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LE SAC DE ROME

Publié le 14/09/2014

Extrait du document

Certes, ce commentaire, par rapport à la gra­vité de l'événement, peut paraître inconscient. Car le pillage fut atroce, interminable. En sécu­rité au château mais aussi prisonnier de celui-ci, Clément VII négocia longtemps, se résolut à une capitulation partielle au mois de juin, réus­sit, au début du mois de décembre seulement, à s'enfuir, dans des conditions rocambo­lesques : conduits de cheminées, déguise­ments... Pendant ce temps-là, les soldats inoc­cupés multiplièrent Ies vols, rançonnèrent, incendièrent, violèrent. Cela jusqu'en février 1528, où l'ordre leur fut enfin donné de quitter la ville réduite en cendres.

Dans le palais du Vatican, les lansquenets éta­blirent leurs quartiers. Avec les bibliothèques ornées de marqueterie de la salle de la Signature, il firent du feu. Sur les murs cou­verts de fresques peintes par Raphaël et par son atelier, ils gravèrent, à la dague et au crayon, des inscriptions en l'honneur du connétable mort pendant le siège, de l'empe­reur Charles Quint ou de Martin Luther. Le visage du pape Léon X, dans la Rencontre de Léon le Grand et d'Attila, ceux de Platon et d'Aristote (c'est-à-dire les portraits, respective­ment, de Léonard de Vinci et de Michel-Ange), dans l'École d'Athènes, furent lacérés à coups de lances; des restaurateurs

« pillage fut plus brutal encore.

Les objets litur­ giques, toutes les orfèvre ries sacrées furent confisqués par les soldats impériaux.

La rage des protestants s'exerça contre les reliquaires , pièces souvent admirables.

Pour atteindre les restes vénérés par les •papistes •, ces reli­ quaires furent brisés avec acharnement : •Les impériaux ont pris la tête de saint Jean , celle de sain t Pierre et de saint Paul ; ils ont volé l'enveloppe d 'or et d 'argent et les ont jetées dans les rues pour jouer à la balle •, rappo rte une relation du temps .

La fin d'une époque L'événement, dans toute la chrétienté, fut res­ senti comme une épo uvantabl e catastrophe.

Mais il se trouva des hommes pour expliquer que le dram e avait été annoncé et pour juger qu'il était mérité.

Depuis le début du XVI' siècle, les papes, en choisissant de proté­ ger le mouvement humaniste, s'étaient pro­ gressivement écartés des préoccu pations du plus grand nombre des fidèles .

La réhabilita­ tion de la culture païenne, l'affirmation du rôle temporel - politique - du pape, qui cons ti­ tuaient le programme pictural des Stanze , ne pouvaient être compris par la plupart des chré­ tiens, soucieux au cont raire d'une spiritualité plus pure , éloignée des préoccupations mon­ daines.

Alors naquit le thème de la Rome­ Babylone : il fut utilisé par les prédicateurs dans leurs libelles , mais aussi par les fabricants d 'images, c'est-à -dire par les graveurs qui dif­ fusèrent d'innombrables feuilles volantes où était reproduite l'image dévastatrice d'une cité pontificale devenue aussi impie que l'ancienne ville païenne maudite pour son orgueil.

Le sac de 1527 sembla donner raison à ces pronostiqueurs de malheur.

En 1528, un an après le sac, l'humaniste Érasme exigeait, dans le Cicer onius , un retour à des images véri ­ tablement chrétiennes.

Huit ans après le drame, Michel-Ange, à la chapelle Sixtine, peignait le Jugement demie r, image saisissante du malheur des hommes et de la damnation, sous la voûte où il avait réuni symbolique­ ment , en 1508 , sibylles et prophètes ...

La dispersion des peintres Le sac et:t une autre conséquence , immédiate.

À Rome se trouvait réunie, depuis le début du siècle , une communauté nombreuse et soli ­ daire d'artistes.

Comme tous les habitants de la ville , ces artistes furent surpris par l'arrivée de l'armée.

Leurs mésaventures , parfois épou­ vantables, ont été rapportées par l'historien Vasari, qui a recueilli à Rome vers 1540 des récits sur le sac.

Il y eut des mons, comme le graveur Marco Dante.

Des artistes furent arrê­ tés, bousculés , traités en portefaix , en esclaves.

Repéré pour sa forte carrure , le peintre floren­ tin Rosso dut aller pieds nus porter des far­ deaux et il déménagea la boutique d'un cha r ­ cutier.

Certains eurent plus de chance, tel le jeune Parmesan, qui fut seulement contraint par un officier amateur des arts de produire gratis un nombre infini de dessins.

Dès que la situation le permit, les artistes quit­ tèrent la ville exsangue.

Pour un grand nombre d 'entre eux , ce départ fut définitif.

Parmesan Les lan squen e ts devant le château Saint-Ange , gravure de Jérôme Cock d 'après Maarten Van Heemskerck , 1555 (Pan ·s, Bibliothèque nationale).

rallia sa patrie d'origine, Parme; Rosso erra quelque temps en Italie , avant de se fixer en France, à Fontainebleau; Polidoro da Caravaggio gagna Naples puis la Sicile; Pierino del Vaga s'en alla à Gênes; l' architecte Sansovino partit pour Venise.

Rome, du moins jusqu'au siècle suivant , ne redeviendrait plus le foyer de rencontres qu'elle avait constitué pen ­ dant un quart d e siècle.

À ce changement déci­ sif, il convient d'ajouter les pertes matérielles irréparables ou le traumatisme personnel que subirent les artistes.

Le graveur Marc-Antoine perdit pendant le sac toutes ses planches de cuivre : on n'entend à peu prè s plus parler de lui après 1527.

Le peintre Sebas tiano del Piombo, qui avait créé quelques œuvres très belles avant le drame , ne produit plus ensuite que des images médiocres; en février 1531 , il écrit de lui-même , dans une lettre citée par l'historien André Chastel dan s son très bel ouvrage sur le sac de Rome : •Je n'ai pas retrouvé ma tête, il me semble que je ne suis plus le Séb a stien d'avant le sac.• Témoignage saisissant, qui montre l'impact catastrophique qu'eut la prise de la ville sur les arts, en provo­ quan t, outre la perte des œuvres et l'émigra­ tion des artistes , la mort professionnelle de nombreux créateu rs.

Voir au ssi : p.

150-151 (Le Jugement dernier ).. »

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