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Ubu roi, Jarry. ACTE I, scène 1.

Publié le 22/04/2012

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jarry

 

 

ACTE I, scène 1

Père Ubu, Mère Ubu

Père Ubu.  -Merdre.

Mère Ubu. -Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.

Père Ubu.  -Que ne vous assom’je, Mère Ubu !

Mère Ubu. -Ce n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il faudrait assassiner.

Père Ubu.  -De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.

Mère Ubu. -Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?

Père Ubu.  -De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d’Aragon, que voulez-vous de mieux ?

Mère Ubu. -Comment ! après avoir été roi d’Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d’estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d’Aragon ?

Père Ubu.  -Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.

Mère Ubu. -Tu es si bête !

Père Ubu.  -De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu’il meure, n’a-t-il pas des légions d’enfants ?

Mère Ubu. -Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?

Père Ubu.  -Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l’heure par la casserole.

Mère Ubu. -Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?

Père Ubu.  -Eh vraiment ! et puis après ? N’ai-je pas un cul comme les autres ?

Mère Ubu. -A ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues.

Père Ubu.  -Si j’étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que ces gredins d’Espagnols m’ont impudemment volée.

Mère Ubu. -Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.

Père Ubu.  -Ah ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d’un bois, il passera un mauvais quart d’heure.

Mère Ubu. -Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.

Père Ubu.  -Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir !

Mère Ubu (à part). -Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.

Père Ubu.  -Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat.

Mère Ubu. -Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ?

Père Ubu.  -Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s’en va en claquant la porte.)

Mère Ubu (seule). -Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l’avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.

 

 

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