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Valéry : Poésie et prose

Publié le 29/03/2011

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On traite du poème comme s'il fût divisible (et qu'il dût l'être) en un discours de prose qui se suffise et consiste par soi; et d'autre part en un morceau d'une musique particulière, plus ou moins proche de la musique proprement dite, telle que la voix humaine peut la produire; mais la nôtre ne s'élève pas jusqu'au chant, lequel, du reste, ne conserve guère les mots, ne s'attachant qu'aux syllabes. Quant au discours de prose — c'est-à-dire : discours qui mis en d'autres termes remplirait le même office —, on le divise à son tour. On considère qu'il se décompose, d'une part, en un petit texte (qui peut se réduire parfois à un seul mot, ou au titre de l'ouvrage) et, d'autre part, à une quantité quelconque de parole accessoire : ornements, images, figures, épithètes, « beaux détails «, dont le caractère commun est de pouvoir être introduits, multipliés, supprimés ad libitum... Et quant à la musique de poésie, à cette musique particulière dont je parlais, elle est pour les uns imperceptible; pour la plupart négligeable; pour certains, l'objet de recherches abstraites, parfois savantes, généralement stériles. D'honorables efforts, je sais, ont été exercés contre les difficultés de cette matière; mais je crains bien que les forces n'aient été mal appliquées [...]. Les statistiques, les tracements sur la cire, les observations chronométriques que l'on invoque pour résoudre des questions d'origine ou de tendance toutes « subjectives « énoncent bien quelque chose ; — mais ici leurs oracles, loin de nous tirer d'embarras et de clore toute discussion, ne font qu'introduire sous les espèces et l'appareil du matériel de la physique toute une métaphysique naïvement déguisée. Nous avons beau compter les pas de la déesse, en noter la fréquence et la longueur moyenne, nous n'en tirons pas le secret de sa grâce instantanée. Nous n'avons pas vu, jusqu'à ce jour, que la louable curiosité qui s'est dépensée à scruter les mystères de la musique propre au « langage articulé « nous ait valu des productions d'importance nouvelle et capitale. Or, tout est là. Le seul gage du savoir réel est le pouvoir : pouvoir de faire ou pouvoir de prédire. Tout le reste est littérature... Variété, « Théorie poétique et esthétique « Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 1284-1285.

1. Au choix, à volonté.

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