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1 Paru dans Modernités, n°24, "L'irressemblance, Poésie et autobiographie", textes réunis et présentés par Michel Braud et Valéry Hugotte, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007.

Publié le 27/04/2016

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1 Paru dans Modernités, n°24, "L'irressemblance, Poésie et autobiographie", textes réunis et présentés par Michel Braud et Valéry Hugotte, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007. "Victor Hugo, l'auteur sans nom" Ludmila Charles-Wurtz (Université de Tours) L'espace autobiographique Si l'on s'en tient à la première définition de l'autobiographie que donne Philippe Lejeune dans Le Pacte autobiographique, Les Contemplations ne sont pas une autobiographie. Selon cette définition provisoire, une autobiographie est en effet un "récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité"1. Les Contemplations ne sont pas un récit en prose. Si l'on accorde foi au discours préfaciel, le recueil n'est pas même un récit rétrospectif : "Une destinée est écrite là jour à jour", écrit l'auteur de la préface, et les dates d'écriture qui figurent au bas des poèmes entretiennent la fiction de textes écrits au fil des ans, de 1830 à 1856. Mais le texte n'est pas pour autant un journal poétique : l'ordre chronologique n'est pas strictement respecté - à un poème daté d'"octobre 1842" (I, 1) succède un poème daté de "juin 1831" (I, 2) -, et l'organisation de la matière poétique en deux tomes et six livres retraçant "une destinée" est bien, elle, d'ordre rétrospectif. En réalité, les deux tiers des poèmes des Contemplations ont d'ailleurs été écrits en 1854 et 1855. Reste la question du récit. Pourquoi cette exclusion du vers ? Sans doute n'estelle pas étrangère à l'idée, née à la fin du XIXe siècle, que la poésie ne peut pas, ou plutôt ne doit pas raconter. Il s'agit bien d'un interdit d'ordre idéologique, et non d'un constat empirique : la poésie a, de fait, raconté pendant des siècles. On peut dès lors déplacer la question, et se demander si l'auteur de la préface des Contemplations considère son livre comme un récit. Il fournit, de ce livre, plusieurs définitions : ce sont "les Mémoires d'une âme ", "la vie d'un homme", "l'histoire de tous"2. Ces trois formules renvoient à des genres constitués, tous trois de l'ordre du récit rétrospectif : les mémoires, dont le narrateur raconte les événements auxquels il a participé ou dont il a été le témoin - et la "prétention" dont se défend Hugo est ici celle d'égaler les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand ; la biographie (la vie d'un homme) ; et l'ethnographie ou l'historiographie (l'histoire de tous). A ces premiers critères, Philippe Lejeune ajoute celui, déterminant, de l'identité entre l'auteur, le narrateur et le personnage principal du récit, dont l'un des indices est l'identité du nom. Philippe Lejeune définit le pacte autobiographique par l'affirmation dans le texte de cette identité, qui renvoie en dernier ressort au nom inscrit sur la couverture du livre. Qu'en est-il dans Les Contemplations ? Si le nom de Victor Hugo figure en toutes lettres sur la couverture de l'édition originale, il est réduit à ses initiales au bas de la préface et ne figure nulle part dans les poèmes, énoncés par un "je" anonyme. 1 Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Le Seuil, "Poétique", 1975, p. 14. Œuvres complètes, Laffont, "Bouquins", 1985, Tome "Poésie II", p. 249-250. Toutes nos références renverront désormais à cette édition. 