René Teulade, Le courrier des Mutuelles
Publié le 28/04/2011
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De toutes les menaces qui pèsent sur Phumanité, le chômage est une des plus graves. Son développement est mal traduit par la seule analyse économique. Le chômage certes est bien un problème économique, mais il est aussi politique et social donc humain, douloureusement, dramatiquement humain. Le partage du travail devient un problème de solidarité nationale et tous les efforts doivent être réalisés pour vaincre un mal qui risquerait, à terme, d'engloutir la démocratie. Au-delà des appréciations d'ordre économique, on assiste actuellement à d'interminables déclarations qui émanent des plus hautes autorités, parfois même religieuses. « L'homme n'est pas fait pour le travail, le travail est fait pour l'homme. « Nous avons là matière à réflexion. L'humanité influencée par des siècles de civilisation judéo-chrétienne ne s'est-elle pas pliée d'une façon résignée au travail imposé, conséquence inévitable du péché originel : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front « ? L'homme a été ensuite assujetti à d'autres malédictions, celle du capitalisme : « Le temps, c'est de l'argent « et celle de l'idéologie matérialiste : « Qui ne travaille pas, ne mange pas «. Si l'on voulait définir le progrès de l'humanité, l'une des meilleures références serait certainement la diminution du nombre des heures de labeur. Tel est bien, d'ailleurs, l'aboutissement de tant de luttes ouvrières, mutualistes ou syndicales selon les siècles. Le mot travail a pris automatiquement un sens de punition. D'ailleurs, le Larousse étymologique nous indique que le mot travail dérive du mot latin tripalium : instrument de torture ; de très : trois et palus : pieu, instrument pour assujettir les animaux domestiques, c'est-à-dire pour les faire tenir en place. En argot, « le turbin « est également riche de signification puisqu'il vient de turbine et évoque la nature du travail pénible en usine. Pour mieux saisir le problème, limitons-nous à quelques expériences de notre vie quotidienne. Dans notre société chronophage (1), où le temps est devenu l'une des matières premières les plus précieuses, nous sommes tellement saturés de travail que nous ne sommes plus en mesure de distinguer le loisir du repos. Nous touchons à l'absurde alors que nous devrions être libres de répartir le temps de non-travail entre le repos véritable et l'occupation de son choix. Le loisir est conçu comme une nécessité et c'est en partant de cette situation que divers clubs, marchands de loisirs, ont organisé leur publicité. S'amuser devient une obligation au même titre que le travail. Certes, il y aurait beaucoup à dire sur la préparation à la vie productive, mais il y aurait encore plus à dire sur la préparation à la vie du temps libéré. Pour que l'homme soit libre, il ne devrait pas exister de différences entre temps de travail et temps de loisirs, il ne devrait connaître qu'un seul temps, celui qu'il a choisi. Est-ce faire preuve d'utopie que de penser, qu'émancipés de l'esclavage du « salaire pour vivre «, les hommes pourraient enfin retrouver la vie naturelle et le goût du désintéressement ? Il ne s'agit naturellement pas de songer à un mode de pure oisiveté, car l'homme a besoin d'exprimer sa personnalité sous une forme de productivité soit intellectuelle, soit manuelle. Le travail peut et doit être une action autonome et créatrice par laquelle l'individu s'épanouit, réalise sa souveraineté et remplace la domination et l'agressivité par des rapports sociaux basés sur l'estime réciproque. René Teulade, Le courrier des Mutuelles, sept. 1981.
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