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Alain par Maurice Savin Professeur de Première Supérieure au Lycée Louis-le-Grand, Paris Un nom qui de Pontivy à tout le reste de la Bretagne n'est qu'à peine un nom, tant il est commun, sur le duc ou le matelot ; comme on dirait Gros-Jean ou Maître-Pierre.

Publié le 05/04/2015

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Alain par Maurice Savin Professeur de Première Supérieure au Lycée Louis-le-Grand, Paris Un nom qui de Pontivy à tout le reste de la Bretagne n'est qu'à peine un nom, tant il est commun, sur le duc ou le matelot ; comme on dirait Gros-Jean ou Maître-Pierre. Il le choisit d'abord pour signer sans signer des papiers au galop, où il se délivre du professeur qu'il est et des titres qu'il a. Cela fait presque deux hommes et deux renommées, qui grandissent à part. Alain, ce journaliste, à Lorient, Rouen ou Paris, qui bravement défend la République, qui est laïque comme on serait chouan, qui est égalitaire et jacobin, à désarmer l'ironie des élites toujours plus ou moins sabre et goupillon et d'instinct contre la racaille. Emile Chartier le professeur, d'un poste à l'autre, le plus célèbre bientôt des professeurs de son époque, sans faste ni parade, d'un sérieux inimitable, qui savait être de la grâce. Indifférent à l'auditoire, attentif au détail de son métier difficile, qu'il exigeait de soi difficile, et s'y mettait tout, l'homme qui avait une connaissance de l'homme au-delà de l'universitaire, l'ami des livres, qui en dévorait de toutes les sortes, l'artiste aussi, peinture ou musique, poète comme sans y penser ; et jamais la moindre prédication partisane. Une carrière de quarante années, la même joie d'un bout à l'autre, tout à neuf comme au premier jour. Cette gloire, l'une des rares qui soient vraies, a du secret pourtant, car elle était secrète. Il fallait être témoin, et même il ne suffisait point d'être là. Il arrive que de bons esprits, qui ne demanderaient pas mieux, disent leur regret de ces cours perdus comme sont les cours, et d'autres, qui écoutaient, attendent encore, comme si l'oeuvre d'Emile Chartier n'était pas celle, sous prénom breton, signée Alain. Journaliste ? Autant dire tribun : on ameute ; on recrute ; l'orateur s'est glissé chez vous. Soutenez et votez. Comme dit l'autre, abêtissez-vous. Vous serez d'un parti, bien fier d'en être. Les Républicains semblent avouer que la République aussi est de persuasion. Force ou douceur, le trémolo ou l'invective, il ne s'agit que de grossir la troupe. L'orateur, qui est l'entraîneur, attend l'acclamation qui sacrera le César nouveau. Ou, quelle manie serait-ce, de chaque jour écrire et se faire lire par vingt mille abonnés et de ne pas souhaiter seulement d'être conseiller municipal ? De 1906 à 1914, Alain fut ce journaliste-là, qui a sauvé l'espèce, qui n'écrivait qu'à soi et ne songeait du tout aux vingt mille, qui s'établit d'emblée dans la solitude qui devait être la sienne toujours. Il ne cherche pas à convertir mais à s'éclairer. Il n'a pas une doctrine qu'il répandrait. Il est d'avant toutes les doctrines, quoiqu'il les sache toutes. Il n'a pour tout bien que l'entêtement de comprendre et vouloir comprendre ; obscurcir d'abord s'il faut, car on croit comprendre souvent par la joie comme artisanale (ou scolaire) d'assembler des clartés et des raisons qui ne sont pas les nôtres, qui ne sont que des évidences empruntées, des discours reçus vénérables parce qu'ils sont reçus. L'étrange tribun ! On penserait plutôt à quelque Socrate quotidien qui nie tout, qui ne part que de la certitude en poudre, qui ne craint pas de rire au nez, même si le nez a du prestige dans la République. On doit un souvenir d'estime aux fervents qui ont encouragé et protégé ce solitaire entre tous (Nietzsche ne fut pas plus solitaire) qui n'avait pas promis de soutenir tel ou tel parti, mais l'homme libre, soi libre, quelle que fût la conclusion et même si l'homme libre argumentait la paix farouchement quand la République elle-même inclinait à la guerre. Pendant neuf ans, il eut la permission de tout dire comme il le pensait ; piquer, choquer, redresser, écrire ce franc monologue, comme un examen d'Alain par Alain, car la passion ou la sottise sont de tous, et nous commençons par là. Très vite il avait trouvé sa forme ; elle se déduisait de l'étendue ; ce court billet ou Propos de première page dans la Dépêche Rouen. Cela tuait le pédantisme. C'était une fois pour toutes, sans passé ni lendemain. Le lecteur, n'importe qui ; il achète et lit par hasard. Et la signature, Alain, comme une cabriole. C'est alors que la langue maternelle étincelle de tous ses feux. De moi à toi comme de moi à moi ; dense et serré comme je parle à moi ; l'éloquence veut trop de temps, j'ai tout à dire et je n'ai que quelques mots à te pouvoir dire ! Ce fut la naissance d'un style ; le sacrifice, de règle stricte ; et donc classique par les nécessités étrangleuses ; le détail dans le détail, la nuance dans la nuance. Un marron sculpté, dira Barrès. Alain, de culture antique, pensait à ces chapitres d'Aristote, à graver sur pierre. Il se fit un public et des zélateurs. On se rencontrait à Montparnasse quand on y venait chercher la Dépêche, c'est-à-dire le Propos d'Alain. Alain, dans son retrait, rarement content, comme il était rarement content de ses propres cours. Il avait un geste, au roulement du tambour, pour dire : tant pis ! Et pliait ses notes sans ajouter. Ces exercices, espace ou temps à portion fixe, sont proprement d'artiste ; cela ne déplaisait pas au philosophe. La philosophie de ce temps méprisait volontiers la forme ; elle donnait dans la dispute ou le jargon. Alain aimait à rappeler ce mot de Proudhon à Renouvier : " Une preuve que vous ne pensez pas vrai, c'est que vous écrivez mal. " Et Durkheim déjà, corrigeant une copie d'Emile Chartier : " Vous écrivez trop bien. " Imaginez le regard de Goethe en réponse. Les zélateurs (Henri Mondor témoigne par son Cahier bleu) collaient les Propos comme des timbres. Il y eut des cahiers un peu partout. On ne collait pas tout ; mais, chaque jour, au moins un trait mémorable, sans âge, comme le beau quand il est beau. Dès le début, souvent, le Propos tout de ce beau simple, à le garder devant soi sans épuiser la surprise d'une prose à la française, qui n'a pas eu à décider de son origine, qui a l'accent, le sourire, la respiration d'un homme, les tons, les humeurs, la carrure et la stature qu'il avait, une force, une délicatesse forestières, le regard bleu de bleu, son regard. Un oiseleur presque à hauteur de branches, qui n'est pas né de la poussière des livres, qui serait ce bûcheron terrible s'il laissait aller ; mais son affaire est de ne pas laisser. Il suspend le pas, la voix. Sagesse, jugement, gouvernement, d'urgence vitale, quand la vie s'étoufferait de trop de puissance. Ce ne s...
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