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Une vie Jeanne, encore une fois, l'embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l'oreille : " Nous en aurons bien soin, va, ma fille.

Publié le 11/04/2014

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Une vie Jeanne, encore une fois, l'embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l'oreille : " Nous en aurons bien soin, va, ma fille. " Puis comme un nouvel accès de pleurs commençait, elle se sauva bien vite. Tous les jours elle y retourna, et tous les jours Rosalie éclatait en sanglots en apercevant sa maîtresse. L'enfant fut mis en nourrice chez une voisine. Julien cependant parlait à peine à sa femme, comme s'il eût gardé contre elle une grosse colère depuis qu'elle avait refusé de renvoyer la bonne. Un jour, il revint sur ce sujet, mais Jeanne tira de sa poche une lettre de la baronne demandant qu'on lui envoyât immédiatement cette fille si on ne la gardait pas aux Peuples. Julien, furieux, cria : " Ta mère est aussi folle que toi. " Mais il n'insista plus. Quinze jours après, l'accouchée pouvait déjà se lever et reprendre son service. Alors, Jeanne, un matin, la fit asseoir, lui tint les mains et, la traversant de son regard : " Voyons, ma fille, dis-moi tout, " Rosalie se mit à trembler, et balbutia : " Quoi, madame ? À qui est-il, cet enfant ? " Alors la petite bonne fut reprise d'un désespoir épouvantable ; et elle cherchait éperdument à dégager ses mains pour s'en cacher la figure. Mais Jeanne l'embrassait malgré elle, la consolait : " C'est un malheur, que veux-tu, ma fille ? Tu as été faible ; mais ça arrive à bien d'autres. Si le père t'épouse, on n'y pensera plus ; et nous pourrons le prendre à notre service avec toi. " Rosalie gémissait comme si on l'eût martyrisée, et de temps en temps donnait une secousse pour se dégager et s'enfuir. Jeanne reprit : " Je comprends bien que tu aies honte, mais tu vois que je ne me fâche pas, que je te parle doucement. Si je te demande le nom de l'homme, c'est pour ton bien, parce que je sens à ton chagrin qu'il t'abandonne, et que je veux empêcher cela. Julien ira le trouver, vois-tu, et nous le forcerons à t'épouser ; et comme nous vous garderons tous les deux, nous le forcerons bien aussi à te rendre heureuse. " Cette fois Rosalie fit un effort si brusque qu'elle arracha ses mains de celles de sa maîtresse, et se sauva comme une folle. Le soir, en dînant, Jeanne dit à Julien : " J'ai voulu décider Rosalie à me révéler le nom de son séducteur. Je n'ai pu y réussir. Essaie donc de ton côté pour que nous contraignions ce misérable à l'épouser. " Mais Julien tout de suite se fâcha : " Ah ! tu sais, je ne veux pas entendre parler de cette histoire-là, moi. Tu as voulu garder cette fille, garde-la, mais ne m'embête plus à son sujet. " Il semblait, depuis l'accouchement, d'une humeur plus irritable encore ; et il avait pris cette habitude de ne plus parler à sa femme sans crier comme s'il eût été toujours furieux, tandis qu'au contraire elle baissait la voix, se faisait douce, conciliante, pour éviter toute discussion ; et souvent elle pleurait, la nuit, dans son lit. 7 55 Une vie Malgré sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d'amour oubliées depuis leur retour, et il était rare qu'il passât trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale. Rosalie fut bientôt guérie entièrement et devint moins triste, quoiqu'elle restât comme effarée, poursuivie par une crainte inconnue. Et elle se sauva deux fois encore, alors que Jeanne essayait de l'interroger de nouveau. Julien tout à coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait à de vagues espoirs, retrouvait des gaietés, bien qu'elle se sentît parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point. Le dégel n'était pas venu et depuis bientôt cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d'étoiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s'étendait sur la nappe unie, dure et luisante des neiges. Les fermes isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus ; seules les cheminées des chaumières révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l'air glacial. La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. De temps en temps, on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous leur écorce ; et parfois une grosse branche se détachait et tombait, l'invincible gelée pétrifiant la sève et rompant les fibres. Jeanne attendait anxieusement le retour des souffles tièdes, attribuant à la rigueur terrible du temps toutes les souffrances vagues qui la traversaient. Tantôt elle ne pouvait plus rien manger, prise de dégoût devant toute nourriture ; tantôt son pouls battait follement ; tantôt ses faibles repas lui donnaient des écoeurements d'indigestion ; et ses nerfs tendus, vibrant sans cesse, la faisaient vivre en une agitation constante et intolérable. Un soir le thermomètre descendit encore et Julien, tout frissonnant au sortir de table (car jamais la salle n'était chauffée à point, tant il économisait sur le bois), se frotta les mains en murmurant : " Il fera bon coucher deux cette nuit, n'est-ce pas, ma chatte ? " Il riait de son rire bon enfant d'autrefois, et Jeanne lui sauta au cou ; mais elle se sentait justement si mal à l'aise, ce soir-là, si endolorie, si étrangement nerveuse qu'elle le pria, tout bas, en lui baisant les lèvres, de la laisser dormir seule. Elle lui dit, en quelques mots, son mal : " Je t'en prie, mon chéri ; je t'assure que je ne suis pas bien. Ça ira mieux demain, sans doute. " Il n'insista pas : " Comme il te plaira, ma chère ; si tu es malade, il faut te soigner. " Et on parla d'autre chose. Elle se coucha de bonne heure. Julien, par extraordinaire, fit allumer du feu dans sa chambre particulière. Quand on lui annonça que " ça flambait bien ", il baisa sa femme au front et s'en alla. La maison entière semblait travaillée par le froid ; les murs pénétrés avaient des bruits légers comme des frissons ; et Jeanne en son lit grelottait. Deux fois elle se releva pour mettre des bûches au foyer, et chercher des robes, des jupes, des vieux vêtements qu'elle amoncelait sur sa couche. Rien ne la pouvait réchauffer, ses pieds s'engourdissaient, tandis 7 56