2 2 Cependant, les dates et les lieux mentionnées dans le recueil établissent indirectement un pacte autobiographique : la préface, signée "V. H.", est datée de "Guernesey, mars 1856". Hugo est en effet expulsé de Jersey, son premier exil dans les îles anglonormandes, en octobre 1855, et s'installe alors à Guernesey, d'où il surveille à distance la publication des Contemplations. Or, le dernier poème du recueil, "A celle qui est restée en France", est daté, lui aussi, de "Guernesey, 2 novembre 1855, jour des Morts". Dans la mesure où l'énonciateur de ce poème ultime dédie le "livre" à "la morte", il se revendique comme son auteur, établissant ainsi l'identité du "je" poétique et de l'auteur des Contemplations. Deux poèmes d'"Aujourd'hui" sont, par ailleurs, datés de "Janvier 1856"3, tandis que la deuxième édition de Paris corrige, dans le sous-titre du tome "Aujourd'hui (1843-1855)", 1855 en 1856, de façon à faire coïncider fin du récit et publication. Enfin, Philippe Lejeune distingue les deux textes référentiels que sont l'autobiographie et la biographie par leur rapport respectif à la réalité : si la biographie doit viser l'exactitude (dans l'information), l'autobiographie exige la fidélité (à la signification). L'autobiographe prend l'engagement de s'en tenir, autant que possible, à la vérité - nécessairement subjective. C'est très précisément l'engagement pris par l'auteur de la préface des Contemplations, qui définit le livre comme "toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre". Le livre ne prétend pas décrire la réalité, mais l'expérience subjective qu'en a faite un moi. Dans la mesure, donc, où l'identité est le point de départ réel de l'autobiographie, et la ressemblance, l'impossible horizon de la biographie, Les Contemplations s'inscrivent bien dans un rapport d'"irressemblance" à la réalité biographique. Mais il est nécessaire, pour comprendre le pacte autobiographique bien particulier qu'établissent Les Contemplations, de tenir compte d'un élément décisif : il s'agit de la notoriété de Victor Hugo. Comme l'explique Philippe Lejeune, un auteur n'est pas, aux yeux des lecteurs, une personne : c'est une "personne-qui-écrit-et-quipublie", dont les lecteurs imaginent l'existence à partir de ses écrits. Philippe Lejeune avance d'ailleurs l'hypothèse que l'on ne devient véritablement un auteur qu'à partir du deuxième livre publié : aux yeux des lecteurs, la production antérieure d'autres textes, non autobiographiques, est un signe de réalité indispensable à la constitution de "l'espace autobiographique". Lorsque Hugo publie Les Contemplations en 1856, il ne fait aucun doute qu'il existe en tant qu'auteur. Il a, à cette date, déjà publié cinq romans, sept recueils poétiques et neuf pièces de théâtre. Sa notoriété n'est pas seulement littéraire : en 1845, Louis-Philippe le nomme Pair de France ; après la Révolution de février 1848, il est élu à l'Assemblée constituante, puis à l'Assemblée législative, et prononce des discours politiques qui marquent les esprits. Après s'être publiquement opposé au coup d'État du 2 décembre 1851, il est expulsé avec soixante-cinq autres députés, et devient la figure emblématique du proscrit et du républicain. Napoléon-le-Petit date de 1852, Châtiments, de 1853. Autant dire que, lorsque Les Contemplations paraissent, le public croit tout connaître de la vie de leur auteur. Il faut bien mesurer le poids de cette notoriété : elle est si grande que Hugo ne peut faire autrement qu'écrire malgré elle, voire contre elle. Dès 1835, dans la préface des Chants du crépuscule, il se défend par avance de la lecture biographiste du recueil à laquelle il sait devoir s'attendre : 3 Il s'agit de "Spes" (VI, 21), dont le manuscrit porte la date de janvier 1855, et des "Mages" (VI, 23), achevé en réalité en avril 1855. 3 ne laisse même subsister dans ses ouvrages ce qui est personnel que parce que c'est peut-être quelquefois un reflet de ce qui est général. Il ne croit pas que son individualité, comme on dit aujourd'hui en assez mauvais style, vaille la peine d'être autrement étudiée. Aussi, quelque idée qu'on veuille bien s'en faire, n'est-elle que très-peu clairement entrevue dans ses livres. L'auteur est fort loin de croire que toutes les parties de celui-ci en particulier puissent jamais être considérées comme matériaux positifs pour l'histoire d'un cœur humain quelconque. Il y a dans ce volume beaucoup de choses rêvées. 4

« 2 Cependant, les dates et les lieux mentionnées dans le recueil établissent indirectement un pacte autobiographique : la préface, signée "V.

