuisine. Quinn examina lapièce confortable.

Iln’avait plusenvie degarder sonemploi.

Un médecin luiavait ditunjour : « J’aime mettreunenfant aumonde, carsije fais bien mon travail, ilse traduit pardelajoie. » Leshérif avaitsouvent penséàcette remarque. S’il faisait biensontravail, ilse traduisait pardeladouleur pourquelqu’un.

Etlefait qu’il fûtnécessaire nelui paraissait plusunmotif suffisant.

Ilse retirerait bientôt,qu’il voulût ounon. Chaque homme cultiveenlui un jardin secretoùilse retirera lejour desaretraite pour y faire leschoses qu’iln’apas euletemps d’accomplir.

Ilyfera sesvoyages, ilylira les livres qu’ilaprétendu lire.Pendant denombreuses années,leshérif avaitrêvé d’employer sontemps àchasser, àpêcher, àse promener danslachaîne deSanta Lucia, et àcamper lelong derivières entrevues.

Etmaintenant quecetemps allaitvenir, iln’en avait plusenvie.

Dormir surlesol serait douloureux poursajambe blessée.

Ilse rappelait combienuncerf estlourd àporter, etpuis, franchement, iln’aimait pasle gibier.

Mrs.Reynaud pouvaitl’asperger devin etlefarcir d’épices, toutcompte fait,une vieille chaussure auraitlemême goût,accommodée decette façon. Lee avait acheté unpercolateur.

Quinnentendit l’eaubouillonner contreledôme de verre, etilsoupçonna Leedelui avoir menti.

Lecafé n’était pasfait. Le vieil homme s’étaitaiguisé l’espritaucours deson travail.

Ayantappris àobserver, il pouvait évoquer unvisage etlescruter, ainsiquedesscènes complètes etdes conversations échangées.Ilpouvait lesjouer comme undisque oules passer comme un film.

Enpensant augibier, ils’était misàexaminer lesalon etse disait qu’ilyavait là quelque chosed’étrange : fauteuilsrecouverts d’unchintz àfleurs, rideaux dedentelle, dessus detable blanc exécuté aucrochet, etdes coussins ducanapé recouverts d’untissu à motifs voyants etimpudents.

C’étaitunepièce féminine dansunemaison oùne vivaient quedeshommes. Il pensa àson propre salon.C’était Mrs.Quinn quiavait choisi etacheté toutcequi s’y trouvait, àpart leporte-pipes.

D’ailleurs,enyrepensant, elleavait aussi acheté leporte- pipes.

Lesalon desTrask étaitféminin, maistrop, tropféminin, unepièce defemme conçue parunhomme.

C’étaitoutré.Cedevait êtrel’œuvre deLee.

Adam nes’en rendait sans doute pascompte. Horace Quinnserappela l’interrogatoire qu’ilavait faitsubir àAdam biendesannées auparavant, Adamàl’agonie, avecsonregard horrifié.

Adam,d’unehonnêteté foncière. Au cours desannées, ilsavaient eusouvent l’occasion desevoir.

Ilsappartenaient tous deux àla franc-maçonnerie.

HoraceavaitsuiviAdam comme maîtredeloge, etils portaient tousdeux lesinsignes deleur distinction.

Etpuis, Adam s’étaitretirédela communauté, unmur invisible l’avaitcoupédumonde, unmur infranchissable derrière lequel ilétait prisonnier.

Maiscejour-là, lejour del’interrogatoire, lemur n’était pas encore construit. Par safemme, Adamavaitfaitconnaissance aveclemonde vivant.Horace s’imagina Kate souslestubes deformaline, griseetlavée, desaiguilles danslagorge. Adam étaitincapable demalhonnêteté, carilne désirait rien.Ilfaut avoir desbesoins à satisfaire pourêtremalhonnête.

Leshérif sedemanda cequ’il sepassait derrière lemur, quelles angoisses, quelsplaisirs, quellesdouleurs ? Il changea deposition danssonfauteuil poursoulager lepoids quiappuyait sursa jambe.

Lamaison étaitsilencieuse.

Seulelacafetière faisaitdubruit.

Adam mit. »

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