Devoir de Philosophie

Sur le choix des lectures. Madame de Sévigné

Publié le 12/07/2011

Extrait du document

Aux Rochers, 11 janvier 1690.

Pour vos lectures, ma chère enfant, vous avez trop à parler, à raisonner, pour trouver le temps de lire; nous sommes ici dans un trop grand repos, et nous en profitons. Je relis même avec mon fils de certaines choses que j'avais lues en courant à Paris, et qui me paraissent toutes nouvelles. Nous relisons aussi, au travers de nos grandes lectures, des rogatons que nous trouvons sous notre main ; par exemple, toutes les belles oraisons funèbres de M. Bossuet, de M. Fléchier, de M. Mascaron, du P. Rourdaloue : nous repleurons M. de Turenne, Mme de Montausier, Monsieur le Prince, feu Madame, la reine d'Angleterre! nous admirons ce portrait de Cromwell, ce sont des chefs-d'œuvre d'éloquence qui charment l'esprit. Il ne faut point dire : « Oh! cela est vieux; « non, cela n'est point vieux, cela est divin. Pauline en serait instruite et ravie: mais tout cela n'est bon qu'aux Rochers. Je ne sais quel livre conseiller à Pauline: Davila est beau en italien: nous l'avons lu; Guichardin est long; j'aimerais assez les anecdotes de Médicis, qui en sont un abrégé ; mais cela n'est pas de l'italien. Je ne veux plus nommer Bentivoglio: qu'elle s'en tienne à sa poésie, ma fille; je n'aime point la prose italienne; le Tasse, L'Aminte, le Pastor fido, la Filli di Sciro ; je n'ose dire l'Arioste, il y a des endroits fâcheux; et, du reste, qu'elle lise l'histoire; qu'elle entre dans ce goût, qui peut si longtemps consoler son oisiveté: il est à craindre qu'en retranchant cette lecture, on ne trouve plus rien à lire. Qu'elle commence par la Vie du grand Théodose, et qu'elle me mande comme elle s'en trouvera. Voilà, mon enfant, bien des bagatelles: il y a des jours qu'on destine à causer, sans préjudice des choses sérieuses, à quoi on prend toujours un sensible intérêt. Adieu, ma très aimable ; nous vous souhaitons toute sorte de bonheur cette année, et quanto va.

L'ensemble. — Cette lettre, écrite des Rochers, la demeure bretonne de Mme de Sévigné, nous renseigne sur ses lectures et sur ses goûts; elle offre donc un intérêt littéraire de premier ordre. Nous y voyons comment elle apprécie les Oraisons funèbres de Bossuet et quelle est sa connaissance de la littérature italienne. Nous pénétrons également la façon si judicieuse dont elle recommande les lectures historiques; on sent que l'Histoire est pour elle ce qu'elle est en réalité, un admirable outil de formation morale. Enfin, Mme de Sévigné est aussi une grand-mère pleine de cœur. Elle se préoccupe de sa petite-fille Pauline, elle cherche à l'intéresser, à développer son intelligence et son jugement.   

Liens utiles