Le fauvisme (Histoire de la peinture)
Publié le 16/11/2018
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On est loin, ici, du fini des peintres académiques : les impressionnistes et les pointillistes confient en fait une partie du «travail» au spectateur, qui, en une opération mentale instantanée, reconstitue la forme, l'interprète et achève ainsi lui-même le tableau. Ces peintres tentent d’abord de frapper l'œil, de lui communiquer une émotion peut-être plus vive encore que celle qu'il ressentirait devant l'objet, sans doute parce que le spectateur est amené à prendre à sa charge une partie du lien entre le tableau et l'objet. Il est partie prenante d’une peinture qui ne tente plus d'imiter la nature, mais la révèle.
Autre héritier de l'impressionnisme, Paul Gauguin apparaît lui aussi comme un maître : à la fin des années 1880, entraînant à sa suite ses disciples nabis, il expérimente une façon de peindre rompant radicalement avec les conventions de la représentation. Les impressionnistes et les pointillistes décomposent la couleur, mais ils ne s'éloignent de la réalité que pour amener le spectateur à y revenir. Gauguin, pour sa part, choisit délibérément d'utiliser des couleurs différentes de ce qu'il voit, et il les applique de telle sorte que cette
REJET DE LA PERSPECTIVE, GOUT PASSIONNE POUR LA COULEUR
Tout commence par un mot d'esprit. Faisant la chronique du Salon d'automne 1905, le critique Louis Vauxcelles décrit comme une «cage aux fauves» la salle où sont exposées les toiles de quelques jeunes peintres encore inconnus : Matisse (Autoportrait, 1918), Vlaminck, Derain... Hésitant entre le rire et la colère, les spectateurs pousseraient de véritables rugissements. Les peintres, par goût de la provocation, reprennent la formule pour en faire l'étendard de leur jeune école. Trente ans après les impressionnistes, c'est à nouveau dans la moquerie et l'insulte qu'est lancé un nouveau mouvement esthétique. Celui-ci ne durera guère plus de deux ou trois ans, mais constitue un moment clé de l’histoire de l’art, ouvrant la voie à la grande expérience moderne, et au cubisme au premier chef. Matisse, Vlaminck, Derain sont bientôt rejoints par Van Dongen Braque, Marquet, Dufy et quelques autres, qui se retrouvent dans le même rejet des règles classiques, la perspective en particulier, et le même goût passionné pour la couleur.
AUX ORIGINES, LA MANIÈRE LARGE
Si le fauvisme a pu paraître à ses débuts comme une sorte d'aberration esthétique, il s'inscrit en réalité dans une histoire de l’art devenue parfaitement lisible avec le temps, et on peut le considérer comme une étape presque logique.
Les fauves seraient en quelque sorte le chaînon manquant entre d'une part l'impressionnisme et ses dérivés et, d'autre part, l'explosion cubiste et abstraite du début du XXe siècle. Ce qui n'enlève rien aux qualités personnelles des jeunes artistes, ni à l'intérêt propre du mouvement; mais, pour être compris, il doit être remis en perspective.
Aux origines, donc, on trouve une façon de peindre aussi ancienne que la peinture et que l'on appelle habituellement la «manière large» : il s'agit, à l'instar d'un Delacroix ou d'un Van Gogh, de privilégier les grands coups de pinceau, en comptant sur le recul pris par le spectateur pour que la toile devienne compréhensible. Cette technique prend au XIXe siècle un sens tout particulier, quand la photographie commence à concurrencer la peinture. Les peintres se rendent compte que dans le fini, la représentation à l'identique, les détails, ils ne pourront pas faire aussi bien que les photographes, et ils orientent dès lors leurs efforts vers ce qui apparaît vite comme le domaine propre de la peinture : la couleur.
