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Vérité et mensonge du roman

Publié le 30/03/2012

Extrait du document

mensonge

Corpus :

Document 1 : Flaubert, Madame Bovary, 1857

Document 2 : frères Goncourt, Germinie Lacerteux, 1865

Document 3 : Zola, Germinal, 1885

Annexe : Zola, Lettre à Henry Céard, 1885

 

Question d’analyse (4 points) :

En quoi les extraits de romans proposés sont-ils réalistes ? Dans quelle mesure le réel y prend-il néanmoins une dimension symbolique ?

 

Travail d’écriture (16 points) :

Vous traiterez l’un des trois sujets suivants au choix :

 

Commentaire

Vous ferez le commentaire du texte de Flaubert (document 1).

 

Dissertation :

« Nous mentons tous plus ou moins « écrit Zola dans sa lettre à H. Céard. Selon vous, le roman peut-il montrer le réel avec vérité, ou est-il nécessairement un mensonge ?

Vous traiterez ce sujet de manière organisée, en vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres étudiées en classe, et vos lectures personnelles.

 

Ecriture d’invention :

Poursuivez le texte de Flaubert : un autre ouvrier agricole obtient un prix et monte sur l’estrade pour le recevoir. Décrivez ce personnage incarnant la fierté paysanne et portant un sentiment de révolte lié à ses conditions de vie misérables.

Vous garderez le registre du texte inducteur ainsi que la focalisation adoptée, et vous vous inspirerez de ses procédés.

 

 

Document 1 : Gustave Flaubert, Madame Bovary, partie II, chapitre 8, 1857

Monsieur Lieuvain, l’un des conseillers du préfet, prononce un discours-fleuve avant de remettre des prix et des médailles aux éleveurs ou aux serviteurs méritants, au cours de Comices agricoles qui se tiennent à Yonville. Il est entouré des notables locaux…

« Catherine-Nicaise-Elisabeth Leroux, de Sassetot-la-Guerrière, pour cinquante-quatre ans de service dans la même ferme, une médaille d’argent – du prix de vingt-cinq francs ! «

« Où est-elle, Catherine Leroux ? « répéta le Conseiller.

Elle ne se présentait pas, et l’on entendait des voix qui chuchotaient:

- Vas-y !

- Non.

- A gauche !

- N’aie pas peur!

- Ah! Qu’elle est bête !

- Enfin y est-elle ? s’écria Tuvache[1].

- Oui! ... la voilà !

- Qu’elle approche donc !

Alors on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d’un béguin[2] sans bordure, était plus plissé de rides qu’une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies, qu’elles semblaient sales quoiqu’elles fussent rincées d’eau claire ; et, à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies. Quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure. Rien de triste ou d’attendri n’amollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d’honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.

- Approchez, vénérable Catherine-Nicaise-Elisabeth Leroux! dit M. Le Conseiller, qui avait pris des mains du président la liste des lauréats. Et, tour à tour examinant la feuille de papier puis la vieille femme, il répétait d’un ton paternel :

- Approchez, approchez !

- Etes-vous sourde ? dit Tuvache, en bondissant sur son fauteuil.

Et il se mit à lui crier dans l’oreille :

- Cinquante-quatre ans de service ! Une médaille d’argent ! Vingt-cinq francs ! C’est pour vous.

Puis quand elle eut sa médaille, elle la considéra. Alors un sourire de béatitude se répandit sur sa figure, et on l’entendit qui marmottait en s’en allant :

- Je la donnerai au curé de chez nous, pour qu’il me dise des messes.

- Quel fanatisme ! s’exclama le pharmacien, en se penchant vers le notaire[3].

La séance était finie; la foule se dispersa; et maintenant que les discours étaient lus, chacun reprenait son rang et tout rentrait dans la coutume: les maîtres rudoyaient les domestiques, et ceux-ci frappaient les animaux, triomphateurs indolents qui s’en retournaient à l’étable, avec une couronne verte entre les cornes.

Document 2 : Edmond et Jules de Goncourt, Germinie Lacerteux, chapitre XXXI, 1865

Germinie Lacerteux, une jeune domestique, tombe amoureuse d’un voisin, Jupillon, pour qui elle s’endette et sombre peu à peu dans la misère.

De huit jours, Germinie ne remit pas les pieds dans la boutique.

Les Jupillon, ne la voyant pas revenir, commençaient à désespérer. Enfin, un soir, sur les dix heures et demie, elle poussa la porte, entra sans dire bonjour ni bonsoir, alla à la petite table où étaient assis la mère et le fils à demi sommeillants, posa sous sa main, fermée avec un serrement de griffe, un vieux morceau de toile qui sonna.

-Voilà! fit-elle.

Et lâchant les coins du morceau de toile, elle répandit ce qui était dedans : il coula sur la table de gras billets de banque recollés par derrière, rattachés avec des épingles, de vieux louis à l'or verdi, des pièces de cent sous toutes noires, des pièces de quarante sous, des pièces de dix sous, de l'argent de pauvre, de l'argent de travail, de l'argent de tirelire, de l'argent sali par des mains sales, fatigué dans le porte-monnaie de cuir, usé dans le comptoir plein de sous, - de l'argent sentant la sueur. Un moment, elle regarda tout ce qui était étalé comme pour se convaincre les yeux ; puis avec une voix triste et douce, la voix de son sacrifice, elle dit simplement à Mme Jupillon :

-Ça y est... C'est les deux mille trois cents francs... pour qu'il se rachète[4]...

