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Claude Sautet, ou l'art des musiques solitaires

Publié le 05/12/2018

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ce travail, il y a des êtres vivants, dont la discrétion laisse deviner une multitude d’arrière-plans, d’ambiguïtés, de souffrances non dites... Avec le temps, le cinéma de Sautet apparaît comme une mosaïque qui se disperserait et où le détail prendrait le pas sur l’ensemble, le relatif sur l’absolu : comme les protagonistes de Quelques jours avec moi et d'Un cœur en hiver, Nelly et M. Arnaud sont l’incarnation, du fond de leurs solitudes inconciliables, d’un échange qui ne trouve à s’épanouir que dans l’inachèvement, en dehors de tout projet. On peut y déceler une amertume, née à la fois de la maturité et d’une désillusion historique, un renoncement aux enthousiasmes collectifs ou amoureux de naguère, qui laisse les êtres à leur égarement, à leur étrangeté essentielle. Mais ce choix de la demi-teinte permet surtout au cinéaste de ne plus se concentrer que sur les méandres et les surprises des sentiments, à seule fin d’en extraire un suspense quasi musical, de rendre sensibles les mouvements les plus secrets du temps : « Tout le film est une modulation, commente Sautet. Depuis le moment où Arnaud rencontre Nelly dans le café et jusqu’à celui où il la regarde dormir, ce n’est qu’une longue modulation, avec des retardements, des accélérations. Je crois qu’on cherche toujours ce qui retarde, puis on s’aperçoit que ce qui retarde est très intéressant à regarder. 

De Classe tous risques (1960) à Un cœur en hiver (1992), l'œuvre de Claude Sautet s’est peu à peu affranchie de ses références culturelles ou sociales, pour se consacrer tout entière à l’art du portrait, à de très subtiles radiographies intérieures. Avec Nelly et M. Arnaud, le cinéaste pousse plus loin encore cette sorte d’ascèse virtuose, fondée à la fois sur une lente maturation du scénario, auprès de son complice Jacques Fieschi, et sur une intimité savamment cultivée avec ses comédiens.

 

Même si ses films offrent une place grandissante à la solitude, à l’inaboutissement des relations humaines, même s’ils marquent une certaine défaite des rêves collectifs des années soixante-dix, chacun d’eux reste essentiellement une affaire de famille.

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