« Malgré sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d'amour oubliées depuis leur retour, et il était rare qu'il passât trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale.

Rosalie fut bientôt guérie entièrement et devint moins triste, quoiqu'elle restât comme effarée, poursuivie par une crainte inconnue.

Et elle se sauva deux fois encore, alors que Jeanne essayait de l'interroger de nouveau.

Julien tout à coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait à de vagues espoirs, retrouvait des gaietés, bien qu'elle se sentît parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point.

Le dégel n'était pas venu et depuis bientôt cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d'étoiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s'étendait sur la nappe unie, dure et luisante des neiges.

Les fermes isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche.

Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus ; seules les cheminées des chaumières révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l'air glacial.

La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid.

De temps en temps, on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous leur écorce ; et parfois une grosse branche se détachait et tombait, l'invincible gelée pétrifiant la sève et rompant les fibres.

Jeanne attendait anxieusement le retour des souffles tièdes, attribuant à la rigueur terrible du temps toutes les souffrances vagues qui la traversaient.

Tantôt elle ne pouvait plus rien manger, prise de dégoût devant toute nourriture ; tantôt son pouls battait follement ; tantôt ses faibles repas lui donnaient des écoeurements d'indigestion ; et ses nerfs tendus, vibrant sans cesse, la faisaient vivre en une agitation constante et intolérable.

Un soir le thermomètre descendit encore et Julien, tout frissonnant au sortir de table (car jamais la salle n'était chauffée à point, tant il économisait sur le bois), se frotta les mains en murmurant : " Il fera bon coucher deux cette nuit, n'est-ce pas, ma chatte ? " Il riait de son rire bon enfant d'autrefois, et Jeanne lui sauta au cou ; mais elle se sentait justement si mal à l'aise, ce soir-là, si endolorie, si étrangement nerveuse qu'elle le pria, tout bas, en lui baisant les lèvres, de la laisser dormir seule.

Elle lui dit, en quelques mots, son mal : " Je t'en prie, mon chéri ; je t'assure que je ne suis pas bien.

Ça ira mieux demain, sans doute.

" Il n'insista pas : " Comme il te plaira, ma chère ; si tu es malade, il faut te soigner.

" Et on parla d'autre chose.

Elle se coucha de bonne heure.

Julien, par extraordinaire, fit allumer du feu dans sa chambre particulière.

Quand on lui annonça que " ça flambait bien ", il baisa sa femme au front et s'en alla.

La maison entière semblait travaillée par le froid ; les murs pénétrés avaient des bruits légers comme des frissons ; et Jeanne en son lit grelottait.

Deux fois elle se releva pour mettre des bûches au foyer, et chercher des robes, des jupes, des vieux vêtements qu'elle amoncelait sur sa couche.

Rien ne la pouvait réchauffer, ses pieds s'engourdissaient, tandis Une vie 7 56. »

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