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LE TRIOMPHE DU PASTEL

Publié le 14/09/2014

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«Au-dessus de l'énorme lorgnon, des­cendu jusqu'au bout du nez qu'il pince de ses deux disques de verre tout neufs, tout en haut des yeux éteints, les prunelles usées sont remontées, avec l'air d'avoir beaucoup vu, beaucoup raillé, beaucoup aimé, et de dire avec un ton fanfaron et attendri : "Hé bien oui, je suis vieux!" Sous la douceur éteinte dont l'âge les a saupou­drées, elles ont de la flamme encore.«

Ainsi Marcel Proust décrivait-il à la fin du siècle dernier l'Autoportrait de Chardin aux bésicles.

l'oeil du peintre

Quand elle est exposée au Salon de 1771, l'une des Trois Têtes d'Étude, au pastel, présentées ensemble par Chardin, cette oeuvre surprend autant qu'elle séduit. Jusque-là, son auteur est

Le pastel

 

Des couleurs pulvérisées, malaxées avec une terre blanche et de la colle ou de la gomme arabique, plus rarement avec du lait ou du miel, puis moulées de façon à former des bâtonnets cylindriques telle est la définition du pastel.

« presque scientifique de ce qu'il voit, de ce que son œil peut percevoir.

C'est donc affaire de regard et d'o ptique à nouveau : l'autoportrait de 11 artiste en train de considérer son reflet dans quelque glace est le portrait d'un homme qui s'interroge sur les mécanismes mêmes de la vision, leurs énigmes, leurs bizarreries et qui s'efforce inlassablement, malgré l'âge, de péné­ trer plus avant leur secret.

La vérité au-delà des apparences Il suffit de comparer un pastel de Chardin à un pastel du Suisse Jean-Etienne Liotard pour mesurer ce qui les sépare.

Liotard excelle dans le trompe-l 'œil, il note avec une surp renante dextérité les détails du verre d'eau sur le pla­ teau de laque que porte l'héroïne immobile de la Chocolatiè re.

Il sait comment imiter le grain de l'étoffe et celui de la peau, la surface irré­ gulière d'un plancher trop souvent lavé ou les plis d'un bonnet rose à parements de dentelle.

Mais le personnage et les objets sont baignés d'une lumière uniforme , sans accidents ni inégalités, lumière d'atelier peut-être mais non pas lumière véridique d'un intérieur bourgeois.

Liotard en arrive ainsi à ce résultat paradoxal : son réalisme minutieux bascule dans l'irréalité et l'artifice, parce que les traits sont trop nets, les contours trop arrêtés, les couleurs trop pures , parce qu'il n'y a ni air ni mouvement.

Chardin, qui brise les lignes, colore les ombres, ose des dissonances chromatiques et donne l'illusion du blanc grâce à du bleu, est plus juste, quoiqu'il semble d'abord plus désinvolte.

Dans ses pastels, tout vibre et change sans cesse - comme dans la réalité.

Mieux encore que ses contemporains, décon­ certés par son changement de technique et la simplicité dépouillée des compositions, quelques peintres du XIX' siècle ont reconnu en lui l'un des premiers à avoir rompu avec les éclairages conventionnels et recherché la vérité de la vision.

Au premier rang de ces héritiers tardifs se rencontrent deux impres­ sionnistes qui devinrent deux admirables por­ traitistes, Degas et Cézanne.

À Chardin, Degas emprunte la technique du pastel, les hachures qui permettent une spectrographie de la lumière e t les tons vifs et aigres.

Quan t à Cézanne, il écrit en 1904 avec envie, après avoir scruté les autoportraits de Chardin : •C'est un roublard, ce peintre.

Avez-vous pas remarqué qu'en faisant chevaucher sur son nez un léger plan transversal d'arête, les valeurs s'établissent mieux à la vue? • Chardin Jean-Baptiste Siméon Chardin naît à P aris en 1699.

Fil s d 'un éb é ­ nis te , il n e suit pa s l'enseigneme nt tradi tionnel, m a is n'en est p as moins reçu à l'Aca démie en 1728 en q ua­ lité de «p e in t re dans le ta le nt des ani maux e t d es fruit s".

D e ce t te date aux a nnées 1760 , vie et œuvre se conf ond ent.

Ses natures mortes de plus en plus épurées et savammen t com posées et ses scènes quotidiennes d épouillées de tout drame comme d e toute anecdot e lui valent une réputation de plus en plus large et l'a dm irati on de défenseurs pu is­ sants , du roi Lou is XV a u p hi lo­ s op he D id e rot , des gra nds collec­ tion n eurs princie rs de l'Euro pe jusqu'à ses confrères de l'Ac ad é mie.

Pensionné par le roi à p artir de 1752 , logé au L ouv re après 1757 , il joui t d ' une faveu r q ui ne décli ne que vers 1 770, quand Greuze et le néo­ classic isme com m ençant déto urn en t d e lui le pub lic.

C'est a lo rs p ourtant que , plu s libre, p lus audac ieux , il e xécu te ses chefs-d 'œuvre au pastel.

Il m eu rt peu après , e n 1779 , dans son appart e ment des galeries d u Louvre.

La Chocolatière, jean-Étienne Liotard , pastel , v.

1745 (Dresde, Staatliche Kunstsammlungen).. »

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