LES PRÉCURSEURS
Les fauves sont les héritiers directs des impressionnistes. Monet, Renoir et leurs amis s'éloignent de l'académisme au profit d'une rapidité d'exécution qui va de pair avec le choix de peindre sur le motif, en plein air, et en usant d'une technique révolutionnaire : ils couvrent la toile de petites taches qui, prises une à une, ne représentent rien, mais s'assemblent comme par magie dès
Kees Van Dongen (1877-1968)
Rejoignant le groupe dès 1905, Van Dongen est sans doute de tous ses membres celui qui restera le plus longtemps fidèle à l'esthétique du fauvisme. Il est aussi, avec Matisse, celui qui eut le plus de succès sur le marché de l'art. Avant de se spécialiser dans le portrait, il a donné quelques tableaux mémorables, comme Le Châle espagnol (1913). Il reste également comme celui qui, exposant en Allemagne dès 1908, a permis aux fauves de se faire connaître des artistes de Die Briicke, contribuant ainsi à la naissance de l'expressionnisme. Il partage par ailleurs avec les expressionnistes un goût marqué pour les corps contrefaits (Danseuse borgne, 1905) et pour les poses provocantes, ce qui lui vaudra un succès de scandale qu'il saura convertir en succès mondain. (La Gitane, 1910.)
«
Paris
apparaît comme le lieu d'élection
d'une modernité internationale qui,
jusqu'à la Seconde Guerre mondiale,
prend ses quartiers entre Montmartre
et la Closerie des Lilas.
A la suite des nabis, les fauves
découvrent les vertus d'une certaine
naïveté artistique, des affiches en
bichromie aux assiettes peintes.
La maladresse des artisans et des
décorateurs, leur absence de goût sont
riches de surprises et d'alliances
inédites.
Nul hasard si Matisse, par
exemple, s'intéresse de très près aux
papiers peints, dont Braque, dans sa
période cubiste, exploitera lui aussi les
étonnantes virtualités esthétiques.
Les moqueries des débuts cèdent assez
vite la place à un certain respect des
critiques, dans un contexte marqué par
l'évolution rapide des formes et des
styles, et où même les impressionnistes
qui dominent alors la scène parisienne
continuent à faire évoluer leur style.
�ambition des fauves, dans ces années
de création commune, reste toutefois
de frapper le spectateur, d'étonner,
voire de choquer.
A ce titre, leur
surnom n'est pas usurpé, et les
couleurs étonnantes des visages de Van
Dongen et de Rouault, le dessin de plus
en plus schématique de Matisse, les
aplats presque géométriques de Braque
continuent aujourd'hui à retenir
l'attention des amateurs les plus blasés.
Le travail de la forme et celui de la
couleur ne sont pourtant pas de même
nature.
Très vite, il apparaît que les
coloristes purs, comme Van Dongen ou
Rouault, se distinguent de leurs
camarades plus attachés à renouveler
l'art du dessin.
C'est le cas de Dufy,
notamment, mais aussi de Matisse,
même si celui-ci est sans doute de tous
celui qui pousse l'expérience le plus
loin dans les deux directions.
C'est Matisse qui, poursuivant son
évolution personnelle, va le premier
s'éloigner d'un mouvement dont il était
apparu comme la principale figure.
Vers
1908, il commence à ressentir le besoin
de « remettre de l'ordre dans la
sensation colorée».
A l'émotion
presque violente de sa période fauve,
succèdent des toiles plus apaisées :
équilibre, pureté et tranquillité sont
désormais les grandes lignes d'une
esthétique personnelle dans laquelle le
fauvisme apparaît a posteriori comme
un moment de libération.
Avec Matisse,
ce sont l'ensemble des fauves qui se
détachent alors d'une école qui se
révèle en fin de compte avoir été
une matrice incomparable pour le
développement de leur talent.
GRANDES FIGURES
ET PETITS MAÎTRES
GEORGES BRAQUE (1882-1963)
Son nom est lié au cubisme, mais c'est
avec le fauvisme que Braque débute sa
carrière.
Tout commence en Provence,
où il voyage en 1906 et 1907 avec
Othon Friesz.
Le Port de l'Estaque (1906)
manifeste bien comment la
leçon du fauvisme lui permettra par la
suite de participer à l'invention du
cubisme.
Le libre jeu des grands aplats
de couleurs pures laisse déjà deviner la
passion pour la construction qui
définira le cubisme de Braque.
