LE TRIOMPHE DU PASTEL
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
presque scientifique de ce qu'il voit, de ce que
son œil peut percevoir.
C'est donc affaire de
regard et d'o ptique à nouveau : l'autoportrait
de 11 artiste en train de considérer son reflet
dans quelque glace est le portrait d'un homme
qui s'interroge sur les mécanismes mêmes de
la vision, leurs énigmes, leurs bizarreries et qui
s'efforce inlassablement, malgré l'âge, de péné
trer plus avant leur secret.
La vérité au-delà des apparences
Il suffit de comparer un pastel de Chardin à
un pastel du Suisse Jean-Etienne Liotard pour
mesurer ce qui les sépare.
Liotard excelle dans
le trompe-l 'œil, il note avec une surp renante
dextérité les détails du verre d'eau sur le pla
teau de laque que porte l'héroïne immobile de
la Chocolatiè re.
Il sait comment imiter le grain
de l'étoffe et celui de la peau, la surface irré
gulière d'un plancher trop souvent lavé ou les
plis d'un bonnet rose à parements de dentelle.
Mais le personnage et les objets sont baignés
d'une lumière uniforme , sans accidents ni
inégalités, lumière d'atelier peut-être mais
non pas lumière véridique d'un intérieur
bourgeois.
Liotard en arrive ainsi à ce résultat
paradoxal :
son réalisme minutieux bascule
dans l'irréalité et l'artifice, parce que les traits
sont trop nets, les contours trop arrêtés, les
couleurs trop pures , parce qu'il n'y a ni air ni
mouvement.
Chardin, qui brise les lignes, colore les
ombres, ose des dissonances chromatiques et
donne l'illusion du blanc grâce à du bleu, est
plus juste, quoiqu'il semble d'abord plus
désinvolte.
Dans
ses pastels, tout vibre et
change sans cesse - comme dans la réalité.
Mieux encore que ses contemporains, décon
certés par son changement de technique et la
simplicité dépouillée des compositions,
quelques peintres du XIX' siècle ont reconnu
en lui l'un des premiers à avoir rompu avec
les éclairages conventionnels et recherché la
vérité de la vision.
Au premier rang de ces
héritiers tardifs se rencontrent deux impres
sionnistes qui devinrent deux admirables por
traitistes, Degas et Cézanne.
À Chardin,
Degas emprunte la technique du pastel, les
hachures qui permettent une spectrographie
de la lumière e t les tons vifs et aigres.
Quan t à
Cézanne, il écrit en 1904 avec envie, après
avoir scruté les autoportraits de Chardin :
•C'est un roublard, ce peintre.
Avez-vous pas
remarqué qu'en faisant chevaucher sur son
nez un léger plan transversal d'arête, les
valeurs s'établissent mieux à la vue? •
Chardin
Jean-Baptiste Siméon Chardin
naît à P aris en 1699.
Fil s d 'un éb é nis te , il n e suit pa s l'enseigneme nt tradi tionnel, m a is n'en est p as moins reçu à l'Aca démie en 1728 en q ua lité de «p e in t re dans le ta le nt des
ani maux e t d es fruit s".
D e ce t te date aux a nnées 1760 , vie et œuvre se conf ond ent.
Ses natures mortes de plus en plus
épurées et savammen t
com posées
et ses scènes quotidiennes d épouillées de tout drame comme
d e toute anecdot e lui valent une réputation de plus en plus large et
l'a dm irati on de défenseurs pu is sants , du roi Lou is XV a u p hi lo
s op he D id e rot , des gra nds collec tion n eurs princie rs de l'Euro pe
jusqu'à ses confrères de l'Ac ad é mie.
Pensionné par le roi à p artir de 1752 , logé au L ouv re après 1757 , il joui t d ' une faveu r q ui ne décli ne que
vers 1 770, quand Greuze et le néo classic isme com m ençant déto urn en t
d e lui le pub lic.
C'est a lo rs p ourtant que , plu s libre, p lus audac ieux , il e xécu te ses chefs-d 'œuvre au
pastel.
Il m eu rt peu après , e n 1779 , dans son appart e ment des galeries
d u Louvre.
La Chocolatière, jean-Étienne
Liotard , pastel , v.
1745 (Dresde, Staatliche Kunstsammlungen)..
»
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