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DU LIVRE A L'ÉCRAN

Publié le 26/11/2011

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Le rôle du livre

Qu'apporte le livre ? Il remplit deux fonctions très différentes. D'abord une fonction d'information. Aucun homme vivant n'a été le témoin du passé de la planète. Comment comprendre le présent si l'on en ignore la genèse ? Aucun homme ne peut connaître le monde entier. Comment juger les événements si l'on ne sai sit pas les liens cachés qui les unissent d'un bout à l'autre de la Terre ? Aucun homme ne peut retracer lui-même les chemins qu'ont suivi tous les savants, ni refaire toutes les expériences. Que saurait-il des sciences, de leurs méthodes, de leurs ressources si des siècles de recherches n'étaient pour lui conservés et ordonnés dans des livres ? Les encyclopédies, les dictionnaires, les histoires, les ouvrages des savants sont les mines d'où l'homme moderne extrait le savoir, faute duquel il ne pourrait agir. Sans doute on peut concevoir que des connaissances limitées à un secteur étroit soient, à la rigueur, transmises par un enseignement verbal ou par un apprentissage manuel, mais alors même l'apprenti aurait encore intérêt à rattacher, par la. lecture, ce qu'il vient d'acquérir, à une culture plus générale.

« tions en amis.

Que s'est-il passé ? Que signifie ­ ce carnaval étrange ? Nous aurions besoin d'une image plus ordonnée des événements.

Le livre nous l'apporte.

Construit par un es­ prit humain, il n'a pas la f olle complexité du réel.

La Guerre de 14-18, pour ceux qui la vivaient, demeurait incompréhensible et indis­ tincte.

Dans le Verdun de Jules Romains, elle s'éclairait un peu.

c) Ici une réserve est nécessaire .

Si le ro­ mancier ou l'historien met trop de clarté dans la confusion des événements, alors il cesse de faire œuvre d'art; il devient didactique et ne touch e plus le lecteur.

Ce que celui-ci souhaite (sans le savoir), c'est l'emprise de l'esprit de l'artiste sur le chaos.

Pour que cette emprise soit sensible, il faut un désordre initial.

De même que la grande musique se meut « entre le bruit et la vertu >>, le grand roman se meut entre la folie et l'académisme .

La bataille de Waterloo dans la Chartreuse est moins téné­ breuse qu'elle ne le fut le 18 juin 1815; elle l'est assez pour donner au lecteur l'illusion d'un réel dominé.

Aussi comprend-on pour­ quoi les romanciers modernes ont cherché à épaissir et à embrouiller la matière de leurs livres .

Les sentiments, dans Proust, sont moins clairement définis que dans Balzac.

Les au­ teurs des « nouveaux romans » s'attachent à reconstituer la confusion originelle; ils auront eu raison s'ils la dominent.

Si leurs livres ont forme et beauté, ils remplissent leur office.

Si non, le lecteur se refusera.

Il sait, sans être capable de le dire, ce qu'il demande à l'art.

d) Une autre fonction du livre œuvre d'art est de nous amener à voir ce que l'habitude et la paresse d'esprit ont rendu pour nous invi­ sible.

Nul n'ignore qu 'un grand peintre nous révèle des images qui ont toujours été là, mais devant lesquelles nous étions aveugles.

Sans Utrillo nous aurions toujours ignoré la beauté de certaines façades blanches de la banlieue de Paris; sans Fernand Léger la vigueur plas­ tique des cyclistes et des plongueurs.

Il en est de même du livre.

Les sordides affaires d'ar­ gent des familles bourgeoises, au XIX" siècle, passaient inaperçues à leurs consciences avant Balzac.

François Mauriac a dénudé les haines secrètes des épouses déçues.

Kafka a mis en ·pleine lumière le sentiment pénible, qu'éprou­ vent tant d'hommes d'être les victimes d'une condamnation sans culpabilité et sans juge­ ment.

