Une vie Jeanne, encore une fois, l'embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l'oreille : " Nous en aurons bien soin, va, ma fille.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Malgré sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d'amour oubliées depuis leur retour, et il
était rare qu'il passât trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale.
Rosalie fut bientôt guérie entièrement et devint moins triste, quoiqu'elle restât comme effarée, poursuivie par
une crainte inconnue.
Et elle se sauva deux fois encore, alors que Jeanne essayait de l'interroger de nouveau.
Julien tout à coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait à de vagues espoirs, retrouvait des
gaietés, bien qu'elle se sentît parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point.
Le dégel
n'était pas venu et depuis bientôt cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout
semé d'étoiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s'étendait sur la nappe unie,
dure et luisante des neiges.
Les fermes isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas,
semblaient endormies en leur chemise blanche.
Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus ; seules les cheminées
des chaumières révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l'air glacial.
La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid.
De temps en temps, on
entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous leur écorce ; et parfois
une grosse branche se détachait et tombait, l'invincible gelée pétrifiant la sève et rompant les fibres.
Jeanne attendait anxieusement le retour des souffles tièdes, attribuant à la rigueur terrible du temps toutes les
souffrances vagues qui la traversaient.
Tantôt elle ne pouvait plus rien manger, prise de dégoût devant toute nourriture ; tantôt son pouls battait
follement ; tantôt ses faibles repas lui donnaient des écoeurements d'indigestion ; et ses nerfs tendus, vibrant
sans cesse, la faisaient vivre en une agitation constante et intolérable.
Un soir le thermomètre descendit encore et Julien, tout frissonnant au sortir de table (car jamais la salle n'était
chauffée à point, tant il économisait sur le bois), se frotta les mains en murmurant : " Il fera bon coucher deux
cette nuit, n'est-ce pas, ma chatte ? "
Il riait de son rire bon enfant d'autrefois, et Jeanne lui sauta au cou ; mais elle se sentait justement si mal à
l'aise, ce soir-là, si endolorie, si étrangement nerveuse qu'elle le pria, tout bas, en lui baisant les lèvres, de la
laisser dormir seule.
Elle lui dit, en quelques mots, son mal : " Je t'en prie, mon chéri ; je t'assure que je ne
suis pas bien.
Ça ira mieux demain, sans doute.
"
Il n'insista pas : " Comme il te plaira, ma chère ; si tu es malade, il faut te soigner.
"
Et on parla d'autre chose.
Elle se coucha de bonne heure.
Julien, par extraordinaire, fit allumer du feu dans sa chambre particulière.
Quand on lui annonça que " ça flambait bien ", il baisa sa femme au front et s'en alla.
La maison entière semblait travaillée par le froid ; les murs pénétrés avaient des bruits légers comme des
frissons ; et Jeanne en son lit grelottait.
Deux fois elle se releva pour mettre des bûches au foyer, et chercher des robes, des jupes, des vieux
vêtements qu'elle amoncelait sur sa couche.
Rien ne la pouvait réchauffer, ses pieds s'engourdissaient, tandis Une vie
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