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La vie est passée, on dirait que je n'ai pas vécu. Anton Tchékhov

Publié le 22/02/2012

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Dernière pièce de l'écrivain russe Anton Tchékhov (1860-1904), La Cerisaie, d'où est extraite cette phrase, est une comédie qui a été écrite en 1903 et représentée en 1904 au Théâtre d'Art de Moscou par Stanislavski et Dantchenko, puis à Saint-Pétersbourg, quelques mois avant la mort de Tchékhov, dramaturge de génie qui s'était fait connaître du public par la création au théâtre de La Mouette (1895), d'Oncle Vania (1897), des Trois Soeurs (1903). Tchekhov exerçait sa profession de médecin et écrivait des nouvelles, outre ses pièces de théâtre. Firs, âgé de quatre-vingt-sept ans, est le plus ancien domestique au service de Lioubov Andréevna, propriétaire de La Cerisaie; en fait, Firs est un valet de chambre plus spécialement attaché à la personne du frère de Lioubov Andréevna Gaev.

« L'affranchissement est donc récent.

Lioubov Andréevna et son frère sont trop ancrés dans un passé encore maldégagé de la féodalité pour pouvoir s'adapter au monde nouveau en pleine mutation.

De ce point de vue, l'ancienserf Firs, mémoire vivante de la Cerisaie et conservateur plus réac-' l'ulnaire que ses patrons, incarne le passé,réfractaire à imite innovation.Firs précise qu'il n'a pas voulu bénéficier de l'émancipation des serfs, pas plus qu'il n'a voulu se marier, en dépit despressions de l'entourage.

C'est qu'il voulait demeurer auprès de ses maîtres, soumis à leur volonté.

Ironie du sort : leplus fidèle serviteur est victime de l'ingratitude du 'naître.

Firs ne peut comprendre la société présente, lui qui aspiretoujours à l'union dans la dépendance : « Les moujiks étaient avec les maîtres, les maîtres avec les moujiks et maintenant tout est en désordre, on n'ycomprend plus rien.

» (acte II) Seul Lopakhine, entrepreneur avisé, pragmatique, paraît adapté au monde actuel.

Fils de serf et sentimentalementproche des anciens maîtres, Lopakhine a beau ressentir profondément l'humiliation d'appartenir à une catégoriesociale inculte, grossière, brutale, il a beau admirer tacitement Lioubov Andréevna et sa famille, qu'il serthonnêtement tout en ayant conscience de leur être inférieur, son ascension sociale par le travail et les affaires luipermet de racheter la bassesse de ses origines et même de prendre sa revanche sur un passé indigne, comme surune classe de privilégiés qu'il sait condamnée par les pesanteurs insurmontables d'un passé révolu.('es personnages se côtoient sans vraiment se comprendre et il est saisissant de constater à quel point le dialoguede sourds qui s'établit entre eux trahit la solitude ainsi que la violence passionnelle, presque toujours contenue, maisprovocante comme une idée fixe.La conversation met en présence des personnages qui entrent dans une confrontation permanente, mais discrète, àfleuret moucheté, et l'oreille attentive ne peut manquer de percevoir le non-dit de la sous-conversation qui affleureà tout moment.Ainsi, par exemple, dans l'acte I, le dialogue met aux prises Lopakhine, sincèrement désireux de sauver de la failliteLioubov Andréevna, et cette dernière, dont l'intérêt financier serait de prendre en considération la solution réaliste,au moins à première vue, de Lopakhine.

0 l'incompréhension est totale car Lopakhine raisonne en brasseur d'argent,en entrepreneur constructif et calculateur, alors que la seule logique de Lioubov Andréevna et de son frère estd'ordre strictement sentimental : il ne s'agit pas de modifier quoi que ce soit au domaine de 1 Cerisaie, qui doitrester intact et inchangé, comme dans le passé, précisément parce qu'il cautionne les valeurs du passé, d'essencearistocratique.Quant à Firs, il évoque intarissablement le passé mais n'en conserve que l'aspect anecdotique, remémoration pure etsimple d'un instant vécu : « LOPAKHINE.

- Vous pourrez demander à vos locataires au moins vingt-cinq roubles par an et par déciatine; et sivous vous décidez maintenant, je vous garantis qu'il ne vous restera pas une seule parcelle à l'automne, tout seraloué.

En un mot, je vous félicite, vous êtes sauvée.

L'emplacement est magnifique, la rivière est profonde.Evidemment, il faut nettoyer un peu, par exemple, démolir les vieilles constructions, cette maison qui ne sert plus àrien...

abattre la vieille Cerisaie.LIOUBOV ANDREEVNA.

- Abattre ? Excusez-moi, mon cher, mais vous n'y comprenez rien.

S'il y a quelque chosed'intéressant, et même d'extraordinaire dans ce district, c'est bien notre Cerisaie.LOPAKHINE.

- Tout ce qu'il y a d'extraordinaire dans ce jardin, c'est qu'il est très grand.

Une fois tous les deux ans,on récolte des cerises dont on ne sait que faire et que personne n'achète.GAEV.

- Même dans le dictionnaire encyclopédique, on le mentionne, ce jardin.LOPAKHINE, regardant sa montre.

Si nous ne trouvons rien, si nous n'arrivons pas à nous décider, alors, le 22 août,la Cerisaie et la propriété seront toutes deux vendues aux enchères.

Décidez-vous donc! D n'y a pas d'autresolution.

Je vous assure.

Aucune autre solution.

Futs.

— Autrefois, il y quarante, cinquante ans, les cerises on lesfaisait sécher, macérer, mariner, on en faisait des confitures, et même...GAEV.

- Tais-toi un peu, Firs.FIRS.

- Et même on transportait les cerises séchées jusqu'à Moscou et Kharkov.

Ça rapportait gros.

Et la ceriseséchée était alors tendre, juteuse, sucrée, parfumée...

On avait alors une recette.LIOUBOV ANDREEVNA.

- Et qu'est-ce qu'elle est devenue, cette recette ?FIRS.

- On l'a oubliée.

Personne ne s'en souvient plus.

» Il en est de Firs comme de la recette : personne ne se souvient plus de lui.

Et pourtant, suggère ce vieux serviteur,le passé valait mieux que le présent, puisque la récolte des cerises était lucrative autrefois, tandis qu'aujourd'hui, onne sait que faire des cerisiers.

Bien entendu, la remarque de Firs se révèle intempestive, même si LioubovAndréevna, elle aussi fixée à son passé, lui accorde de l'intérêt.

C'est que la mémoire de Firs fonctionne de manièredéfensive et compensatoire : le présent est le témoin d'une déchéance à la fois physique et sentimentale.En effet, le vieillard a perdu toute sa force, ce qui, pour un domestique habitué à servir ses maîtres, constitue unanéantissement; du reste, la formule qu'il appliquait machinalement aux autres («espèce de bon à rien») notammentà Douniacha et à Yacha, domestiques comme lui, et que Lioubov reprend pour l'appliquer à l'étudiant Trofimov,s'adresse désormais à lui-même, en guise de sentence accusatrice, malgré l'atténuation qu'apporte le proposlénifiant (« Ce n'est rien...

Ce n'est rien...»).Ni le présent ni l'avenir n'autorisant la moindre espérance (« il ne te reste rien, rien, rien»), Firs a beau manifester. »

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