Le langage, dans son emploi commun, substitue des étiquettes aux êtres et aux cho­ ses.

Il dit : « Les Arabes », « les Israéliens ».

Or la seule vérité vivante serait tel Arabe, tel Israélien .

Le grand écrivain, par un emploi insolite des mots, par des images fortes et justes, réintègre le concret dans ces abstrac­ tions endormies.

Il ressuscite le langage et, par là, ouvre les yeux et les esprits.

e) Surtout le livre, comme le tableau, a l'immense utilité d'offrir à l'imagination des objets · autres que des rêveries errantes.

Tous les philosophes on dit, sous cent formes, que l'imagination est maîtresse d'erreurs.

Elle est aussi maîtresse de malheur.

Nos insomnies le montrent bien.

Privés par l'obscurité d'un ob- jet à contempler, nous nous abandonnons à mille folies douloureuses.

Tantôt nous essayons de reconstituer le passé pour souhaiter qu'il eO.t été différent; tantôt nous tentons de prévoir l'avenir et nous le voyons chargé des plus si­ nistres menaces.

A quoi le seul rem ède serait d'arrêter ce flux de raisonnements vils et vains en proposant à notre esprit, qui tourne en rond, un point fixe.

Non seulement un portrait de Goya ou de David est beau, mais il est im­ muable.

Le Mona Lisa ne change jamais son étrange sourire et il nous apaise.

La Natacha réelle, coquette et fantasque, nous eût sans doute torturé s, mais la voici toute soumise à nos pensées dans les pages du roman .

Nous n'avons à son égard aucune décision à pren­ dre, aucun regret à exprimer.

Le drame du docteur Jivago est terrible, mais il n'exige du lecteur nulle résolution.

Le livre nous offre ce que la vie nous refuse toujours : l'union de la contemplation et de l'action.

Nous verrons, dans la suite de cette étude, qu'il existe, pour les hommes de notre temps, d'autres moyens d'information et de commu­ nication , et que certains de ceux-ci peuvent, eux aussi, devenir des œuvres d'art, mais le livre garde un caractère unique et irrempla­ çable.

Sous un petit volume, sans le secours d'aucun appareil, d'aucun équipement , il cons­ truit dans notre chambre, dans notre esprit, l'univers de remplacement dont nous avons si souvent besoin.

Sa présence est permanente.

Il est là, sur nos rayons, et nous pouvons à tout moment y retrouver les sentiments qu'il avait éveillés, reprendre le fil des raisonnements qu'il avait amorcés, nous replacer au milieu des personnages qu'il nous avait fait aimer.

Nous lui devons de vivre, sans quitter notre fauteuil, dans la compagnie des plus gJ"ands es­ prits de tous les temps.

Rien ne nous empêche de le poser un instant pour confronter notre pensée à celle de l'auteur, puis de le repren­ dre.

Les arts en mouvement (théâtre, cinéma) ne permettent pas cette coexistence permanente avec nos auteurs favoris ..

Ils ont leurs charmes propres, ils éveillent de vives émotions, mais le Temps les emporte en son cours .

Les écrits restent .

La presse et la radio La presse, sous forme de journal quotidien ou hebdomadaire, est un autre moyen d'infor­ mation, proche parent du livre puisqu'il recourt comme celui-ci à l'imprimerie.

La différence capitale est que le livre (hors certains ouvrages de circonstance) est fait pour durer, alors que la presse cherche à tenir le lecteur au courant de l'information quotidienne.

Une grande par­ tie des textes publiés dans les journaux con­ siste en dépêches, comptes rendus, program­ mes, cours de bourse, résultats sportifs.

Ces paragraphes, hâtivement rédigés, ne sont nul­ lement faits pour durer; ils cessent dès le len­ demain d'être actuels.

Ils sont conservés dans les grandes bibliothèques pour servir de matière première à l'historien ou de référence à l'en­ quêteur,. »

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