XLV -- Si on chantait ?
Publié le 30/10/2013
Extrait du document
«
Il
yavait quelqu’un, eneffet, paisiblement plantésurlebas-côté delaroute, pouce tenduenun geste parfaitement
inconcevable endepareilles circonstances.
Nuldoute qu’ilgoûtait l’humour delasituation, carilarborait unlarge sourire.
De race blanche, lamine franche, maisvêtucomme unvagabond.
Saphysionomie disaitquelque choseàtout lemonde.
— Vous m’emmenez, moncolonel ? demanda-t-il simplementcommesila réponse allaitdesoi.
— Et oùallez-vous, monbrave, àcette heure matinale ? fitlecolonel, entrantdanslejeu.
— Oh ! moi !Depuis letemps quejevous cherche, maintenant quejevous aitrouvé, jene suis pasdifficile.
Jevais où
vous allez.
Vousêtesbien lecolonel Constantin Dragasès,n’est-cepas,chef d’état-major del’armée etcommandant en
chef desforces del’ordre pourtoute larégion duMidi ?
Il avait unpetit airdeseficher dumonde, endisant celad’un tonsolennel, quiplut immédiatement.
Onlesentait déjà
malicieusement complice.D’ailleurs, tousl’avaient reconnu,malgrélabarbe quiluimangeait levisage.
Unephoto pleine
page àla une desjournaux, celanes’oublie pasfacilement, surtoutsil’on seremémore lacollection d’épithètes
vengeresses quil’accompagnait.
Dragasèsenchaîna, surlemême registre, stylevisite officielle, às’y méprendre :
— Monsieur leministre, jevous présente lecapitaine LucNotaras, denationalité grecque,commandant lecargo île
de
Naxos.
Vous
voussouvenez ?
— L’homme auxmains rouges, précisaNotaras avecunpetit sourire modeste.
Lecargo sanguinaire.
Legénocide desîles
Laquedives.
— Cela vadesoi, approuva leministre.
Jolipalmarès.
Mesfélicitations.
Jeconnais mesclassiques : nousneserons jamais
des Notaras ! etc.Ondirait quecent ansontpassé.
N’étiez-vous pasenprison ?
— À lacentrale d’Aix,monsieur leministre.
Etpuis, samedi, plusdegardiens ! Envolés,toutesportes ouvertes.
J’ai
marché aucanon.
Maispasdecanon.
Jem’en doutais.
D’enhaut,jevous aivus filer parici.Alors jeme suis ditquelle
veine ! ilsvont meprendre enstop.
— Eh bien !montez ! ditlesecrétaire d’État,quis’amusait beaucoup.
Jene sais sima condition degauleiter duMidi
comporte l’usagedudroit degrâce, maisétant donné lescirconstances, vousêtesgracié.
Ministre delaMarine, celavous
plairait ?
— Vous avezunemarine, monsieur leministre ?
Il faisait minedechercher autourdelui, comme quelqu’un quiaperdu quelque chose.
— Non, évidemment.
Quelleimportance ! Lecolonel n’aplus d’armée, ousipeu.
Moi, jen’ai plus deterritoire.
Onpeut
enfin seprendre ausérieux.
C’estmaintenant quetout commence àsignifier vraiment quelquechose.
— Je croisquej’aicompris, ditNotaras.
Est-cequejepeux jouer avecvous ?
Adopté àgrandes claquesamicales dansledos, serrant toutesceslarges mains quisetendaient, intronisésurlechamp
hussard d’honneur deChamborant etcommando demarine honoris
causa, Notaras
rejoignit lechoeur desdouze, dansle
camion.
Unebande decopains suruncoup fumant ! Apparemment, cen’était pasplus compliqué quecela...
À l’entrée duVillage, ilsmirent piedàterre.
Dragasès divisasapetite troupe endeux.
Unemoitié déployée autourdu
camion, lequelfutbaptisé pourl’occasion « basestratégique » – ce
qui contribua àmaintenir lemoral auniveau dela
franche hilarité–sous lecommandement ducapitaine decommando, aveclamitrailleuse enbatterie surunpetit tumulus
car lehasard, prisd’une crisedelogique, avaitvoulu quelesmeilleurs anglesdetirrassemblent leurspointes enfaisceau
juste aupied d’un calvaire duXVI e
.
L’autre moitié,bombardée « colonnemobile »,avecNotaras, JeanPerret etlecolonel,
en deux lignes detrois hommes, dites« tenailles », éparpilléesentirailleurs, pourexplorer leVillage selonlesrègles dela
guérilla urbaine.
Progressant parbonds, comme aucinéma, jetecouvre tupasses tume couvres jepasse, jusqu’à unpetit
escalier decinq marches auflanc d’une terrasse, ilsenétaient arrivés àla conclusion queleVillage, commeprévu,
n’abritait plusunêtre humain, lorsqu’une voixmoqueuse, au-dessusd’eux,laissatomber gaiement :
— Est-ce quevous êtesenmanoeuvre, ouquoi ? D’icic’esttrèsinstructif àregarder, maisparfaitement inutile.Vousne
trouverez personned’autrequemoi.
Levant lenez, Dragasès aperçutunvieux monsieur àcheveux blancs,quiportait vestedetoile etcravate àpois rouges,
tranquillement accoudéàson balcon comme s’ilrespirait l’airfrais aumatin d’unepaisible journéedeprintemps.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
— Calguès, professeuragrégédelittérature françaiseenretraite.
— Mais qu’est-ce quevous faites là ?Bon Dieu !
Sincèrement étonné,levieux professeur.
Peiné,même, qu’onpûtluiposer pareille question !
— Je suischez moi,moncolonel ! Toutsimplement.
— Tout simplement ! Toutsimplement ! Vousnevoulez pasmefaire croire quevous nesavez riendecequi sepasse ?
— Oh ! Jesais tout, ditlevieillard.
J’aitout vu.
Il montrait unelongue-vue, suruntrépied, àcôté delui.
— Et c’esttoutl’effet quecela vous fait !
— Je meplais bien, chezmoi.Pourquoi m’enirais-je ? Àmon âge,onn’aime plusbeaucoup lechangement.
Tout celad’un airgoguenard, commeNotaras, toutàl’heure, maisenfinesse.
Iln’en revenait pas,lecolonel ! Unebouffée
d’air pur,cebonhomme !
— C’est unetrèsbonne longue-vue, continualevieux monsieur.
Ellegrossit plusdesept fois.
Àsix heures, cematin, dans
le jardin devotre villa,vousavezfaitungeste.
Vousavezdésigné monvillage etmoi, j’aitout desuite compris.
Plustard,
je vous aicomptés, quandvousgrimpiez dansvotre camion.
Douze.
— Treize, précisalecolonel, depuisl’avant-dernier virage.Etmaintenant quatorze,ajouta-t-il ensouriant..
»
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