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Romain Rolland (1866-1944), Compagnons de route.

Publié le 27/04/2011

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 Oui, les produits de la vraie science et du vrai art sont les produits du sacrifice et non des avantages matériels. Et ce n'est pas seulement la morale, c'est l'art même qui a intérêt à ce que l'art ne soit plus la propriété exclusive d'une caste privilégiée. Artiste, je suis le premier à appeler de mes vœux le moment où l'art rentrera dans la masse commune de la nation, dépouillé de ses privilèges,- de ses pensions, de ses décorations, de sa gloire officielle. Je l'appelle, au nom de la dignité de l'art, que souillent les milliers de parasites qui vivent honteusement à ses dépens. L'art ne doit pas être une carrière, il doit être une vocation. La vocation ne peut être connue et prouvée que par le sacrifice que le savant et l'artiste font de leur repos et de leur bien-être pour suivre leur vocation. Or, dans la civilisation actuelle, il n'y a que les artistes vraiment grands qui fassent de réels sacrifices ; ils sont les seuls qui se heurtent à de rudes obstacles, parce qu'ils sont les seuls qui se refusent à vendre leur pensée, à se prostituer pour le plaisir de la clientèle corrompue qui paye ses pourvoyeurs de débauches intellectuelles. En supprimant les privilèges de l'art, en augmentant les difficultés de son accès, il n'est donc pas à craindre qu'on fasse souffrir davantage les vrais artistes; on n'écartera que la multitude des inutiles, qui se font intellectuels pour se distinguer du peuple, et pour se dérober à des travaux plus pénibles.    Le monde n'a pas besoin, bon an mal an, des dix mille œuvres d'art (ou prétendues telles) des Salons de Paris, de centaines de pièces de théâtre, de milliers de romans. Il a besoin de trois ou quatre génies par siècle, et d'un peuple où soient répandus la raison, la bonté, et le sens des belles choses, un peuple qui ait un cœur sain, une intelligence saine, un regard sain, qui sache voir, sentir, comprendre ce qu'il y a de beau et de bon dans le monde, et qui travaille à en orner la vie...    Goethe a dit quelque part : « A force d'écrire ou de lire des livres, on devient soi-même un livre. « Le caractère factice, morbide et stérile de l'art d'aujourd'hui tient à ce qu'il n'a plus de racines dans la vie de la terre ; il n'est plus l'œuvre d'hommes vivants, d'hommes de chair et de sang, mais « d'hommes de lettres «, d'hommes de papier, nourris de mots, de tableaux, de sons d'instruments, d'extraits de sensations mis en flacons. Et les vrais artistes doivent trop souvent, pour ne pas être contraints de vendre leur art, vivre d'un autre métier intellectuel à côté de leur art. Or, ce métier intellectuel, combien il est plus gênant pour l'imagination créatrice qu'un travail manuel, qui fatigue le corps, mais laisse l'esprit libre ! — « Mais, protesteront nos esthètes, la beauté du travail artistique n'y perdra-t-elle point ? L'art n'est-il pas exclusif? Accepte-t-il de se partager avec quoi que ce soit ? Et n'a-t-il pas besoin de l'entière propriété de ses journées ? «    Je le demande à tout artiste de bonne foi : « Produit-on beaucoup plus et mieux lorsqu'on a sa journée libre, que lorsqu'on n'a que deux heures par jour? « J'ai souvent fait pour moi l'expérience du contraire. La gêne n'est pas inutile à l'esprit. Une liberté trop grande est mauvaise inspiratrice; elle porte la pensée à l'apathie et à l'indifférence. L'homme a besoin d'aiguillons. Si sa vie n'était pas si courte, il ne se hâterait point tant de vivre. Enfermé dans la limite étroite des heures, il en agit avec plus de passion. Le génie veut l'obstacle, et l'obstacle fait le génie. Quant aux talents, nous n'en avons que trop. Notre civilisation pue de talents, parfaitement inutiles, voire parfaitement nuisibles. Quand la plus grande partie d'entre eux disparaîtrait, quand il y aurait moins de peintres, moins de musiciens, moins d'écrivains, moins de critiques, moins de pianistes, moins de cabotins, et moins de journalistes, ce ne serait pas grand mal, mais un très grand bien. Et même quand l'art y perdrait en correction, en style, en perfection technique, je ne m'en soucierais guère s'il gagnait en énergie et en santé. Il y a des jours où je songe sans aucune indignation à l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie (*). Que nous fait ce passé mort qui nous écrase, et cet échafaudage de sciences, d'arts, de civilisations entassées sur la vie ? Qui nous en débarrassera ?    Romain Rolland (1866-1944), Compagnons de route.    Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du développement) ou une analyse (en mettant en relief la structure logique de la pensée).    Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.

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