Eugène Ionesco
Publié le 21/04/2012
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Homme de théâtre français d'origine roumaine. Les oeuvres évoquées dans cette phrase assez absurde pour faire partie des répliques de son théâtre : Rhinocéros, Le Roi se meurt, La Cantatrice chauve, Les Chaises, La Leçon, et Amédée, dont le sous-titre est : Comment s'en débarrasser.

«
Le résultat, c'est le rire, ou plutôt un burlesque d'une espèce si particulière que lorsqu'on
vient d'en rire, on sent confusément qu'on devrait en être angoissé.
M.
Ionesco ne veut stricte
ment rien d'autre : le théâtre ne doit pas essayer de dire quelque chose (« Le théâtre n'est pas
le langage des idées ...
Tout théâtre d'idéologie risque de n'être que théâtre de patronage»).
Il
doit essayer de l'exprimer ( « L'art pour moi consiste en la révélation de certaines choses que la
raison, la mentalité quotidienne me cachent.
L'art perce ce quotidien »).
C'est-à-dire que le
théâtre n'est pas communication d'un état d'esprit, il est communication d'un état d'âme.
État d'âme radical, permanent, qui touche à l'essence de la condition humaine, qui est
l'angoisse indivisible à
la fois devant la vie et devant la mort.
M.
Ionesco pousse son avantage,
du dérèglement du dialogue, il passe à celui de l'espace scénique, il multiplie les accessoires (les
chaises, les meubles),
ou les« machines » (le cadavre géant, le rhinocéros, les ficelles qui emportent
un piéton dans les airs), de manière à mettre en valeur à la fois le caractère arbitraire et le caractère
intérieur de l'espace théâtral.
Il est comme le premier et naïf spectateur d'une machine aussi pure
ment« de théâtre » que possible, dont la coloration et l'agencement cependant, loin d'être neutres
ou absurdes, crient ses obsessions les plus intimes et les plus vraies.
Tout l'univers bourgeois est
tourné en dérision, piétiné avec une violence sauvage (mais non sacrilège puisqu'il s'agit précisé
ment de montrer qu'il n'a rien de sacré), l'idiomoclaste est le plus terrible des iconoclastes.
Mais ce
n'est pas au profit d'un univers non bourgeois : personne aujourd'hui n'est aussi vigoureusement
opposé à un théâtre engagé que M.
Ionesco.
C'est au profit d'un monde de l'angoisse métaphysique
élémentaire, où l'homme, enfant ou vieillard, est réduit à sa nudité et à sa faiblesse.
Avec les trois premières pièces
où il a mis en scène le personnage de Bérenger (Tueur sans
gages, Le Rhinocéros,
le Piéton de l'Air- on en trouvera les germes, comme ceux d'autres œuvres dans
le recueil de nouvelles :la Photo du Colonel), M.
Ionesco risquait de revenir à un théâtre de penseurs
chauves
comme sa cantatrice, je veux dire à un théâtre de défense et d'édification morale, contre le
mal, le Mal absurde et absolu du Tueur, le mal de tout grégarisme social, le mal apocalyptique
qui est la tarte à la crème du siècle atomique.
Mais ce qu'il y a de meilleur dans ces pièces semble
éclairé
a posteriori par le quatrième passage de Bérenger dans la dernière pièce de M.
Ionesco
connue au moment où j'écris, le Roi se meurt.
Ici Bérenger cesse d'être un homme pour devenir
Tout-Homme, et le mal cesse d'être un mal pour devenir Tout-Mal : la Mort.
Car c'est elle qui
rend tout vraiment dérisoire, c'est la peur de l'incompréhensible Mort qui est depuis le début le
ressort
et le fondement de tout théâtre de la dérision.
La différence entre la non-rhétorique et la
rhétorique devient de peu d'importance puisqu'il s'agit dans les deux cas d'exprimer une situation
métaphysique élémentaire (métaphysique, et non religieuse, ce qui serait une spécification jusqu'à
présent tout à fait injustifiée).
S'il y a
une idée que M.
Eugène Ionesco déteste plus que l'idée d'engagement politique,
je crois que c'est l'idée d'avant-garde qui correspond trop souvent aujourd'hui à une sorte d'enga
gement littéraire.
L'avant-garde se ramène pour lui à un respect toujours plus grand de la vérité
et de la liberté.
Les partisans d'une avant-garde piétinante, ceux qui refusent à un auteur le droit
de se continuer par d'autres moyens que ceux auxquels ils sont habitués, vont peut-être se détourner
de lui.
Mais il est impossible d'arrêter en ce moment, au milieu de rg63, la courbe de notre auteur.
S'il fallait essayer de marquer le chemin déjà parcouru, de donner une idée des paysages traversés,
peut-être pourrait-on dire que cette œuvre singulière s'est efforcée d'occuper tout le terrain entre
Labiche et Bossuet.
133.
»
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