Le
fauvisme est ici l'étape indispensable
d'une libération des formes, qui passe
en particulier par l'abandon de la
perspective.
ANDRÉ DERAIN
Dès 1903, cet ami de Vlaminck et
Matisse donne avec Le Bal des soldats
une première esquisse de ce qui
deviendra le fauvisme :couleurs
franches largement étalées, prenant le
pas sur le dessin (Arbres à l'Estaque,
1906) à la façon de Van Gogh.
Il connaîtra lui aussi l'influence du Sud,
où il voyage avec Matisse en 1905.
Sur le plan stylistique, le fauvisme
apparaît chez lui comme une étape,
son tempérament le portant à
assourdir les couleurs et à travailler
davantage le modelé (Baigneuse,
1908).
Il expérimentera, au fil du
temps, des formules assez variées et,
à l'instar de Dufy, se consacrera
volontiers à l'art de l'illustration.
RAOUL DUFY (1877-1953)
C'est par Friesz que Dufy fait la
connaissance de Matisse, dont il subit
directement l'influence.
Usant de
couleurs violentes appliquées par
grands aplats, il peint des foules
{14-Jui//et, 1906) et des scènes
nautiques, un genre auquel il restera
fidèle (Port, 1908).
De son passage
par le fauvisme, Dufy retiendra le goût
des couleurs pures, l'amour de la
lumière, la liberté du trait.
Son art
évolue vers une toujours plus grande
économie de moyens et trouve son
style dans une dissociation entre le
dessin et la couleur, celle-ci traitée en
aplats, celui-ci vif et allègre (les Nus
de 1928).
Ce graphisme léger fera de Dufy un
illustrateur apprécié des amateurs.
Il représente ainsi la voie la plus
lumineuse et la plus joyeuse ouverte
par le fauvisme, à l'opposé de
l'itinéraire plus sombre d'un Georges
Rouault.
OTHON
fRIESZ (1879-1949)
En dépit de son nom, Friesz est français.
Héritier des impressionnistes, c'est aux
leçons de Van Gogh et de Gauguin qu'il
va puiser les ressources qui lui
permettront de trouver sa voie.
Son
Portrait de Fernand Fleuret (1907) est
un exemple classique de la manière
fauve de peindre le visage : couleurs
ahurissantes, mépris des formes,
incroyable présence, pourtant.
Le
fauvisme n'est néanmoins qu'une étape
pour Friesz, qui, en même temps que
Matisse, vers 1908, éprouve le besoin
de constructions plus équilibrées.
Sa
palette s'assourdit; le jeu des formes
et des volumes se fait plus subtil; le
paysage l'emporte sur les portraits, et
c'est sous le signe de Cézanne qu'il
poursuivra désormais son parcours.
(La Côte de Grâce, 1906.)
ROGER DE lA fRESNAYE (1885·1925)
C'est par les nabis Sérusier et Maurice
Denis que La Fresnaye vient au
fauvisme.
Il partage quelques
expositions avec le groupe, sans jamais
pourtant s'y rattacher officiellement;
plus tard, il pratiquera le même
compagnonnage un peu distant avec
les cubistes.
Sa peinture des années
1905-1910 est pourtant très proche
de celle d'un Matisse : couleurs vives,
grands aplats comme taillés dans
la couleur (L'Artillerie, 1910).
Mais il
devance ses camarades en s'intéressant
très vite davantage à l'équilibre des
formes, au détriment de l'expressivité :
c'est ce qui l'amène, avec Braque, à se
rapprocher de Picasso et du cubisme.
(Nature morte au diabolo, 1913.)
ALBERT MARQUET (1875-1947)
Ami de Matisse dont il fait le portrait en
1904, ainsi que de Dufy avec lequel
il voyage, Marquet est lui aussi passé
par l'atelier de Gustave Moreau, même
si parmi ses influences figurent aussi
Cézanne et Bonnard.
Dans sa période
fauve, il peint essentiellement des
visages aux traits torturés, des nus
déformés.
