UN STYLE FIGURE : L'EGLISE SAUVE LA CIVILISATION. Michelet.

Dans le style de Michelet, au contraire, historien comme Fustel de Coulanges et à peu près son contemporain, tout est figure : métaphores, antithèses, mythes ; c'est un style éminemment poétique. Le texte suivant est extrait du premier volume de l'Histoire de France. Le style y a un mouvement et une grandeur tout épiques, qu'on étudiera dans le détail. Michelet y évoque l'état politique et religieux de la Gaule au Ve siècle de notre ère. Partout, à côté de la magistrature romaine qui va s'éclipser et délaisser la société en péril, la religion en a placé une autre qui ne lui manquera pas. Le titre romain de « defensor civitatis « va, partout, passer aux évêques. Dans la division des diocèses ecclésiastiques, subsiste celle des diocèses impériaux. L'universalité impériale est détruite, mais l'universalité catholique apparaît. La primatie de Rome commence à poindre, confuse et obscure. Le monde se maintiendra et s'ordonnera par l'Eglise ; sa hiérarchie naissante est un cadre sur lequel tout se place ou se modèle. A elle l'ordre extérieur et la vie intérieure. Celle-ci est surtout dans les moines. L'ordre de Saint-Benoît donne au monde ancien, usé par l'esclavage, le premier exemple du travail accompli par des mains libres. Pour la première fois le citoyen, humilié par la ruine de la cité, abaisse les regards sur cette terre qu'il avait méprisée. Cette grande innovation du travail libre et volontaire sera la base de l'existence moderne. ...Héritière du gouvernement municipal, ,1'Eglise était sortie des murs à l'approche des Barbares ; elle s'était portée pour arbitre entre eux et les vaincus. Et, une fois hors des murs, elle s'arrête dans les campagnes. Fille de la cité, elle comprit que tout n'était pas dans la cité ; elle créa des évêques des champs et des bourgades : des chorévêques. Sa protection salutaire s'étendit à tous ceux même qu'elle n'ordonna point, elle les couvrit du signe protecteur de la tonsure. Elle devint un immense asile : asile pour les vaincus, pour les Romains, pour les serfs des Romains ; les serfs se précipitèrent dans l'Eglise ; plus d'une fois, on fut obligé de leur en fermer les portes ; il n'y eût eu personne pour cultiver la terre. Asile pour les vainqueurs : ils se réfugièrent dans l'Eglise contre le tumulte de la vie barbare, contre leurs passions, leurs violences, dont ils souffraient autant que les vaincus. Ainsi, les serfs montèrent à la prêtrise, les fils des rois, des ducs, descendirent à l'épiscopat, les petits et les grands se rencontrèrent en Jésus-Christ. Michelet.