-Ah! ma bonne Germinie! fit la grosse femme en suffoquant sous une première émotion ; et elle se jeta au cou de Germinie qui se laissa embrasser. Oh! vous allez prendre quelque chose avec nous, une tasse de café...

-Non, merci, dit Germinie, je suis rompue... Dame! j'ai eu à courir, allez, pour les trouver... Je vais me coucher... Une autre fois...

Et elle sortit.

Elle avait eu «à courir«, comme elle disait, pour rassembler une pareille somme, réaliser cette chose impossible : trouver deux mille trois cents francs, deux mille trois cents francs dont elle n'avait pas les premiers cinq francs! Elle les avait quêtés, mendiés, arrachés pièce à pièce, presque sou à sou. Elle les avait ramassés, grattés ici et là, sur les uns, sur les autres, par emprunts de deux cents, de cent francs, de cinquante francs, de vingt francs, de ce qu'on avait voulu. Elle avait emprunté à son portier, à son épicier, à sa fruitière, à sa marchande de volaille, à sa blanchisseuse; elle avait emprunté aux fournisseurs du quartier, aux fournisseurs des quartiers qu'elle avait d'abord habités avec mademoiselle[5]. Elle avait fait entrer dans la somme tous les argents, jusqu'à la misérable monnaie de son porteur d'eau. Elle avait quémandé partout, extorqué humblement, prié, supplié, inventé des histoires, dévoré la honte de mentir et de voir qu'on ne la croyait pas. L'humiliation d'avouer qu'elle n'avait pas d'argent placé, comme on le croyait et comme par orgueil elle le laissait croire, la commisération[6] de gens qu'elle méprisait, les refus, les aumônes, elle avait tout subi, essuyé ce qu'elle n'aurait pas essuyé pour trouver du pain, et non une fois auprès d'une personne, mais auprès de trente, de quarante, auprès de tous ceux qui lui avaient donné ou dont elle avait espéré quelque chose.

Enfin cet argent, elle l'avait réuni ; mais il était son maître et la possédait pour toujours.

 

 

Document 3 : Emile Zola, Germinal, partie V, chapitre 5, 1885

Pendant la grève, des bourgeois en promenade, qui font halte dans une ferme pour boire du lait, voient passer, réfugiés derrière la porte de l’étable, la horde des mineurs.

Les femmes avaient paru, près d’un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d’enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l’agitaient, ainsi qu’un drapeau de deuil et de vengeance. D’autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots[7], des haveurs[8], des raccommodeurs[9], une masse compacte qui roulait d’un seul bloc, serrée, confondue, au point qu’on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant La Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l’étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d’un couperet de guillotine.

— Quels visages atroces ! balbutia Mme Hennebeau.

Négrel dit entre ses dents :

— Le diable m’emporte si j’en reconnais un seul ! D’où sortent-ils donc, ces bandits-là ?

Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs[10] de Montsou. À ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons, d’un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

Oh ! superbe ! dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.

Elles s'effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Mme Hennebeau, qui s'était appuyée sur une auge. L'idée qu'il suffisait d'un regard entre les planches de cette porte disjointe, pour qu'on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d'ordinaire, saisi là d'une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvantes qui soufflent de l'inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.

C’était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. (…)

 

Annexe : Emile Zola, Lettre à Henry Céard, 1885

Zola écrit ici à Henry Céard, qui a publié une étude sur Germinal dans un journal. Voici un extrait de cette lettre.

Le second point, c'est mon tempérament lyrique, mon agrandissement de la vérité. Vous savez ça depuis longtemps, vous. Vous n'êtes pas stupéfait, comme les autres, de trouver en moi un poète. J'aurais aimé seulement vous voir démonter le mécanisme de mon œil. J'agrandis, cela est certain ; mais je n'agrandis pas comme Balzac, pas plus que Balzac n'agrandit comme Hugo. Tout est là, l'œuvre est dans les conditions de l'opération. Nous mentons tous plus ou moins, mais quelle est la mécanique et la mentalité de notre mensonge ? Or - c'est ici que je m'abuse peut-être - je crois encore que je mens pour mon compte dans le sens de la vérité. J'ai l'hypertrophie[11] du détail vrai, le saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte. La vérité monte d'un coup d'aile jusqu'au symbole.


[1] Président des Comices.

[2] Béguin : bonnet

[3] Le pharmacien et le notaire se veulent voltairiens.

[4] pour qu’il se rachète : pour éviter d’effectuer son service militaire, on pouvait alors « acheter « un remplaçant.

[5] mademoiselle : mademoiselle de Varandeuil, la vieille aristocrate qui emploie Germinie.

[6] commisération : pitié.

[7] galibot : jeune manœuvre employé au service des voies dans les houillères.

[8] haveur : mineur qui entaille les roches

[9] raccommodeur : ouvrier chargé de l'entretien des voies de roulage

[10] houilleur : ouvrier qui travaille dans une mine de houille.

[11] hypertrophie : développement excessif, anormal, exagéré.

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