Maître de la simplification,
il a eu sur ses camarades une grande
influence, incarnant la leçon des nabis
et des maîtres japonais : fluidité du
dessin, équilibre des masses, harmonie
de la couleur.
Il s'oriente rapidement vers
la peinture de paysage (Quai des
Grands-Augustins, 1906), trouvant dans
ce sud du Sud qu'est l'Algérie une
émotion esthétique qui amènera
Matisse à se fixer pour un temps au
Maroc (Ghardaïa, 1921).
HENRI MATISSE (1869-1954)
S'il est très vite considéré comme le
chef du groupe, c'est aussi qu'il en est
l'aîné.
Avec Luxe, Calme et Volupté
(1905), inspiré du divisionnisme de
Signac, Matisse donne au fauvisme son
programme : une peinture sensuelle,
aux couleurs riches et contrastées, à la
luminosité méridionale, qui va trouver
son plein épanouissement dans Le Luxe
(1907).
Influencé par Cézanne, dont il
retient le travail sur la lumière et la
simplification des volumes, Matisse
construit son œuvre sur un travail
complexe, mettant en jeu à la fois la
couleur et le dessin.
La couleur est
traitée sans «valeurs» (c'est-à-dire sans
nuance), sans modelé, et il en viendra
même dans ses dernières toiles
(Papiers découpés) à user de collages.
Le dessin se simplifie, la ligne se fait de
plus en plus fluide, tout en
s'épaississant et en se déformant
(Odalisque à la culotte rouge, 1907).
que Rouault rencontre Matisse.
11
participe aux principales expositions
des fauves mais se distingue des autres
membres du groupe par l'importance
qu'il accorde au sujet représenté :une
humanité déchue (L'Ivrognesse, 1905;
Cabotins, 1905), dont l'aspect misérable
annonce la quête de spiritualité qui fera
l'essentiel de l'œuvre de Rouault, l'un
des rares peintres religieux du xx< siècle.
Dessin sommaire, grande expressivité,
déformation des visages (Clowns,
1906, Les Juges, 1908) ont amené les
critiques à le rapprocher des
expressionnistes allemands.
Parmi les
fauves, il se détache par son goût pour
les couleurs sombres.
Km VAN DONGEN (1877-1968)
Rejoignant le groupe dès 1905,
Van Dongen est sans doute de tous ses
membres celui qui restera le plus
longtemps fidèle à l'esthétique du
fauvisme.
Il est aussi, avec Matisse,
celui qui eut le plus de succès sur le
marché de l'art.
Avant de se spécialiser
dans le portrait, il a donné quelques
tableaux mémorables, comme Le Châle
espagnol (1913).
Il reste également
comme celui qui, exposant en
Allemagne dès 1908, a permis aux
fauves de se faire connaître des artistes
de Die Brücke, contribuant ainsi à
la naissance de l'expressionnisme.
Il partage par ailleurs avec les
expressionnistes un goût marqué pour
les corps contrefaits (Danseuse borgne,
1905) et pour les poses provocantes, ce
qui lui vaudra un succès de scandale
qu'il saura convertir en succès
mondain.
(La Gitane, 1910.)
MAURICE DE VLAMINCK (1876·1958)
Peintre amateur à ses débuts, homme
aux multiples talents, Vlaminck doit à
la rencontre d'André Derain (1900) de
s'être consacré à la peinture (Portrait
d'André Derain, 1905).
S'il ne
rencontre Matisse qu'en 1907, il est,
dès la naissance du groupe, de toutes
les expos itions.
Spécialisé dans les
paysages, il a en commun avec les
autres fauves le goût des grands aplats,
du dessin à peine esquissé, mais
d'emblée ses scènes sont plus calmes,
ses couleurs moins violentes
(Les Arbres rouges, 1906).
Dès 190B s'amorce une évolution :
son trait se fait plus précis, plus achevé.
Le passage par le fauvisme apparaît
ainsi chez lui comme une audace de
jeunesse, avant un assagissement
progressif (Les Remorqueurs à quai,
1908; La Maison à l'auvent 1920) qui
lui vaudra une certaine faveur du
public..
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