H.", est datée de "Guernesey, mars 1856".

Hugo est en effet expulsé de Jersey, son premier exil dans les îles anglo - normandes, en octobre 1855, et s'installe alors à Guernesey, d'où il surveille à distance la publication des Contemplations .

Or, le dernier poème du recueil, "A celle qui est restée en Franc e", est daté, lui aussi, de "Guernesey, 2 novembre 1855, jour des Morts".

Dans la mesure où l'énonciateur de ce poème ultime dédie le "livre" à "la morte", il se revendique comme son auteur, établissant ainsi l'identité du "je" poétique et de l'auteur des Contemplations .

Deux poèmes d'"Aujourd'hui" sont, par ailleurs, datés de "Janvier 1856" 3, tandis que la deuxième édition de Paris corrige, dans le sous -titre du tome "Aujourd'hui (1843 -1855)", 1855 en 1856, de façon à faire coïncider fin du récit et public ation.

Enfin, Philippe Lejeune distingue les deux textes référentiels que sont l'autobiographie et la biographie par leur rapport respectif à la réalité : si la biographie doit viser l'exactitude (dans l'information), l'autobiographie exige la fidélité ( à la signification).

L'autobiographe prend l'engagement de s'en tenir, autant que possible, à la vérité - nécessairement subjective.

C'est très précisément l'engagement pris par l'auteur de la préface des Contemplations , qui définit le livre comme "toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre".

Le livre ne prétend pas décri re la réalité, mais l'expérience subjective qu'en a faite un moi. Dans la mesure, donc, où l'identité est le point de départ réel de l'autobiographie, et la ressemblance, l'impossible horizon de la biographie, Les Contemplations s'inscrivent bien dans un rapport d'"irressemblance" à la réalité biographique. Mais il est nécessaire, pour comprendre le pacte autobiographique bien particulier qu'établissent Les Contemplations , de tenir compte d'un élément décisif : il s'agit de la notoriété de Victor Hugo.

C omme l'explique Philippe Lejeune, un auteur n'est pas, aux yeux des lecteurs, une personne : c'est une "personne -qui -écrit -et-qui - publie", dont les lecteurs imaginent l'existence à partir de ses écrits.

Philippe Lejeune avance d'ailleurs l'hypothèse que l' on ne devient véritablement un auteur qu'à partir du deuxième livre publié : aux yeux des lecteurs, la production antérieure d'autres textes, non autobiographiques, est un signe de réalité indispensable à la constitution de "l'espace autobiographique". Lo rsque Hugo publie Les Contemplations en 1856, il ne fait aucun doute qu'il existe en tant qu'auteur.

Il a, à cette date, déjà publié cinq romans, sept recueils poétiques et neuf pièces de théâtre.

Sa notoriété n'est pas seulement littéraire : en 1845, Loui s-Philippe le nomme Pair de France ; après la Révolution de février 1848, il est élu à l'Assemblée constituante, puis à l'Assemblée législative, et prononce des discours politiques qui marquent les esprits.

Après s'être publiquement opposé au coup d'État d u 2 décembre 1851, il est expulsé avec soixante -cinq autres députés, et devient la figure emblématique du proscrit et du républicain.

Napoléon -le-Petit date de 1852, Châtiments , de 1853.

Autant dire que, lorsque Les Contemplations paraissent, le public cro it tout connaître de la vie de leur auteur.

Il faut bien mesurer le poids de cette notoriété : elle est si grande que Hugo ne peut faire autrement qu'écrire malgré elle, voire contre elle.

Dès 1835, dans la préface des Chants du crépuscule , il se défend pa r avance de la lecture biographiste du recueil à laquelle il sait devoir s'attendre : 3 Il s'agit de "Spes" (VI, 21), dont le manuscrit porte la date de janvier 1855, et des "Mages" (VI, 23), achevé en réalité en avril 1855.. »

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