Le roman familial selon Atom Egoyan

A cet égard, Exotica (1993), son sixième film, semble reprendre toute l’œuvre antérieure. L’action est centrée sur un cabaret où des femmes dansent sur une table pour des clients, moyennant paiement, mais sans qu’ils puissent les toucher. Comme dans d’autres œuvres d’Egoyan, les rapports entre les êtres tendent à se donner une forme contractuelle et à se soumettre à un rituel aussi pervers que complexe. De l’aveu du cinéaste, « nous créons des rituels pour gérer nos névroses ». Celles-ci sont souvent liées à un vide, à une perte, à une disparition : fils à la recherche de sa mère, sœur en quête d’un frère absent, père poursuivant l’image de sa fille, telle, dans Exotica, cette battue organisée à travers la campagne pour retrouver une fillette assassinée.

Cette quête d’un lien perdu peut être lue comme une métaphore de l’exil et de ses traumatismes, dont la diaspora arménienne est l’une des illustrations les plus dramatiques. L’œuvre la plus récente du metteur en scène, De beaux lendemains (1997), confirme la cohérence de son univers visuel et mental, d’autant que, pour la première fois, il ne signe pas un scénario original mais adapte le roman homonyme de Russel Banks, qu’il s’approprie entièrement. Un avocat s’introduit dans une communauté villageoise et tente de convaincre les habitants d’engager une procédure judiciaire pour découvrir les responsables

En 1987, Wim Wenders, recevant le grand prix du Festival de Montréal pour les Ailes du désir, invitait un jeune inconnu de 26 ans, Atom Egoyan, Prix spécial du jury pour Family Viewing, à le rejoindre sur scène pour partager avec lui la récompense suprême. Dix ans plus tard, au Festival de Cannes, le dernier film de Wim Wenders, The End of Violence, est ignoré par le jury, boudé par la critique et le public, tandis que De beaux lendemains d’Atom Egoyan remporte le grand prix du Festival, manquant de peu la Palme d’or, pour laquelle beaucoup le donnait favori. L’anecdote, si elle illustre les ingratitudes de la roue de la fortune, vaut aussi en ce qu’elle établit une filiation et la reconnaissance rapide d’un talent exceptionnel.