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V COMMENT IL FAUT GOUVERNER LES CITÉS OU MONARCHIES QUI, AVANT QU'ELLES

Publié le 01/10/2013

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V COMMENT IL FAUT GOUVERNER LES CITÉS OU MONARCHIES QUI, AVANT QU'ELLES FUSSENT CONQUISES, VIVAIENT SOUS LEURS LOIS Lorsque les pays qu'on acquiert, comme on a dit, sont accoutumés à vivre selon leurs lois et en liberté, pour les tenir il y a trois procédés : le premier, les détruire ; le deuxième, y aller habiter en personne ; le troisième, les laisser vivre selon leurs lois, en en tirant un tribut et en y créant un gouvernement oligarchique qui te conserve leur amitié. Car créé par ce prince, ce gouvernement sait qu'il ne peut durer sans son amitié et sa puissance, et doit tout faire pour le maintenir. Et l'on tient plus facilement une cité accoutumée à vivre libre par le moyen des citoyens eux-mêmes que d'aucune autre façon, si on veut l'épargner. Pour exemples il y a les Spartiates et les Romains. Les Spartiates tinrent Athènes et Thèbes en y créant un gouvernement oligarchique ; toutefois ils les reperdirent. Les Romains, pour garder Capoue, Carthage et Numance, les détruisirent et ne les perdirent pas. Ils voulurent tenir la Grèce quasi comme avaient fait les Spartiates, la mettant en liberté et lui laissant ses lois, et cela ne leur réussit pas ; de sorte que, pour la garder, ils furent contraints de détruire mainte cité du pays. C'est qu'en vérité il n'y a pas de moyen sûr de les posséder, hormis la destruction. Et qui devient maître d'une cité accoutumée à vivre libre et ne la détruit pas, qu'il s'attende à être détruit par elle ; toujours, en effet, elle a pour refuge, dans la rébellion, le nom de la liberté et ses anciennes institutions ; et c'est ce que ni la longueur du temps ni les bienfaits ne font jamais oublier. Quoi qu'on fasse, quelques précautions qu'on prenne, si l'on ne sépare ou disperse les habitants, ils n'oublient ni ce nom ni ces institutions et aussitôt, en toute occasion, ils y ont recours ; comme fit Pise après cent années qu'elle avait été mise en servitude par les Florentins. Mais quand les cités ou les pays sont accoutumés à vivre sous un prince, et que sa lignée soit éteinte, comme d'un côté ils ont l'habitude d'obéir, et que de l'autre ils n'ont plus leur ancien prince, ils ne s'entendent pas pour en choisir un dans leur sein, vivre libres ils ne savent ; de sorte qu'ils sont plus lents à prendre les armes ; et il est plus aisé à un prince de les gagner et de s'assurer d'eux. Mais dans les républiques, il y a plus de vie, plus de haine, plus de désir de vengeance, la mémoire de leur ancienne liberté ne les laisse ni ne peut les laisser en repos : si bien que la voie la plus sûre est de les détruire ou d'y habiter. VI DES MONARCHIES NOUVELLES QU'ON ACQUIERT PAR SES PROPRES ARMES ET PAR SES TALENTS Que nul ne s'étonne si, dans ce que je dirai ici des monarchies entièrement nouvelles -- celles où sont nouveaux et le prince et l'État --, je vais alléguer de très grands exemples. En effet, comme les hommes marchent presque toujours sur les chemins frayés par d'autres et procèdent dans leurs actions par i mitation, et qu'il n'est pas possible de se tenir tout à fait dans les voies d'autrui ni d'égaler le génie de ceux qu'on imite, l'homme sage doit toujours s'engager dans les voies frayées par des grands hommes et imiter ceux qui ont été tout à fait excellents, de façon que si son génie n'y peut parvenir, il en garde au moins quelque relent ; et faire comme les archers avisés qui, connaissant la force de leur arc, si le but qu'ils veulent frapper leur paraît trop éloigné, prennent leur visée beaucoup plus haut que le lieu fixé, non pour que leur flèche parvienne à une telle hauteur, mais pour que cette visée si haute leur permette d'atteindre le point désigné. Je dis donc que dans les monarchies entièrement nouvelles où il y a un prince nouveau, on trouve à les maintenir plus ou moins de difficultés, selon le plus ou moins de talent de celui qui les acquiert. Et comme ce fait -- d'homme privé, de devenir prince -- présuppose du talent ou de la chance, il semble que l'une ou l'autre de ces deux choses contribue à réduire une foule de difficultés : néanmoins, celui qui s'est le moins confié à la

« en effet, elle a pour refuge, dans la rébellion, le nom de la liberté et ses anciennes institutions ; et c'est ce que ni la longueur du temps ni les bienfaits ne font jamais oublier.

Quoi qu'on fasse, quelques précautions qu'on prenne, si l'on ne sépare ou disperse les habitants, ils n'oublient ni ce nom ni ces institutions et aussitôt, en toute occasion, ils y ont recours ; comme fit Pise après cent années qu'elle avait été mise en servitude par les Florentins.

Mais quand les cités ou les pays sont accoutumés à vivre sous un prince, et que sa lignée soit éteinte, comme d'un côté ils ont l'habitude d'obéir, et que de l'autre ils n'ont plus leur ancien prince, ils ne s'entendent pas pour en choisir un dans leur sein, vivre libres ils ne savent ; de sorte qu'ils sont plus lents à prendre les armes ; et il est plus aisé à un prince de les gagner et de s'assurer d'eux.

Mais dans les républiques, il y a plus de vie, plus de haine, plus de désir de vengeance, la mémoire de leur ancienne liberté ne les laisse ni ne peut les laisser en repos : si bien que la voie la plus sûre est de les détruire ou d'y habiter.. »

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