LE CHOC DU FUTURISME

«Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques! [...] Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte : les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes. (...) Viennent les bons incendiaires aux doigts carbonisés (...) et boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques, détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées ! »

Aussi surprenant que cela paraisse, ce n'est pas dans un brûlot anarchiste qu’est publié ce texte explosif: il s’étale le 20 février 1909 à la une du Figaro l Ce premier Manifeste du futurisme va servir de code au mouvement esthétique le plus radical des années dix: mieux, pour la première fois dans l'histoire, un groupe d’artistes et de poètes va tenter, ex nihilo, de faire œuvre commune à partir de slogans qui préfigurent dans tous les domaines leur action future. Car le romantisme, le symbolisme, l'impressionnisme, l'expressionnisme ou le cubisme n'avaient été que des termes critiques servant à définir et théoriser a posteriori les convergences entre des créateurs souvent très éloignés les uns des autres. En signant ce manifeste, le poète Filippo Tommaso Marinetti joue son va-tout, édictant avec une précision prophétique les règles d’un mouvement qui n’existe pour l’heure que dans son indignation. Marinetti ne connaît même pas ses futurs compagnons de révolte et son appel n'est encore qu’une vision démiurgique née d’un moment de lyrisme messianique:

«Nous avions veillé toute la nuit, mes amis et moi, sous des lampes de mosquée dont les coupoles de cuivre aussi ajourées que notre âme avaient pourtant des cœurs électriques. Et tout en piétinant notre native paresse sur d’opulents tapis persans, nous avions discuté aux frontières extrêmes de la logique et griffé le papier de démentes écritures. (...) Le visage masqué de la bonne boue des usines, pleine de scories de métal et de suie céleste, portant nos bras foulés en écharpe parmi la complainte des sages pêcheurs à la ligne et des naturalistes navrés, nous dictâmes nos premières volontés à tous les hommes vivants de la Terre :

1. Nous voulons chanter l’amour du danger, l’habitude de l’énergie et de la témérité.

2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l’audace et la révolte.

3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.»

Entre deux mots, Marinetti a beaucoup hésité et finalement choisi le moindre, puisqu'il a préféré «futurisme» à «dynamisme». Ce dernier terme eût pourtant mieux défini l’apport fondamental du mouvement dans le domaine plastique. Car le manifeste poursuit:

«Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse.