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Réversibilité : argument réaliste...

Publié le 11/05/2011

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Le fait mathématique est indépendant du vêtement logique ou algébrique sous lequel nous cherchons à le représenter : en effet l'idée que nous en avons est plus riche et plus pleine que toutes les définitions que nous en pouvons donner, que toutes les formes ou combinaisons de signes ou de propositions par lesquelles il nous est possible de l'exprimer. L'expression d'un fait mathématique est arbitraire, conventionnelle. Par contre, le fait lui-même, c'est-à-dire la vérité qu'il contient, s'impose à notre esprit en dehors de toute convention... L'algèbre et les propositions logiques ne sont que le langage dans lequel on traduit un ensemble de notions et de faits objectifs. Les algébristes et les logiciens ont raison de regarder la Mathématique comme un système algébrico-logique. Mais.., les faits mathématiques sont en eux-mêmes totalement indifférents à l'ordre dans lequel on les obtient.

BOUTROUX.

... ou phénomène particulier de la recherche axiomatique ?

Depuis que la logique comprend des théorèmes sémantiques, donc au moins depuis 1915, on serait bien incapable de la développer antérieurement à la Mathématique, à la façon d'une introduction. Le théorème du modèle dénombrable, par exemple, exige qu'on ait défini l'ensemble des entiers et des relations construites sur les entiers. Si même nous réduisons la Logique à la seule Syntaxe, nous sommes conduits à définir le « mot « comme une suite finie de symboles, et la « formule « comme un mot construit selon certaines règles. Or la définition de la « suite finie « de symboles présuppose la notion d'entier naturel; cela donne, dès le début de la Syntaxe, des raisonnements par récurrence, parfois déguisés comme suit : si la propriété donnée est vraie pour les formules réduites à un atome; si quand elle est vraie pour a, elle est vraie pour « non a «; si, quand elle est vraie pour a et b, elle l'est encore pour « a et b « et pour « a ou b «; alors la propriété est vraie pour toutes les formules connectives en « non, et, ou «. Nous sommes donc amenés à placer au début de la Syntaxe des axiomes aussi forts que ceux de l'Arithmétique et de la Combinatoire. La position de la Logique nous semble imposée par ces considérations; le logicien doit partir d'une théorie mathématique assez riche pour comprendre une représentation des notions de mot, formule, déduction, théorie, axiomatique, consistance, saturation, etc. Alors seulement la Logique peut être exposée; elle s'identifie à l'étude mathématique des notions citées. Naturellement, le logicien n'attend pas d'avoir décrit les règles de la Logique pour raisonner correctement; ces règles qu'il expose tardivement, il doit les appliquer dès qu'il pose sa première définition et qu'il obtient son premier énoncé. Dans la comparaison classique entre le mathématicien et le joueur, il existe donc une différence essentielle. Le joueur doit énoncer les règles de son jeu avant le début de la partie; par souci d'honnêteté, pour que l'adversaire et les témoins puissent contrôler la légitimité de chaque coup. Le mathématicien ne peut pas donner à son lecteur, à l'avance, un moyen de contrôler la légitimité de son raisonnement. Une personne ne sachant pas jouer mais assez instruite par ailleurs est apte à comprendre les règles d'un jeu à leur simple lecture. En Mathématique, par contre, l'exposé des règles fait partie du « jeu «; elle n'en est pas une introduction. On n'apprend pas à raisonner en lisant une description du formalisme mathématique : il faut, au contraire, savoir déjà raisonner pour comprendre une telle description. Le contrôle de la légitimité aura lieu en mathématique tout aussi sévèrement qu'au jeu, mais après coup. Ainsi la légitimité d'une dynastie ou d'un régime politique ne peut s'établir qu'après le coup de force de son fondateur. Ainsi chacun de nous ne peut approuver ou désapprouver sa propre existence qu'après qu'elle lui a été imposée. C'est à regret que nous abandonnons l'idéal, ou l'illusion, d'un fondement de la Mathématique sur la Logique. Nous redoutons un cercle vicieux : la Logique peut-elle n'être qu'un chapitre de l'Arithmétique cependant que cette dernière ne peut être axiomatisée que dans le cadre de la Logique? Tout serait plus clair si les lois du raisonnement pouvaient être obtenues ou tout au moins exposées sans notion préalable, à partir de rien. Notre désir insatisfait, notre complexe à ce sujet semble être une séquelle du complexe de Descartes : le désir d'obtenir la vérité par une réflexion simple et claire, sans autre point de départ que l'ignorance ou le doute.

FRAÏSSe.   

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